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alors est contentieux, car il est fondé sur un droit résultant d'une loi. Tel serait le cas où on attaquerait un arrêté rendu par un maire qui, sous prétexte de réglementer l'industrie, limiterait le nombre des personnes qui peuvent exercer une profession. Un tel arrêté contiendrait un excès de pouvoir.

170. Il en est de même lorsque des formalités d'instruction qui doivent, aux termes d'une loi, d'un décret ou même de règlements ministériels, précéder un acte de l'autorité discrétionnaire, n'ont pas été observées. Les particuliers, dans l'intérêt desquels ces formalités étaient établies, peuvent attaquer l'acte discrétionnaire par la voie contentieuse, par le motif que leur droit a été méconnu. Ainsi la concession des mines est dans les attributions du pouvoir discrétionnaire de l'administration, aux termes de l'art. 16 de la loi du 21 avril 1810; mais cette concession doit être précédée d'une procédure administrative qui consiste dans la publication et l'affiche des demandes dans certains lieux et pendant un certain temps (art. 72 et suiv. de la même loi), afin de provoquer les oppositions et les demandes en concurrence. Si cette procédure n'a point été observée, les particuliers, qui n'ont point été avertis, peuvent se pourvoir par la voie contentieuse, et demander l'annulation du décret de concession, non par des motifs du fond, mais pour un vice de forme; car l'administration était obligée par la loi à observer cette formalité protectrice des intérêts privés; en ne le faisant pas, elle a violé un droit, et c'est ce droit qui réclame. (Arrêt du Conseil du 13 mai 1818. Liotard.) La même chose a lieu en matière d'autorisation d'usine sur

loi en matière judiciaire sont jugées par la Cour de cessation, qui a succédé au Conseil des parties, lequel était une portion de l'ancien conseil du Roi.

des cours d'eau. (C. d'Etat, 3 mars 1844. De la Marzelle.) Dans ce cas, le Conseil d'Etat annule le décret irrégulièrement rendu, sauf aux parties à se pourvoir de nouveau plus régulièrement. (V. arrêt Liotard.)

171. Telles sont les règles générales qui distinguent les deux modes d'action de l'administration. Il est quelquefois dérogé à ces règles par des dispositions de lois qui établissent le recours par la voie contentieuse, dans des circonstances où l'administration devrait avoir un pouvoir discrétionnaire, et réciproquement; ce sont là des exceptions que nous aurons soin de signaler dans le cours de cet ouvrage, et de résumer dans la troisième partie, où nous traiterons avec plus de développement du contentieux administratif.

CHAPITRE VI.

GARANTIE DES FONCTIONNAIRES PUBLICS.

SOMMAIRE.

172. Nécessité d'une autorisation du Conseil d'Etat pour poursuivre les fonctionnaires publics.

173. Règles spéciales aux ministres, aux membres du Sénat, du Corps législatif, du Conseil d'Etat.

174. Règles spéciales aux membres des cours et tribunaux et aux officiers chargés du ministère public.

175. Fonctionnaires auxquels s'applique la garantie.

176. A l'occasion de quels actes et de quelles poursuites elle peut être invoquée.

177. Les maires et les conseillers municipaux peuvent-ils invoquer les garanties?

178. Explication des art. 60 et 61 de la loi du 4 décembre 1789.

179. Les ecclésiastiques peuvent-ils invoquer la garantie?

180. Fonctionnaires qui peuvent être poursuivis avec l'autorisation des directeurs généraux et des préfets.

181. Fonctionnaires dépouillés de toute garantie.

182. Droits et devoirs des magistrats et des tribunaux en cas de poursuite de fonctionnaires pour crimes ou délits.

183. Peines contre la violation de la garantie des fonctionnaires publics. 184. Demande en autorisation de poursuites. - Procédure. 185. Décrets accordant ou refusant l'autorisation.

172. C'est en vain qu'on enlèverait aux tribunaux le jugement des actes de l'administration, s'ils pouvaient librement traduire devant eux et juger ses agents; car alors, en frappant sur les personnes, ils condamneraient indirectement les actes, et ils paralyseraient facilement toutes les mesures par la crainte qu'ils inspireraient aux fonctionnaires. La loi du 14 décembre 1789 protége les officiers municipaux dénoncés pour délit d'administration. La loi du 24 août 1790 (t. 2, art. 13) et la Constitution du 3 septembre 1791 (t. 3, ch. 5, art. 3) disent positivement que les juges ne pour→ ront citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. La Constitution du 22 frimaire an VIII a modifié ce qu'il y avait de trop général dans cette disposition par son art. 75, encore en vigueur, qui est ainsi conçu :

<«< Les agents du gouvernement, autres que les mi»nistres, ne peuvent être poursuivis pour des faits >> relatifs à leurs fonctions qu'en vertu d'une décision >> du Conseil d'Etat : en ce cas, la poursuite a lieu de>> vant les tribunaux ordinaires. »

Ce privilége reçoit le nom de garantie des fonctionnaires publics. Il est fondé sur un motif d'ordre public, de telle sorte que ceux auxquels il est attribué ne peuvent valablement y renoncer, que l'exception résultant du défaut d'autorisation peut être proposée en tout état de cause, et même relevée d'office par les tribunaux. (C. C. crim., 11 mars 1837. Maire de Waldolwisheim.)

TOME I.

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173. Si les ministres sont formellement exceptés par l'article de la Constitution, c'est qu'à raison de l'éminence de leurs fonctions, la garantie doit être placée pour eux plus haut que pour les autres agents de l'administration. D'après l'art. 13 de la Constitution, les ministres ne peuvent être mis en accusation que par le Sénat. Par la même raison et à cause de la nature des questions à juger, les ministres ne doivent pas être traduits devant les tribunaux ordinaires. L'art. 70 de la Constitution de l'an VIII les rendait justiciables de la haute Cour de justice; les Chartes de 1814 et de 1830, de la Cour des pairs; la Constitution de 1852, dont les bases sont celles de la Constitution de l'an VIII, n'a accordé aucune juridiction au Sénat et a rétabli la haute Cour de justice (art. 54). Ainsi ce serait devant la haute Cour, saisie par un décret impérial, que les ministres seraient traduits pour des faits relatifs à leurs fonctions, après la mise en accusation prononcée par le Sénat (art. 54). Les particuliers ne peuvent donc exercer aucune action contre les ministres, même à fin civile, pour les faits relatifs à leurs fonctions; ils ne peuvent que dénoncer le fait dont ils se plaignent au Sénat.

Quant aux délits de droit commun, il n'en est pas question dans la Constitution de 1852; nous pensons qu'on doit remonter à la Constitution de l'an VIII, dont les articles 70 et 71 combinés décident que les ministres ne peuvent être poursuivis pour délits de droit privé emportant peine afflictive ou infamante (aujourd'hui qualifiés crimes par l'article 1 du Code pénal), sans une autorisation du Conseil d'Etat. Les membres du Sénat, du Corps législatif et du Conseil d'Etat sont irresponsables pour tous les actes de leurs fonctions; mais ils peuvent, dans le cas de crimes,

être poursuivis, ainsi que les ministres, avec l'autorisation du corps auquel ils appartiennent. Dans ces différents cas, la poursuite a lieu devant les tribunaux ordinaires. Enfin, s'il ne s'agit que d'un simple délit ou d'une contravention, la poursuite peut avoir lieu sans autorisation. L'article 74 de la Constitution de l'an VIII ne parle en effet que de délits emportant peine afflictive et infamante, délits qui ont reçu le nom de crimes de l'article 1 du Code pénal de 1810.

174. Les membres des Cours et tribunaux, ainsi que les officiers chargés du ministère public, ne sont pas compris dans les mots agents du gouvernement; ils peuvent donc être poursuivis sans l'autorisation du Conseil d'Etat pour crimes et délits commis, soit hors de l'exercice, soit dans l'exercice de leurs fonctions. Mais la nécessité de maintenir la considération dont la magistrature est entourée a fait établir dans ces différents cas un mode d'instruction et de poursuite particulier. (V. C. d'instr. criminelle, art. 479 à 504. L. du 20 avril 1810, art. 10.) Des raisons analogues ont fait étendre les dispositions de l'article 479 du Code d'instruction criminelle aux grands officiers de la Légiond'Honneur, aux généraux commandant une division ou un département, aux archevêques, évêques, présidents de consistoire et préfets prévenus de délits de police correctionnelle. (L. du 20 avril 1840, art. 10.)

Il s'agit, dans les différents cas que nous venons d'énumérer, d'exceptions motivées sur des considérations autres que celles qui ont servi de base à la garantie des agents du gouvernement, dont nous allons

maintenant nous occuper.

175. Les expressions de la Constitution de l'an VIII offrent une généralité dont on a quelquefois abusé. La jurisprudence ne considère aujourd'hui comme cou

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