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l'avoit frappé d'un décret de bannissement; il s'étoit flatté de commander en chef l'armée d'Italie, et à peine pouvoit-il espérer le commandement d'une brigade d'infanterie. Il obtint de Poultier un congé de deux mois pour se rendre à Paris, et détruire, s'il étoit possible, les préventions élevées contre lui. L'entreprise étoit hardie, car sa réputation étoit très-mauvaise, et il avoit à se défendre devant un homme d'un caractère sévère et souvent inflexible.

Buonaparte descendit à Paris, rue des FossésMontmartre, dans un hôtel garni, tenu alors par le sieur Grégoire, qui occupe aujourd'hui l'hôtel de Richelieu, vis-à-vis la rue d'Antin. Une partie de ses protecteurs étoient comme lui tombés dans la disgrâce; mais il lui restoit Fréron, qui, après la journée du 9 thermidor, avoit abandonné le parti de la Montagne, et s'en étoit déclaré l'un des plus ardens adversaires. Barras avoit su également se rallier au parti vainqueur; mais Aubry détestoit Barras, et la recommandation de ce dernier eût été moins utile que dangereuse. L'esprit de réaction commençoit à se faire sentir, et personne n'osoit protéger un jacobin.

Buonaparte sentoit vivement toute la difficulté de sa situation. Il étoit venu à Paris avec

des assignats, et les assignats subissoient alors une baisse rapide et effrayante. Il ne tarda pas à éprouver de nouveau les atteintes du besoin : il occupoit d'abord un appartement au premier; l'état de ses finances le força bientôt d'en prendre un au second, puis au troisième, enfin au quatrième, s'élevant ainsi, d'étage en étage, à mesure que sa fortune descendoit. Son ami Tilly lui prêta vingt-cinq louis; M. Fauvelet de Bourienne, son ancien camarade à l'école de Brienne, et M. Patraud, son ancien professeur de mathé matiques, à la même école, lui donnèrent aussi des marques d'attachement et de libéralité mais Aubry continuoit d'être inaccessible, L'ex-général assiégeoit inutilement sa porte, l'accès de son cabinet lui étoit invinciblement interdit (1).

(1) Un jour qu'Aubry recevoit le commandant et quelques officiers de la légion germanique, Buonaparte profita de l'occasion, et, se mêlant avec eux au moment où ils entroient, il parvint jusqu'à M. Gau ( aujourd'hui conseiller d'état ), qui travailloit avec Aubry, et il commen. çoit à l'entretenir, lorsque celui-ci l'aperçut, lui reprocha avec aigreur l'indiscrétion qu'il venoit de commettre, et l'obligea de sortir.

Aubry étoit un homme d'un caractère noble et généreux, mais passionné. Il se repentoit vivement d'avoir voté la mort du roi, quoique avec restriction, et sa haine pour les jacobins étoit telle, qu'au risque même de sa vie,

Dans cette extrémité, il sollicita la permission de quitter le service de France, et de passer à l'étranger. La Sublime Porte s'occupoit alors d'un armement contre l'Autriche, et cherchoit à s'attacher des officiers français, surtout dans l'arme de l'artillerie; Buonaparte entrevit dans cette circonstance un nouvel avenir pour lui, et pressa vivement le comité de salut

pu

il étoit décidé à tout faire pour détruire leur secte. Il vivoit dans la plus intime amitié avec un député du dépar tement de l'Yonne, nommé Chastelain, homme plein de courage et d'honneur, qui aima mieux s'exposer à perdre la vie, et faire le sacrifice de toute sa fortune, que de voter la mort du roi. L'auteur de cet article voyoit beaucoup les députés Chastelain et Aubry, et n'a jamais douté qu'Aubry ne fût entré volontiers dans le projet de réta→ blir la maison de Bourbon, quelque périlleuse que dût être pour lui cette entreprise. Après avoir été proscrit au 13 vendémiaire et au 18 fructidor, il est mort non pas à Sinamary, comme on l'a dit, mais à Demerary. Il s'étoit échappé de la Guyane, sur une pirogue, avec Pichegru, et quelques autres de ses compagnons d'infortune. Avant l'invasion des armées alliées, son ami Chastelain vivoit sous une simple chaumière, avec 400 francs de revenu, et supportoit l'indigence avec une vertu admirable. Depuis ce temps, les Cosaques ont détruit sa cabane, et il est réduit à loger chez un tuilier qui lui a offert un asile. Il est malheureux parce qu'il est homme de bien!

blic de lui accorder la faveur qu'il sollicitoit. Mais Jean-Debry s'y opposa fortement, représentant que l'armée française manquoit de bons officiers d'artillerie; Fréron joignit ses efforts à ceux de Jean-Debry, et réussit à faire donner à Napoléon le commandement de l'artillerie en Hollande. Le héros se disposoit à partir, lorsque de nouveaux événemens lui ouvrirent une nouvelle carrière, et l'appelèrent à de plus hautes destinées (1)..

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(1) Quand la fortune eut par la suite élevé Buonaparte au consulat, Fréron disoit à M. le docteur M...., son ami: «Tu sais ce que j'ai fait pour lui. Je couvrois de mes ailes » cette famille Buonaparte; elle étoit sans cesse dans mes poches, et pourtant ce n'est qu'avec une peine extrê» me que j'ai pu obtenir une préfecture en Amérique Le malheureux y est mort; et peut-être n'est-il pas hors de propos de faire connoître que Tilly, l'ami et le bienfaiteur de Buonaparte, a terminé ses jours dans l'exil, à cinquante licues de Paris.

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CHAPITRE QUATRIÈME.

Journée du 13 vendémiaire; promotion de Buonaparte au grade de général en chef de l'armée de l'intérieur.

DEPUIS la mémorable journée du 9 thermidor (1), la convention nationale se trouvoit entraînée dans un ordre de choses contre lequel elle s'efforçoit en vain de lutter.

En frappant Roberspierre, les conjurés avoient moins songé au salut de la France, qu'à leur propre sûreté ; la plupart d'entre eux étoient coupables de tous les excès de la révolution. Le seul nom de monarchie les faisoit frémir, ils

(1) Nous aurons souvent besoin de désigner les événemens par les époques et les dates du calendrier républicain. L'usage les a tellement identifiés avec ces époques, qu'il est presque impossible de les en séparer. On ne nous entendroit pas si, au lieu de dire le 13 vendémiaire et le 9 thermidor, nous disions le 5 octobre et le 27 juillet": c'est ainsi que sous le gouvernement républicain, on n'avoit, pour désigner les époques les plus désastreuses de la révolution, d'autres termes que ceux du 10 août, du a septembre, etc.

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