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aux deux conseils. Quelques jours après le 18 fructidor, la France vit transporter dans une cage de fer l'élite de ses représentans, et parmi eux, cet illustre général vainqueur de la Hollande, que ses victoires et ses vertus avoient rendu cher à sa patrie et célèbre dans toute l'Europe. L'indignation étoit à son comble, mais la terreur retenoit tous les bras; et la nation, encore une fois asservie, se vit réduite à attendre de l'avenir une meilleure destinée.

Cependant, des écrivains prêts à louer tous les gouvernemens, pourvu que les gouvernemens leur assurent des places et des richesses, vantoient la sagesse et l'humanité du directoire; et, dans une fête où l'on plantoit l'arbre de la liberté, l'on entendit M. B. Constant exalter ces hautes vertus.

« Les préjugés, disoit-il, l'orgueil, la cupi» dité, la vengeance, la superstition, toutes les >> passions ignobles ou furieuses, se sont ralliées >> autour de l'idée d'un roi».

L'orateur indiquoit ensuite au directoire les mesures qui lui restoient à prendre pour consolider son glorieux ouvrage.

« Il ne faut pas que sur toute l'étendue de >> la république il se trouve, dans une fonction » quelconque, depuis l'administrateur muni»cipal de la plus petite commune jusqu'aux >> dépositaires suprêmes de l'autorité exécu

»tive, depuis le commis le plus subalterne du >> bureau le plus obscur jusqu'au ministre chargé de la gestion la plus importante, un >> seul homme qui ne soit solidaire de la liberté

«

républicaine, qui n'ait contracté envers elle » d'indissolubles engagemens, qui ne porte » dans son âme la confiance de sa force, la » certitude de sa durée, et l'abandon du plus >> entier dévouement elle ».

pour

Enfin, terminant par une péroraison digne de ces beaux temps, il disoit : « Non, ce n'est >> pas la puissance d'une assemblée qui s'est vue » détruite, ce ne sont pas trois hommes qui >> en ont asservi sept cents, ce n'est pas la force » armée qui a subjugué les mandataires de la >> nation; c'est le sentiment patriotique qui a » démêlé la contre-révolution dans une faction >> qui dominoit les conseils, comme ils l'a» voient jadis démêlée dans les projets de la

» cour».

Il est constant que Buonaparte avoit eu la plus grande part à la journée du 18 fructidor. Il y trouvoit l'occasion de satisfaire sa jalousie contre Pichegru, sa haine contre Aubry, ses ressentimens contre les gens de lettres attachés à la rédaction des journaux. C'étoient des officiers de l'armée d'Italie qui présidoient à l'exécution des ordres du directoire. On avoit confié au général Augereau le commandement de la division militaire de Paris, celui de la ville

au général Verdière, et celui de l'artillerie au général Dommartin.

On a rapporté plus haut la proclamation de Buonaparte pour la fête du 14 juillet. A la suite de cette proclamation, il rassembla dans un banquet somptueux l'élite des officiers et soldats de son armée et l'on y porta les toasts suivans: A la constitution de l'an 111; au directoire exécutif, qu'il anéantisse les contrerévolutionnaires qui ne se déguisent plus ! Ce toast étoit celui du général A. Berthier. Celui du général Lannes fut plus expressif: A la destruction du club de Clichy. Les infames! ils veulent encore des révolutions! que le sang des patriotes qu'ils veulent assassiner retombe

sur eux!

L'adresse du chef de brigade L...e, commandant l'infanterie légère, ne respiroit que le carnage : «< Tremblez, vils soutiens du des>>potisme, prêtres infàmes, sacriléges sicaires >> royalistes, demandez à la terre qu'elle vous >> engloutisse! Il n'y a plus de pitié pour vous; >> nous vous avons jugés à mort; c'est une » heure épouvantable qui sonnera, nous pas>> serons comme la foudre, etc. >>

On eût dit que l'esprit de Marat étoit passe dans les camps d'Italie; mais la plupart des adresses avoient été rédigées par le directoire lui-même. Il crut se sauver par la journée da 18 fructidor, il ne fit que préparer sa perte.

CHAPITRE XX.

Suite du 18 fructidor; troubles dans l'intérieur; embarras du Directoire; Buonaparte est chargé du commandement des provinces méridionales.

La journée du 18 fructidor, en privant la France de l'élite de ses représentans, fit disparoître les dernières traces de justice et d'humanité. On vit, au nom de la liberté, reparoître toutes les horreurs de la tyrannie. L'esprit de 1793 sembla rentrer dans le sein des deux conseils, et les représentans du peuple ne se distinguèrent plus que par une déplorable émulation de servitude et de cruauté.

Usurpant le pouvoir suprême, le Directoire couvrit les murs de la capitale de lois de terreur et de sang. Un décret condamna à être fusillé, sur-le-champ, quiconque parleroit de la royauté, de la constitution de 1793 et de la maison d'Orléans. On enjoignit, sous la même peine, à tout Français inscrit sur une liste d'émigrés, de quitter Paris dans l'espace de vingt-quatre heures, et la France dans quinze jours. Plusieurs infortunés, qui n'avoient eu aucune connoissance de la loi, ou ne l'avoient regar

dée que comme une mesure comminatoire, furent impitoyablement mis à mort.

On prescrivit aux prêtres, aux fonctionnaires publics, aux employés du gouvernement un serment de haine à la royauté et d'amour à la république : comme si les affections du cœur étoient à la disposition de l'esprit. On autorisa le Directoire à déporter, à son gré, tous les ministres du culte qui lui paroîtroient troubler l'ordre public (1). On ordonna les visites domiciliaires pour découvrir les proscrits fugitifs, et l'on condamna à la peine de mort quiconque ne se soumettroit point à l'arrêt de sa déportation. Les mesures les plus atroces furent proposées contre les nobles, les privilégiés et tous les Français qu'on pouvoit soupconner de haine pour la tyrannie républicaine. Le député Boulay D. L.M.

(1) Cette loi fut exécutée avec tant d'équité, qu'on expédia pour la Guiane, en qualité de prêtres, de malheureux paysans qui avoient porté la soutane aux ce rémonics de l'église, de pauvres chantres de village qui avoient femme et enfans. L'auteur de ces mémoires fit rendre à sa famille un vigneron du village de Thorigny, retenu comme prêtre dans les prisons d'Auxerre, et confondu avec les assassins et les voleurs

, parce qu'il n'avoit pas le moyen de payer sa nourriture et son lit dans

la maison d'arrêt.

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