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TABLEAU No 75.

Tableau comparatif des affaires jugées en matière criminelle, en 1801 et en 1811.

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Dans les départements italiens qui, comparés à ceux de l'ancienne France, offrent des résultats moins favorables, la progression des crimes est toujours de plus en plus décroissante à mesure que la réunion à l'empire est plus ancienne.

L'Assemblée accueille cet exposé de la SITUATION DE L'EMPIRE par les plus vifs applaudissements.

M. le comte de Montesquiou, président, se lève et dit :

Messieurs,

L'exposé de la situation de l'empire, que nous n'entendons jamais sans un nouvel intérêt, ne peut trouver de juges plus éclairés, ni recevoir d'applaudissements plus sincères qu'au sein du Corps législatif. Qui de nous ignore les progrès de cette circulation intérieure, qui anime toutes les industries, et en fait arriver le produit jusqu'à cette classe laborieuse, qui en avait si longtemps ignore la jouissance ? C'est par le souvenir de ces jours peu éloignés de nous, et non par le regret de ceux qui ne peuvent luire encore, que nous aimons à juger des travaux du Gouvernement et de ses succès. La France, naguère tributaire de l'étranger dans la plupart de ses besoins, sans circulation entre les villes de l'intérieur, sans travail assuré aux habitants des campagnes, et sans salaires proportionnés, voyait son commerce et sa fortune concentrés dans quelques villes maritimes, dont nous regrettons momentanément la splendeur, mais dont l'influence était peu sensible dans les provinces éloignées. Aujourd'hui une agriculture plus savante donne des produits bien plus considérables; de grandes manufactures transportent dans chaque contrée les arts de l'étranger; le travail, plus abondant et mieux payé, fait oublier au peuple ses longues privations. Loin de nous cependant l'idée de toute injustice envers ces temps antérieurs; on fit beaucoup alors, mais nous avons surpassé les espérances de nos pères; et loin de méconnaître ces bienfaits, nous aimons à en rapporter la gloire à leur

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auteur. Comment ne pas admirer ces efforts généreux qu'aucun intérêt ne peut ralentir? Dans cette même année, où des pertes inattendues semblent ne laisser d'autre soin que celui de les réparer, des valeurs immenses sont également consacrées à l'industrie intérieure, à l'entretien de ce qui est achevé, et à l'exécution de ce qui ne l'est pas encore.

Puissent nos ennemis reconnaître enfin les ressources infinies de cet empire, juger de sa grandeur par cette noble émulation de générosité entre le souverain et les peuples, et en prévoir les destinées, lorsqu'elles sont remises à un génie capable d'inspirer autant de terreur à ses ennemis que de confiance à ses peuples!

L'Assemblée renouvelle ses applaudissements. Le Corps législatif ordonne l'impression de l'Exposé de la situation de l'empire et du discours du président et la distribution à six exemplaires. La séance est levée.

CORPS LÉGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE S. EXC. LE COMTE DE MONTESQUIOUFEZENSAC.

Séance du 26 juin 1813.

Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. Le Corps législatif arrête que l'Adresse qu'il a approuvée à l'unanimité, en comité général, sera présentée à S. M. l'EMPREURE ET ROI par une députation composée de :

MM. le comte de Montesquiou-Fezensac, président: le chevalier Borne-Desfourneaux, Gourlay (de Nantes), vice-présidents; le baron Despérichons, le comte de Trion-Montalembert, questeurs; le baron de Vialètes de Mortarieux, Glais, le baron de Ketteler, Van-der-Goes-Van-Dixland, Ri

quet de Caraman, Pepen, le comte Henri de Montesquiou, le baron Van-Imhof, de Beaumont, Lajard (de l'Hérault), de Calvet-Madaillan, le duc de Looz, Gabaléon de Salmour, Dumaire, Ferreri, Girard, de La Gallissonnière, de Trenqualye, le chevalier Adet, le chevalier Bouvier.

L'ordre du jour appelle la nomination de sept membres qui doivent composer la commission des finances du Corps législatif.

Six membres seulement obtiennent la majorité absolue des suffrages, savoir:

MM. Dumolard (de l'Yonne), le baron Blanquart de Bailleul (du Pas-de-Calais), Félix Faucon (de la Vienne), le chevalier de Septenville (de la Dyle), et le chevalier Adet (de la Nièvre).

Ils sont proclamés membres de la commission des finances du Corps législatif.

Un dernier scrutin, pour compléter cette commission, est renvoyé à demain.

La séance est levée.

CORPS LEGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE S. EXC. LE COMTE DE MONTESQUIOUFEZENSAC.

Séance du 27 février 1813.

Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. M. le Président. M. Jourdain (d'Ille-et-Vilaine) a demandé la parole pour présenter un hommage.

M. Jourdain (d'Ille-et-Vilaine). Messieurs, un professeur dont le mérite et les lumières ont devancé les années, M. Carré, qui, dès l'âge de vingt-cinq ou vingt-six ans, à été jugé digne d'enseigner la procédure civile et le droit criminel, à Rennes, chef-lieu de cour impériale et d'académie, et qui a pleinement justifié ce jugement, vient, par mon organe, faire hommage au Corps législatif d'un second fruit de ses veilles. C'est une analyse raisonnée, une conférence des opinions des commentateurs et des arrêts des cours sur le Code de procédure civile.

Cet ouvrage, Messieurs, rappelle les questions si répandues du savant Rodíer de Toulouse, sur l'ordonnance de 1667 relative au même objet de législation. M. Carré a suivi pas à pas, comme son devancier, tous les articles du Code de procédure, et sur chacun de ces articles il a épuisé la série des questions qui sont nées ou qui peuvent naître du texte de la loi.

M. Carré a fort habilement profité du très-grand avantage qu'a le dernier commentateur d'une loi sur ceux qui l'ont précédé. Le Code de procédure civile a exercé, comme le Code Napoléon, le jugement de nombreux jurisconsultes, qui n'ont pas toujours saisi le véritable esprit du législateur. Cette foule de commentaires qui se pressent les uns sur les autres et en sens divers, donnent lieu, tout au moins, de douter s'il ne serait pas plus avantageux à la science de la législation d'interdire, pendant un temps déterminé, toute publication de développements des dispositions législatives, sous quelque titre qu'on voulût les présenter. L'illustre Bacon était ennemi des commentaires, qui tuent la loi, dit-il, au lieu d'affermir son empire. On pourrait du moins, sans inconvénient, arrêter pendant plus ou moins d'années le torrent de ces gloses qui introduisent tant d'erreurs propres à égarer plutôt qu'à éclairer les étudiants et même souvent d'anciens avocats en possession de la confiance publique; et c'est de là que naissent les procès, fléau terrible des familles, abîme sans fond où viennent s'engloutir les fortunes particulières.

L'ouvrage de M. Carré, ayant mûri sous les ailes du temps, est, plus qu'aucun commentaire du même genre, à l'abri de ce reproche. Beaucoup de méprises de ses prédécesseurs ont été rectifiées avec ce ton de modestie et d'aménité qui convient à la vraie science; et la jurisprudence de la cour de cassation qui a eu le temps de se fixer sur les principaux articles du Code, vient toujours à l'appui des décisions de l'auteur.

Je ne vous présente d'ailleurs ici, Messieurs, que le premier volume de l'Analyse raisonnée de M. Carré, dont la deuxième et dernière partie est encore dans les ateliers de la méditation. Je ne doute pas que la publication de cette première moitié n'en fasse désirer la suite.

Si le sentiment de reconnaissance que j'ai eu à peine le temps d'inspirer à l'auteur, mon élève, l'a porté à me dédier son ouvrage que je peux attester avoir lu avec fruit, c'est peut-être un motif pour moi de ne le louer qu'avec réserve. Mais je dois, par-dessus tout, à la justice et à la vérité de rendre témoignage de l'accueil favorable que lui a fait le public dans le ressort étendu de la cour, impériale de Rennes, et je puis dire avec Horace :

Hic meret æra liber soiis.....

Et longum noto scriptori prorgat œvum

Je demande, Messieurs, qu'il soit fait mention de l'hommage au procès-verbal, et que l'ouvrage soit placé dans votre bibliothèque.

Cette proposition est adoptée.

L'ordre du jour appelle le complément de la commission des finances.

Un scrutin de ballottage ayant eu lieu entre MM. le baron Lezurier de la Martel (Seine-Inférieure) et le chevalier Lefebvre-Gineau (Ardennes), le dépouillement des votes donne la pluralité relative à M. Lezurier de la Martel.

Il est proclamé membre de la commission des finances du Corps législatif.

M. le Président. Aucun objet n'étant à l'ordre du jour, MM. les députés seront prévenus à domicile du jour auquel ils devront se réunir.

La séance est levée.

CORPS LÉGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE S. EXC. LE COMTE DE MONTESQUIOUFEZENSAC.

Séance du 11 mars 1813.

Le procès-verbal de la séance du 27 février est lu et adopté.

M. le Président. Divers membres demandent la parole pour présenter des hommages.

M. Lemarchant de Gomicourt. Messieurs, notre collègue Van-Recum fait hommage au Corps législatif de la suite des lostructions sur différentes branches d'économie rurale qu'il est dans l'habitude d'adresser aux cultivateurs des bords du Rhin. Celle qu'il présente aujourd'hui a pour objet de leur démontrer les grands avantages qu'ils peuvent tirer de la culture de la betterave.

Tout ce que notre collègue a déjà fait pour favoriser l'industrie dans son département, le zèle éclairé avec lequel il cherche à y introduire les nouveaux procédés agricoles, lorsqu'il est convaincu qu'ils sont préférables aux anciennes routines, prouvent qu'il est fortement dominé de l'amour du bien public. C'est à ce titre que je demande qu'il soit fait mention honorable de son

ouvrage dans le procès-verbal de la séance de ce jour et le dépôt à la bibliothèque.

M. le chevalier de Gregori. Messieurs, à la séance du 12 juillet 1811, j'ai eu l'honneur de vous présenter, au nom de M. Durandi (Jacques), de la ville de Santia, département de la Sesia, son Histoire géographique de Piemont, tant ancienne que moderne et du moyen âge, à partir de deux mille ans et plus, en six volumes in-4°.

Je vous ai annoncé alors que l'estimable et savant historien m'avait fait concevoir l'espérance de vous offrir une carte géographique de l'ancien Piémont, avec l'indication des grandes routes, des distances itinéraires et des stations militaires des Romains, carte très-utile, même nécessaire pour l'intelligence de son précieux ouvrage.

Le respectable auteur a répondu à mon espoir, et il a non-seulement publié cette carte très-intéressante, mais de plus il en a donné l'explication très-détaillée; et à mon passage de Rome à Turin, il a bien voulu me charger de son nouvel hommage au Corps législatif.

Je m'acquitte avec le plus sincère plaisir de l'agréable commission de M. Durandi, homme très-illustre de mon département, qui a su mériter en 1808 les suffrages unanimes du collége électoral de la Sesia, pour être candidat au Sénat conservateur, et l'accueil favorable que vous donnerez à son ouvrage lui sera d'un grand prix dans sa belle vieillesse.

Permettez, Messieurs et chers collègues, que je vous développe en peu de mots le plan de cette carte géographique, que je vous prie de confronter avec celle de M. d'Anville, pour juger de son mérite.

L'auteur a voulu non-seulement déterminer les limites de chaque région de l'ancien Piémont, mais il a de plus indiqué les routes militaires et commerciales qui entrecoupaient ce pays.

Deux sont les routes militaires des Romains qui communiquaient aux Gaules: la première venait de Milan à Novare, Verceil, Ivrée (1), Aoste, et de l'Alpe Graja (petit Saint-Bernard), descendait dans la Tarentaise. Cette même route se partageait à Aoste, et, par Eudracinum (Saint-Remy), menait in Summo Pennino (le grand Saint-Bernard), et de là dans le Valais.

La seconde route passait de Pavie à Lumello, Cutias (2) (Cozzo), Carbantia (Terre-Neuve), Rigomagus (Trin), Quadrata (près de Grescentin), et menait à Turin, où elle se divisait en deux autres routes, dont l'une allait par Suze, Martis Fanum (Oulx), Sezane, in Alpe Cottia (Mont Genèvre), et de là à Briançon; l'autre, par la vallée de la Perose et Ocellum, aboutissait aussi au Mont Genèvre.

Notre auteur remarque que cette dernière route doit avoir été pratiquée par Annibal et par JulesCésar, aux époques mémorables de leur descente en Italie.

Les grands chemins énoncés par les historiens, sous les noms de via Postumia, via Emilia et via Aurelia, ont été clairement déterminés et tracés dans la carte de M. Durandi.

La via Postumia allait de Plaisance à Gênes, passant par Tortone et Liberna, près de Serravalle.

La via Emilia reprenait son ancien nom à Tor

(1) On remarque ici un chemin de traversé qui va à Turin par Decimum, près de Brandizzo.

(2) Cette même route allait à Verceil, et de là, par Septimum, se repliait sur Rigomagus.

tone (1), et par Acqui se prolongeait jusqu'à Vado, près de Savone.

La via Aurelia suivait de Gênes à Savone tout le long du littoral jusqu'à Nice. Nous devons à la sagesse du grand monarque qui nous gouverne la reconstruction de cette importante route dont les travaux magnifiques sont bien avancés; route qui est au surplus prolongée dans le département des Apennins par Chiavari, Sarzane, jusqu'en Etrurie, et rapprochera Rome de Paris.

Ón conçoit difficilenient comment M. Durandi, dans son åge avancé, a pu achever un travail si pénible et si rempli de détails instructifs.

Je vous prie, Messieurs, d'accueillir avec bonté l'hommage que je suis chargé de vous faire de cette carte géographique, et d'en ordonner le dépôt à la bibliothèque, avec mention honorable au procès-verbal.

M. le chevalier Rallier. Messieurs, M. Noizet-Saint-Paul, notre collègue, vous fait hommage d'un ouvrage dont il est l'auteur, et qui a pour titre Eléments de fortifications à l'usage des officiers des états-majors des armées, et mis à la portée des jeunes élèves des écoles militaires.

Cet ouvrage, qui ne laisse aucun enseignement à désirer sur l'une des branches les plus intéressantes de la science militaire, est lui-même extrait d'un traité complet de fortifications, que notre collègue a composé pour l'instruction des jeunes officiers du génie.

Get abrégé sera pour les écoles militaires un excellent livre classique. On y trouvera, de plus, ce qui nous manquait depuis longtemps, une sorte de manuel pour les officiers de tous les étatsmajors des armées, et même pour les officiers de tous les grades et de toutes les armes.

Il n'en est effectivement aucun qui ne puisse être appelé à fortifier, défendre ou attaquer un poste; à concourir, de quelque manière que ce soit, à la prise ou à la défense d'une place; à diriger même en chef l'une ou l'autre de ces deux grandes opérations.

Il faut donc qu'un jeune officier soit initié de bonne heure dans toutes les connaissances que ces différents services exigent. Il faut que son coup d'œil, avant d'embrasser tout un champ de bataille, s'exerce sur des espaces plus bornés. Il faut qu'à la première inspection d'un terrain, il saisisse tous les avantages qu'y offre la nature, tous ceux que l'art y peut le plus facilement ajouter. Il faut qu'il fasse exécuter régulièrement ce qu'il a rapidement conçu; enfin, il faut qu'il établisse entre l'ardeur guerrière innée dans les cœurs français et les talents dus à l'étude, cette heureuse alliance à laquelle on reconnaît un militaire accompli.

Il trouvera toutes les lumières de ce genre qui peuvent lui être utiles dans un ouvrage qui, sous le titre modeste d'Eléments, renferme surtout ce qui a trait à son but, l'instruction la plus complète.

Ces Eléments de fortifications enseignent nonseulement l'art de construire et de défendre des places fortes ou des postes militaires, mais encore celui de les attaquer. Ces deux sciences ont une grande connexité entre elles. Qui connaitra mieux, en effet, en quoi consiste la véritable force

(1) On remarque que de Tortone partait un chemin communal qui passait par Asti, Alba, Polentia, Bene, et aboutissait à la Stura, en se réunissant à la grande route qui, d'Asqui par Bredulum Pedona Auriates, menait au col de l'Argentiera.

des places que celui qui s'est étudié à triompher de tous les obstacles que leur défense a opposés jusqu'ici ?

C'est la même main sans doute qui tracera dignement la réponse à ces deux importantes questions:

1° Que faut-il faire pour assurer et pour accélérer la conquête d'une place dont la prise peut décider du succès d'une campagne?

2o Par quels moyens peut-on prolonger, autant que possible, la défense d'une place de la conservation de laquelle peut dépendre tout au moins le salut d'une province entière?

L'attaque et la défense des places, sciences qui immortalisèrent Vauban, se sont encore perfectionnées depuis. Elles ont dû se ressentir aussi des accroissements successifs qu'a pris l'arme de l'artillerie. On suivra avec intérêt, dans l'ouvrage de notre collègue, la marche progressive de ces perfectionnements.

Ce ne sont point ici, Messieurs, des théories purement systématiques. Tout ce que dit, tout ce qu'enseigne notre collègue, il l'appuie invariablement sur l'expérience. Il a consulté celle des siècles passés ; il a consulté la sienne propre; il a consulté surtout celle de tant de campagnes glorieuses qui, dirigées par le modèle de tous les guerriers, ont été, dans chaque partie du grand art de la guerre, l'école la plus instructive et la plus parfaite.

Je demande la mention de l'hommage au procèsverbal, et le dépôt de l'ouvrage à la bibliothèque.

M. Petit (du Cher). Messieurs, je fais hommage à l'Assemblée d'un ouvrage que je crois digne de fixer son attention, car il traite d'un point de législation très-important.

Ce n'est point un commentaire sur la loi des hypothèques, c'est un système qui a pour but de démontrer la possibilité de perfectionner cette loi, et la nécessité d'en faire l'application d'une manière conforme aux principes de bonne foi, qui, étant de la nature de tous les contrats, doivent être aussi de la nature de l'acte qui garantit leur exécution.

En rendant les hypothèques publiques, le législateur a eu en vue la sûreté des transactions : il a voulu que le droit hypothécaire fût connu; mais il n'a pu vouloir que sa conservation devint plus difficile que dans le régime ancien qu'il a si sagement supprimé. Cependant des formes rigoureuses compriment l'acte conservatoire qui est l'inscription, et l'interprétation que les tribunaux ont faite de la loi, a produit ce résultat inattendu, c'est que l'hypothèque en devenant publique est devenue bien moins assurée. Ainsi les meilleures institutions s'altèrent; quand on ne saisit pas bien les intentions qui les ont dictées, on s'éloigne du but d'utilité publique qu'elles devraient atteindre.

Cet ouvrage, Messieurs, se recommande par des intentions modestes, par des vues sages et par une diction qui m'a paru être pleine de force et d'intérêt. L'auteur, M. Hua, avocat en la cour de cassation, aura reçu une noble récompense, si l'assemblée daigne agréer l'hommage de son livre, en ordonner la mention au procès-verbal et le dépôt à sa bibliothèque.

M. Sédillez. Messieurs, j'ai l'honneur de vous présenter un ouvrage intitulé: Principes d'administration publique, par M. Bonnin.

Ce titre ne plaira pas, sans doute, à ceux qui croient ou feignent de croire qu'il n'y a point de principes en administration.

Administrer, disent-ils, c'est agir, c'est obéir; il n'y a pas à délibérer sur des ordres, ni à discuter sur des actions commandées : le seul principe, c'est l'obéissance.

Cette assertion est tranchante, mais est-elle juste? Dans les choses les plus simples, les plus indifférentes de la vie, il y a, on ne peut le nier, des règles de détermination et de conduite dont on ne peut s'écarter impunément; comment serait-il possible que l'administration des affaires publiques qui embrasse tant de choses, qui se complique de tant et de si grands intérêts, füt abandonnée, sans règles, au hasard, au caprice, à l'arbitraire?

L'ouvrage de M. Bonnin est bien fait pour réfuter cette erreur, pour anéantir cette illusion de la vanité ou de l'ignorance.

Sans doute les administrateurs doivent agir et obéir; mais leur action, leur obéissance, serontelles l'effet d'un pur mécanisme? N'est-il rien laissé à leur intelligence, à leur prévoyance, à leur direction?

Les juges aussi doivent obéir aux lois; et qui a jamais nié qu'il y eût des principes en jurisprudence?

Il y a donc aussi en administration des principes avec lesquels on est sûr de réussir, sans lesquels on ne peut espérer de faire le bien ou de le faire toujours (1).

Ce n'est pas devant vous, Messieurs, qu'on doit s'arrêter longtemps à combattre l'opinion contraire. S'il pouvait rester quelque doute, il s'évanouirait bientôt en présence de cette foule de dispositions vraiment administratives, qui, dans cette session, comme dans les précédentes, vous seront présentées pour les convertir en loi, et qui vont porter la consolation, la prospérité, le travail et l'activité dans tout l'empire. Et certes, Messieurs, vous en ferez la remarque, les administrations, qui sont en contact immédiat avec le peuple, ont, en cette partie, l'initiative du bien.

Mais où trouver ces principes qui constituent l'art d'administrer? M. Bonnin les puise dans la nature même des choses, dans la connaissance des affaires, dans les lois générales et particulières qui établissent les rapports de l'Etat avec ses membres, et surtout, ouí, surtout, Messieurs, dans l'étude approfondie de notre droit civil, qui contient toutes les règles de sagesse et d'expérience sur l'application des lois. Oui, Messieurs, dans l'étude approfondie de notre droit civil, qui contient toutes les règles de sagesse et d'expérience sur l'application des lois. Oui, Messieurs, dans tous les temps, les meilleurs administrateurs ont été tirés du corps de la magistrature, et notre législateur avait cette vérité bien présente à l'esprit lorsqu'il ordonna que, dans les écoles publiques, le droit civil serait enseigné dans ses rapports avec l'administration publique (2).

Messieurs, la justice est une, mais les formes varient selon la nature des affaires.

(1) D'où vient donc cette étonnante opiniâtreté à nier les principes administratifs? C'est peut-être qu'il est plus facile de les nier que de se mettre les étudier. On commence ordinairement à être ambitieux et à rechercher les places dans un âge où il n'est plus temps de se livrer à l'étude; on aurait également honte d'ignorer et d'étudier; on a plutôt fait de croire à la science infuse, à l'infaillibilité de l'instinct.

(2) Je crois qu'on exige de ceux qui se présentent pour être auditeurs, qu'ils soient licenciés en droit. Cette institution des auditeurs peut être d'une grande influence en complétant la théorie par l'expérience.

Dans les tribunaux, il n'est question que de régler des intérêts privés, qui sont égaux entre eux; dans les administrations, on a à concilier l'intérêt particulier avec l'intérêt général, et celui-ci doit souvent l'emporter. Ainsi, c'est l'in tervention de l'intérêt public dans les affaires administratives qui modifie les principes et les formes du droit civil. Le grand point est donc de bien savoir ce que c'est que le bien public et ce qu'on lui doit. L'administration, qui est aussi un art de justice et de raisonnement, consiste à faire la juste part de l'intérêt public, en lui accordant toute la prépondérance qu'il doit avoir, et en froissant le moins possible les intérêts des individus.

Les juges des tribunaux, inamovibles, indépendants, désintéressés, sont astreints à des formes qu'on dit protectrices, mais qui retardent la marche, et dont la mauvaise foi peut abuser; l'usage de la plaidoirie a trop souvent l'inconvé nient d'obscurcir le droit, de servir les passions, d'égarer la justice même. Les procès se décident lentement.

Dans les affaires administratives, on permet aux affaires une marche plus libre, un style plus simple, des formes plus expéditives; la décision est plus prompte où peut l'être; mais est-elle toujours assez éclairée, assez impartiale?

Le domaine du droit public et celui du droit privé, sont tellement mêlés, tellement enclavés l'un dans l'autre, que leurs limites ne sont pas toujours bien reconnaissables; la ligne qui les sépare est quelquefois imperceptible.

Dans ces matières, les gens peu instruits, ou mal instruits, donnent souvent dans les extrêmes opposés; les uns accordent tout à l'intérêt public, les autres tout à l'intérêt privé. Les lois ont pourtant posé des principes pour accorder ces deux intérêts; mais il faut une tête bien organisée, un esprit bien sage, pour en faire un juste discernement, une raisonnable application.

La variété des affaires, la complication des intérêts, sont bien plus grands en administration qu'en jurisprudence. Aussi, Messieurs, pour être un bon administrateur, il faut d'abord être un bon jurisconsulte, et, de plus, comme autrefois à Rome, un homme d'Etat (1).

Si quelques personnes d'un rare talent, parvenues à de grandes places, sans étude et sans expérience, ont cependant parcouru la carrière administrative d'une manière brillante, on ne peut attribuer ce prodige qu'à leur génie qui a deviné l'art, qui l'a créé pour eux, quoiqu'il existât avant eux; mais aussi, combien d'autres n'ont jamais appris leur métier, ou, ce qui est bien déplorable, ne l'ont appris qu'aux dépens de la chose publique et des administrés! C'est une cruelle position que d'avoir à improviser son état (2)

(1) La tête d'un administrateur doit rester libre; il ne la faut pas remplir d'une érudition inutile; laissons les lois positives dans les bibliothèques pour y avoir recours au besoin; ce qu'il faut saisir par l'intelligence, ce qu'il faut graver profondément dans l'esprit, c'est la doctrine administrative qui résulte de la raison et d'une sage dialectique.

(2) Quand l'administrateur croit avoir satisfait à tous les devoirs de sa place, il lui en reste encore un bien important à remplir. Il faut qu'il se pénètre de l'idée qu'il représente le Gouvernement, et par conséquent qu'il ne doit rien négliger pour lui concilier le respect et l'amour des peuples (Quelle tâche !) Il ne s'agit pas pour cela de faiblir dans les mesures d'administration, T. XI.

En dernière analyse, l'administration peut se réduire à ces deux mots : prévoir et pouvoir; mais combien ces deux mots renferment de choses! De quelle tranquillité peut jouir celui qui est chargé du bonheur des peuples? Encore s'il était payé de ses soins par la reconnaissance; mais non, pour faire le bien, un administrateur ne doit pas craindre de s'exposer à encourir la haine de ceux qu'il veut servir; il exerce les fonctions de la Providence, il est souvent calomnié comme elle; comme elle, il faut qu'il cherche sa récompense dans lui-même.

Messieurs, pour bien étudier le droit civil, nous avons peut-être trop de livres; mais en administration, ceux qui réunissent la théorie à la pratique, sont très-rares. M. Bonnin a embrassé cette tâche. Son ouvrage paraîtra un peu volumineux pour un livre de doctrine; mais il faut faire attention que l'administration publique n'ayant pas encore été envisagée sous le rapport des principes, que ces principes même ayant été niés ou contestés, l'auteur a été obligé d'entrer dans des développements et forcé de tout démontrer. M. Bonnin paraît avoir beaucoup médité sur les hommes et sur les choses; il a interrogé la raison et pénétré, peut-être un peu trop avant, dans les mystères de la métaphysique; mais, dans un ouvrage de cette nature, il était indispensable de remonter aux sources, et il ne faut pas craindre de l'avouer, toutes les sources sont là.

Il a surtout bien fait remarquer que l'idée du père de famille est le plus parfait modèle qu'on puisse se proposer dans l'exercice de la puissance. Cette seule idée contient tous les principes d'une bonne et sage administration; mais ce n'est peutêtre pas dans une grande ville et dans les pays où la civilisation est un peu avancée, qu'il faut chercher la juste mesure de l'autorité et de l'administration paternelle; il faudrait pour cela se reporter vers l'antiquité, ou du moins vers ces contrées du nouveau monde, où l'on trouve encore quelque image de la vie et des mœurs patriarcales.

C'est là qu'un père est un vrai monarque, que les sujets sont des enfants; c'est là que le gouvernement d'une famille ressemble beaucoup au gouvernement d'un Etat; c'est là enfin qu'on peut voir un père heureux au milieu d'une famille nombreuse, qui obéit avec respect à des lois dictées par l'amour. Si ce père se sépare de sa famille, ou si elle se sépare de lui, malheur à tous!

Messieurs, lorsque dom Pèdre de Tolède fut envoyé par Philippe III, roi d'Espagne, en ambassade auprès d'Henri IV, après les troubles de la guerre civile, il ne reconnut plus la ville de Paris qu'il avait vue autrefois si malheureuse et si languis- . sante. C'EST QU'ALORS, lui dit Henri, LE PÈRE DE FAMILLE N'ÉTAIT PAS LA.

Ce not est digne d'un roi et d'un sage.

J'ai l'honneur, Messieurs, de vous proposer d'agréer l'hommage de M. Bonnin, d'ordonner qu'il en sera fait mention honorable au procès

de caresser les préjugés ou d'éblouir par le luxe; ces moyens n'atteindraient pas le but, ils s'en écarteraient peut-être. Toute la conduite politique et privée du magistrat doit tendre à tempérer la sévérité des ordres par l'aménité des formes, par l'assiduité au travail, par la patience, par l'attention de se rendre accessible à tous en prouvant aux administrés qu'on est envoyé, non pour leur donner des fêtes, mais pour faire leurs affaires, pour leur rendre une justice impartiale, pour s'occuper de leurs intérêts et les concilier avec les intérêts de l'Etat.

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