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de l'exactitude de son retour. Le temps prescrit était presque entièrement écoulé; l'instant fatal approchait; Damon ne revenait point. Tout le monde tremblait pour la vie de Phytias; celui-ci, calme et serein, ne témoignait aucune inquiétude et disait que son ami arriverait au moment fixé. L'heure sonna; Damon parut et se jeta dans les bras de Phytias. Denys, versant des larmes d'attendrissement, accorda la vie à Damon, et demanda comme faveur aux deux amis d'être reçu en tiers dans leur amitié.

Le roi ne s'aveuglait pas sur sa position. Un de ses courtisans, Damoclès, exaltait sans cesse le bonheur du prince, sa richesse, sa puissance, la magnificence de son palais et la variété des plaisirs dont il jouissait. « Puisque vous enviez mon bon>> heur, lui dit Denys, je veux vous mettre à portée » de le goûter. » Il le plaça sur un lit d'or, lui fit servir un festin magnifique et l'environna d'esclaves de la plus rare beauté prêts à exécuter tous ses ordres.

Damocles respirant les parfums les plus exquis, voyant à sa disposition les mets les plus délicats, paraissait dans l'ivresse de la joie; tout à coup, en levant les yeux, il aperçoit la pointe d'une lourde épée suspendue sur sa tête, et qui ne tenait au plafond que par un crin de cheval. Le plaisir disparaît; la terreur le remplace; il ne voit plus que la mort, et demande pour unique grâce qu'on le

Épée de Damoclès.

Son règne paisible.

délivre promptement d'une volupté si menaçante et d'un bonheur si périlleux. Quelle effrayante image de la tyrannie, surtout quand elle est tracée par le plus habile et le plus fortuné des tyrans!

DENYS LE JEUNE.

LES exploits de Denys, sa popularité dans les derniers temps de sa vie, la richesse de l'État et l'habitude de l'obéissance semblaient avoir familiarisé les Syracusains avec la tyrannie. Denys le Jeune monta sans obstacles sur le trône, et succéda paisiblement à son père. Il montra d'abord autant de douceur et de nonchalance que son prédécesseur avait déployé d'activité et de sévérité. Les talens de Dion pouvaient être très-utiles au roi, à qui il proposa d'aller négocier la paix en Afrique, ou, s'il préférait la guerre, de commander les armées et d'équiper à ses frais cinquante galères. Son zèle, bien accueilli par le roi, et mal interprété par les courtisans, devint bientôt suspect. Ces lâches flatteurs, au lieu de louer sa générosité, firent craindre sa puissance. Dion ne partageait pas leurs débauches, et voulait préserver le roi du poison de leurs conseils. Ils le représentèrent à f Denys comme un rival dangereux et comme un censeur importun. Il est vrai que la rigidité de ses formes effrayait la jeunesse et rendait sa vertu moins persuasive. Platon, son maître, lui repro

chait la rudesse de son caractère, et parvint à l'adoucir.

Le roi aimait les lettres et les arts: bon et familier avec ceux qui l'approchaient, ses amis prenaient facilement sur lui un grand empire. Dion, quile savait, lui inspira un vif désir de voir Platon. Ce philosophe résista long-temps à ses instances; mais l'espoir de faire un grand bien aux hommes, en adoucissant la tyrannie, le détermina.

de Platon

Son arrivée à Syracuse répandit l'effroi parmi Arrivée les courtisans qui croyaient déjà voir la renais- à Syracuse. sance de la liberté et la réforme des abus. Ils lui opposèrent avec adresse Philiste l'historien, homme d'État habile, partisan des priviléges des grands et du pouvoir arbitraire: on le rappela de son exil.

Le roi reçut Platon avec honneur. Son esprit le charma, et en peu de temps son amitié pour lui devint une passion. Il ne pouvait plus vivre sans lui et ne voulait rien faire que par ses avis. La cour, changeant de décoration comme un théâtre, semblait transformée en académie.

Au milieu d'un sacrifice, le héraut ayant dit, selon la coutume : « Puissent les dieux maintenir >> long-temps la tyrannie et conserver le tyran, » Denys s'écria: «< Ne cesseras-tu jamais de me mau>> dire? » Cette exclamation consterna Philiste et ses amis. Ils s'appliquèrent à décrier Dion et Platon, et à miner leur crédit. « Autrefois les Athé

Exil de Dion.

Retour

»niens, disaient-ils au prince, n'ont pu prendre >> Syracuse avec cinquante mille hommes, et au»jourd'hui un seul de leurs sophistes va vous dé» trôner, et vous donner en échange d'une auto» rité réelle un souverain bien chimérique, que >> leur académie ne peut pas même définir. »

Le hasard vint au secours de leurs intrigues. On intercepta des lettres que Dion écrivait aux ambassadeurs de Carthage, et dans lesquelles il les invitait, pour parvenir à faire une paix solide, à ne pas négocier avec Denys, sans qu'il fût présent aux conférences: on fit envisager au roi cette correspondance comme une trahison.

Ce prince, ayant caché quelques jours son ressentiment, engagea Dion à se promener avec lui, le conduisit au bord de la mer, lui montra ses lettres, lui adressa de vifs reproches; et, sans vouloir attendre sa justification, le fit embarquer pour le Péloponèse.

Le bruit se répandit aussitôt qu'on devait faire mourir Platon: mais Denys se borna à le loger et à le garder honorablement dans la citadelle, afin de l'empêcher de rejoindre Dion; car son amitié pour ce philosophe, loin d'être affaiblie, était mêlée de jalousie comme la passion la plus ardente, et il l'accablait tour à tour de caresses et de reproches.

Platon voulait profiter de cette amitié tyranAthènes. nique pour obtenir la grâce et le retour de Dion. Le

de Platon à

roi promettait son rappel, à condition qu'il ne le décrierait pas dans l'esprit des Grecs. Platon, fatigué de voir qu'on l'amusait par de vaines paroles, exigea et obtint enfin la liberté de retourner en Grèce. Arrivé à Athènes, et nommé magistrat, son tour vint de faire les frais des fêtes et des spectacles publics; Dion voulut en payer la dépense. Après avoir rempli ce devoir d'une généreuse amitié, il parcourut toute la Grèce, et conquit par ses vertus l'estime générale. Les Lacédémoniens lui donnèrent à Sparte le droit de cité.

à Syracuse.

Cependant le roi de Syracuse, toujours épris de la philosophie, malgré ses courtisans, appelait près de lui de toutes parts les sages les plus célèbres : leurs entretiens ne purent lui faire oublier Platon; son absence irritait le désir qu'il avait de le revoir. Il lui écrivit que s'il ne revenait pas, Dion resterait toujours exilé. L'amitié le ramena à Son rappel Syracuse. Il y jouit, dans les commencemens, d'une grande faveur; mais comme il sollicitait sans relâche le rappel de Dion, et que Denys, au lieu d'y consentir, faisait vendre ses terres, le roi et le philosophe se brouillèrent. Les gardes du tyran voulurent tuer Platon, l'accusant d'avoir conseillé au roi d'abdiquer. Denys lui sauva la vie, Son retour et le laissa retourner en Grèce.

La sagesse s'exila avec lui de Syracuse; Denys, privé de ses conseils, se livra sans réserve aux voluptés. L'injustice est compagne des vices; nc

en Grèce.

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