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Buonaparte pointer ses pièces contre des murailles qui ne pouvoient lui répondre. Le géné ral Danican chercha son salut dans la fuite, et parvint à se soustraire aux recherches de ses ennemis. M. Lafond de Sorclé fut moins heureux; il tomba dans un parti de terroristes, et paya de sa tête son courage et son dévouement. Ainsi finit cette journée, qui fonda dans le sang la constitution de l'an 3, commé toutes celles qui l'avoient précédée (1). Elle coûta aux Parisiens plus de deux mille hommes tués dans l'intérieur de la ville, ou morts sur l'échafaud, et prépara la longue tyrannie sous laquelle la France a gémi. On remarqua que le 13 vendémiaire répondoit au 5 octobre, jour anniversaire de la fameuse journée du mois d'octobre 1789.

que

(1)On peut, sans aucune superstition, faire observer la constitution de 91 a été fondée dans le sang de MM. Fou lon, Berthier, de Launay, de Flesselles, et dans celui de toutes les victimes égorgées sur toute la surface de la France pendant deux ans ; que la constitution de 1793 est née au milieu des échafauds et des assassinats, et des mas. sacres perpétuels, par les ordres et sous les yeux des représentans de la nation; et que l'empire de Buonaparte s'est élevé sur les cadavres du duc d'Enghien, du général Pichegru, d'Aréna, de Georges, de Moreau, et de tant d'autres immolés à la sûreté du tyran.

La convention entendit avec une joie insultante le récit de ce malheureux événement. Le député M... ..., chargé d'en faire le rapport, eut recours à toutes les formules de l'éloquence révolutionnaire. Il parla beaucoup de crime et de vertu. Le crime, suivant lui, étoit dans les sections de Paris; la vertu, dans la convention et le bataillon sacré. Il représenta les chefs des sections comme un assemblage de chouans et d'émigrés, qu'il qualifioit de brigands, quoique les bureaux de ces sections fussent presque tous composés d'hommes de lettres, de fonctionnaires publics fort connus à Paris. Il appela la vengeance de la convention sur les sections Le Pelletier et Poissonnière, sur celles de la Butte-des-Moulins, du ContratSocial, du Théatre-Français, du Temple, du Luxembourg, de Brutus (car alors Brutus et Le Pelletier étoient encore en honneur). Il accusa l'armée parisienne d'une perfidie dont il étoit constant qu'elle ne s'étoit point déshonorée. Il assura que les premiers rangs des bataillons parisiens, qui occupoient la rue de l'Échelle, s'étoient avancés avec des dehors pacifiques, le fusil sous le bras, les chapeaux en l'air, le drapeau baissé, prononçant le doux nom de paix et de fraternité; que leur chef s'étoit présenté pour embrasser le commandant

du poste, et qu'au même instant deux décharges de mousqueterie, parties derrière eux, avoient abattu vingt-trois des braves défenseurs de la convention. Il appuyoit ce récit par deux éloquentes exclamations: O crime! ô scéléra

tesse!

Il ajoutoit qu'à la rue de la Convention (cul-de-sac Dauphin), les canonniers avoient laissé tuer trois de leurs camarades, avant de riposter. Il donnoit ensuite les plus grands éloges au bataillon sacré : c'étoit, suivant lui, l'élite des républicains et des héros, puisqu'il renfermoit dans son sein les Marseillais du 10 août, et cette foule d'officiers patriotes que le royaliste Aubry avoit indignement destitués comme terroristes. Il proposa de décréter que les grenadiers de la convention, les troupes du camp sous Paris, les canonniers, la légion de police, les Invalides, le bataillon des Quinze-Vingts, les gendarmes licenciés, les patriotes de 1789, réunis spontanément pour défendre la convention, avoient bien mérité de la patrie.

De son côté, Barras vint recommander le général corse : « J'appellerai, dit-il, l'atten>>tion de la convention sur le général Buona» parte. C'est à lui, c'est à ses dispositions sa»vantes et promptes, qu'on doit la défense de

>> cette enceinte, autour de laquelle il avoit » distribué des postes avec beaucoup d'habi» leté.... Je demande que la convention con>> firme la nomination de Buonaparte à la » place de général en second de l'armée de >> l'intérieur ».

La proposition fut acceptée au milieu des acclamations; et Buonaparte, couvert du sang de ses concitoyens, ne pensa plus qu'à pour suivre ses nouvelles destinées.

CHAPITRE V.

Suite de la journée du 13 vendémiaire. Mariage de Buonaparte, Sa nomination au commandement en chef de l'armée d'Italie.

UNE heure de combat avoit suffi pour changer la face entière de la France, et la replonger dans toutes les horreurs de la tyrannie révolutionnaire. La soif du sang et l'ardeur de la vengeance se manifestoient par les symptômes les plus effrayans. Tout reprit l'aspect de la terreur dans le sein de la convention; on se crut de nouveau transporté aux époques désastreuses de 1793 et 1794 : c'étoit le même esprit, le même langage, les mêmes fureurs ; les patriotes de 1789, les Marseillais, et les furies de guillotine occupoient les tribunes, et menaçoient de leurs gestes et de leurs clameurs les députés fidèles à la raison et à leurs devoirs. Les scènes les plus tumultueuses se renouveloient tous les jours; les thermidoriens, réunis aux montagnards, luttoient de violences et d'emportemens; on voyoit se signaler à leur tête Barras, Fréron, Louvet, Ché

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