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CHAPITRE XXII.

Traité de Campo-Formio; rappel de La Fayette; établissement de la république Cisalpine et de la république Ligurienne; fin des campagnes de Buonaparte en Italie.

DEPUIS l'armistice de Léoben, la situation de l'Italie n'offroit qu'un foible aliment à l'infatigable activité de Buonaparte. Tous les plans de révolutions étoient accomplis, et il n'entroit pas alors dans les vues du directoire d'en commencer de nouvelles. Napoléon lui-même sentoit la nécessité de diminuer le nombre d'ennemis qui menaçoient la république; et c'est une justice que l'histoire doit lui rendre, qu'à cette époque il s'occupa franchement de la paix,et pressa souvent le directoire de la conclure. Il soutenoit avec raison qu'une paix ne pouvoit être solide qu'autant que les clauses en étoient tolérables pour le parti vaincu; que trop de hauteur et trop d'exigence pouvoient irriter l'amour-propre d'une nation, et la porter au désespoir; que les sacrifices que l'on exigeoit de l'Autriche étoient assez douloureux pour elle, sans lui en imposer de nouveaux. Mais le gouvernement français répondoit mal à ses ins

tances les directeurs Carnot et Barthélemy entroient seuls dans ses vues. Les trois autres traitoient d'infàme l'armistice de Léoben, et soutenoient qu'on y avoit indignement compromis les intérêts de la France. Il est certain qu'ils craignoient et haïssoient Buonaparte, et que, même après s'être servis de lui pour le succès du 18 fructidor, ils ne renoncoient point au projet de le perdre. L'ascendant que lui donnoient l'éclat de ses vietoires et le dévouement de ses soldats, leur inspiroit une frayeur toujours croissante; ils voyoient d'avance en lui Marius ou César, et ne redoutoient rien tant que son retour. Chaque jour leur génie ombrageux inventoit de nouveaux incidens pour retarder la paix. Le traité de Léoben portoit que Mantoue seroit restituée à l'empereur, et le directoire vouloit conserver cette forteresse. Napoléon soutenoit en vain que Pizzighitone suffisoit pour la sûreté de la république cisalpine: Rewbel, Barras et Laréveillère s'obstinoient à réclamer Mantoue. Enfin, Buonaparte proposa de céder les ruines de Venise pour les remparts de Mantoue. C'étoit, malgré l'état déplorable de la république vénitienne, accorder à l'empereur plus qu'on ne retenoit ; cependant le directoire consentit à cette proposition; et, après cinq mois de débats, les plénipotentiaires signèrent un

traité, qu'on appela traité de Campo-Formio, et qui fut réellement négocié au quartier général de Passériano.

Buonaparte parut aux dernières conférences plutôt en souverain qu'en simple général; il avoit une garde brillante, une suite nombreuse, de magnifiques voitures, de magnifiques équipages. Ses présens n'étoient pas d'une moindre somptuosité, et l'on ne dissimula pas même dans le Moniteur, que les diamans du souverain pontife ne lui avoient point été inutiles pour soutenir l'honneur de la libéralité française.

Par le traité de Passériano, l'empereur d'Allemagne renonçoit pour lui et ses successeurs, en faveur de la république française, à tous ses droits sur la Belgique ; il laissoit à la république française la possession, en toute souveraineté, des îles vénitiennes de Corfou, Zanthe, Céphalonie, Sainte-Maure, Cérigo.

La république accordoit à l'empereur la Dalmatie, l'Istrie, les îles vénitiennes de l'Adriatique, les bouches du Cattaro, la ville de Venise, les Lagunes et les pays. compris entre les états héréditaires et l'Adriatique.

L'empereur reconnoissoit la république cisalpine comme puissance indépendante, et renonçoit en sa faveur, pour lui et ses descendans, à tous les droits auxquels il pouvoit prétendre avant la guerre.

S. M. impériale s'engageoit à ne recevoir dans chacun de ses ports, pendant le cours de la guerre, plus de six bâtimens armés en guerre, appartenant à chacune des puissances belligé

rantes.

Elle s'engageoit également à céder au duc de Modène le Brisgaw, en indemnité des pays que ce prince avoit perdus en Italie.

Les parties contractantes s'obligeoient à tenir à Rastadt un congrès uniquement composé des plénipotentiaires de l'empire germa nique et de ceux de la république française, pour la pacification entre ces deux puissances.

L'empereur et la république française conservoient entre eux le même cérémonial, quant au rang et aux étiquettes, qu'on avoit observé avant la guerre.

Ce traité fut porté à Paris par le général Berthier, et ratifié le 26 octobre par le directoire. Mais, outre les conditions ostensibles, il y en avoit de secrètes, qui ne furent connues que long-temps après. L'empereur d'Allemagne s'engageoit à employer ses bons offices, à l'époque de la paix avec l'empire germanique, pour assurer à la république française une ligne qui comprendroit la rive gauche du Rhin depuis la frontière de la Suisse, au-dessous de Bale, jusqu'au confluent de la Nèthe, Manheim, la ville et forteresse de Mayence, les deux rives

de la Nèthe, les deux rives de la Roër, Juliers et son arrondissement, etc.; et, dans le cas où l'empereur ne pourroit réussir à obtenir la cession de cette ligne, il s'engageoit formellement à ne fournir que son contingent à l'armée de l'empire. Il consentoit encore à la navigation libre du Rhin et de la Meuse en faveur des Français, et renonçoit à la souveraineté du comté de Falkenstein. De son côté, la république française promettoit d'employer ses bons offices pour obtenir à l'empereur l'archevêché de Salzbourg, et une partie du cercle de Bavière. Le Fricktal devoit être réuni à la république helvétique, à laquelle on se proposoit d'enlever quelques possessions. La Prusse ne devoit faire aucune acquisition nouvelle. Les deux puissances contractantes s'obligeoient à faire céder les fiefs impériaux aux républiques Cisalpine et Ligurienne. Enfin, on devoit faire cause commune au congrès, et se concerter sur les moyens d'indemniser les princes d'Allemagne dont le traité pouvoit blesser les intérêts.

Il étoit facile de prévoir toutes les suites d'une semblable convention : elle recéloit des germes de discorde et de guerre éternelle ; elle compromettoit la dignité de l'empereur, en montrant à l'Europe le chef de l'Empire sacrifiant à ses intérêts particuliers les intérêts publics dont il étoit le protecteur et le conservateur

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