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mée carthaginoise. Denys en profita : il attaqua les ennemis par terre et pár mer, en fit un grand carnage et détruisit presque toute leur flotte. Imilcon lui offrit cinq cents talents pour obtenir la liberté de se retirer. Denys accorda cette liberté aux Carthaginois et non à leurs alliés. Imileon se retira précipitamment ; les barbares qu'il abandonnait furent tous tués ou pris. Les Ibériens seuls capitulèrent; on les incorpora à la garde royale : ainsi Carthage vit son orgueil humilié au moment où elle se croyait maîtresse de la Sicile.

Denys étendit ses conquêtes dans toute la contrée. Il menaça ensuite Rhège; et tous les Grecs d'Italie formèrent une ligue contre lui. Les Gaulois, dont l'ambition convoitait l'Italie, offrirent leur appui au tyran de Syracuse. Magon revint en Sicile, fut de nouveau battu et signa la paix. Cette guerre terminée, Denys porta ses armes en Italie, y gagna une grande victoire et fit dix mille prisonniers. Il les renvoya sans rançon, et conclut un traité avec ses ennemis. Rhège fut seule exceptée; il attaqua vivement cette ville, et reçut une blessure pendant le siége. Les habitans, privés de vivres et réduits à la dernière extrémité, se rendirent. Il donna la liberté à ceux qui se rachetaient, et vendit les autres. Phytta, qui avait engagé la ville à se défendre, éprouva toute la rigueur du tyran; il le fit attacher à un poteau et battre de verges. Pour aggraver son supplice, il lui apprit qu'on

venait de jeter son fils dans la mer. « Mon fils » répondit ce père infortuné, est plus heureux » que moi d'un jour. >>

Son amour pour les let

La vanité de Denys ambitionnait tous les genres de gloire; il voulait conquérir la palme des lettres tres. comme celle des armes. Ce noble sentiment tem--` péra quelquefois ses vices, et lui arracha souvent marques d'estime pour les généreux courages qui lui résistaient.

des

Il n'aimait pas la vertu; mais il admira et res = pecta celle de ses deux femmes. L'industrie et les talens recevaient de lui des encouragemens et des récompenses, et s'il commit autant de cruautés que la plupart des tyrans, il développa aussi de grandes qualités dont ils étaient privés.

Sa rigueur, comme roi, le fit hair; sa vanité comme poète, le rendit ridicule. Il envoya à Olympie son frère Théaride, pour disputer en son nom le prix de la course et de la poésie. La magnificence de ses équipages, la voix sonore des lecteurs qu'il avait choisis, attirèrent d'abord un applaudissement général. Mais lorsqu'on entendit ses vers, ils excitèrent un rire universel. Ses chars, mal conduits, se brisèrent contre une borne; et la galère qui ramenait ses envoyés fut battue par une tempête et désemparée.

La flatterie de sa cour le consola des rigueurs de l'opinion publique. Cependant ayant lu un jour au poète Philoxène une pièce de vers, celui-ci la criti

qua librement. Le prince, irrité, l'envoya dans une prison qu'on nommait les carrières. Quelques grands ayant intercédé pour lui, Denys le remit en liberté et l'invita même à dîner. Pendant le repas le roilut encore des vers, et demanda à Philoxène son avis. Celui-ci répondit en souriant : « Qu'on me >> remène aux carrières. » Cette plaisanterie demeura impunie.

Il fut plus sévère pour Antiphon. Le prince demandait quelle était la meilleure espèce d'airain; Antiphon dit que c'était celui dont on avait fait les statues d'Harmodius et d'Aristogiton: ce trait lui coûta la vie.

Un second échec littéraire à Olympie irrita tellement Denys, que plusieurs de ses amis périrent victimes de sa fureur. Pour se distraire de

de ses chagrins il fit une expédition en Épire, ct rétablit sur le trône Alceste, roi des Molosses. Une irruption en Toscane, et le pillage d'une ville et d'un temple, lui valurent quatre cents talens. Ayant entrepris une autre guerre contre les Carthaginois, il perdit une bataille où son frère Leptine fut tué, et il se vit obligé de céder plusieurs places en Sicile à ses ennemis.

De tous les triomphes de Denys, celui dont il jouit avec le plus d'ivresse fut le prix qu'il remporta dans Athènes aux fêtes de Bacchus. Il y avait envoyé une tragédie pour le concours; on le proclama vainqueur. Il est impossible de peindre

l'excès de ses transports; il ordonna de rendre de publiques actions de grâces aux dieux; il ouvrit les prisons, prodigua ses trésors; toutes les maisons étaient en fêtes; tous les temples fumaient d'encens dans sa joie, il se livra tellement aux excès de la table, qu'une indigestion le mit à l'extrémité. Il avait eu plusieurs enfans de ses deux femmes. Dion voulait qu'il préférât ceux d'Aristomaque, et disait que cette princesse, étant syracusaine, devait l'emporter sur une étrangère. Un autre parti, puissant dans la cour, soutenait le jeune Denys, fils de la Locrienne Dorisque. Le tyran l'avait déjà désigné pour son successeur. Mais comme les conseils Sa mort. de Dion semblaient faire impression sur son esprit, les médecins, craignant qu'il ne revînt sur sa décision, lui donnèrent un narcotique qui le fit passer du sommeil à la mort. Il était âgé de cinquantehuit ans.

Ce prince respectait aussi peu les dieux que

:

les

hommes revenant à Syracuse avec un vent favo-
rable, après avoir pillé le temple de Proserpine à
Locres, « Vous voyez, dit-il, comme les dieux
>> favorisent les sacriléges. » Une autre fois, il
dépouilla la statue de Jupiter d'un manteau d'or
massif, assurant que ce vêtement était trop lourd
en été, et trop froid en hiver. Il y substitua un
manteau de laine propre à toutes les saisons.
Il enleva à l'Esculape d'Épidaure sa barbe d'or,
sous prétexte qu'il n'était pas convenable qu'un fils
TOME 3.

3

Amitié de

Damon et de

portât de la barbe quand son père n'en avait pas. Dans la plupart des temples on avait placé des tables d'argent avec cette inscription: Aux bons dieux; il s'en empara, voulant, dit-il, profiter de leur bonté. Ces dieux étaient représentés le bras tendu et portant à la main des coupes et des couronnes d'or: il s'en saisit, disant que c'était folie de demander sans cesse des biens aux dieux, et de les refuser lorsqu'ils étendaient la main pour les offrir.

La crainte, inséparable de la tyrannie, lui inspirait une méfiance qui le rendait plus malheureux que ses victimes. Son barbier s'étant vanté de porter quand il le voulait le rasoir à la gorge du tyran, il le fit périr. Depuis ce temps, ses filles seules le rasèrent. Quand elles furent vieilles elles lui brûlaient la barbe avec des coquilles de

noix.

Il faisait fouiller les appartemens de ses femmes avant d'y entrer. Son lit était environné d'un fossé profond; un pont-levis en ouvrait le passage. Son frère et ses enfans ne pénétraient chez lui que visités et désarmés.

Quoiqu'il ne goûtât point les plaisirs de l'amitié, Phytias. il en sentait le prix. Ayant condamné à mort un citoyen nommé Damon, celui-ci demanda un sursis et la permission de faire, avant de mourir, un voyage nécessaire. Phytias, son ami intime offrit de se mettre en prison à sa place, et répondit

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