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Religion.

Force

du gouver

nement.

massacres,

patrie.

trouvèrent à Carthage une seconde

Les deux pays avaient les mêmes dieux; Carthage adorait principalement Saturne, Hercule, Junon, un démon qu'elle appelait son génie, et une divinité nommée Céleste. Polybe nous a conservé un traité conclu entre Philippe, roi de Macédoine et les Carthaginois; il commence ainsi : « Ce traité a été conclu en présence de Ju» piter, d'Hercule, de Junon, d'Apollon, du » démon de Carthage, de Mars, d'Iolaüs, de >> Triton, de Neptune, etc. >>

Céleste, ou Uranie, était la lune. Dans les plus grandes calamités on sacrifiait des victimes hu+ maines à Saturne. Plutarque, en parlant avec horreur de cette affreuse coutume, trouve l'athéisme moins odieux que cette infâme superstition. « II >> est moins injurieux, dit-il, pour la Divinité, de >> la méconnaître que de l'outrager et de lui offrir >> en sacrifice le sang des hommes. >> Cette coutume barbare fut adoptée par presque tous les peuples, jusqu'à l'établissement du christianisme. Son abolition est un des bienfaits de cette religion morale heureuse révolution, si elle avait pu empêcher beaucoup de tyrans et de fanatiques d'imiter Saturne et d'exiger les mêmes sacrifices!

Il fallait que le gouvernement de Carthage füt bien constitué, puisque, pendant cinq cents ans, il préserva cette république des chaînes de la ty

rannie et des désordres de l'anarchie. Partout ailleurs on vit toujours en guerre les grands et le peuple; mais à Carthage, comme à Sparte et dans l'île de Crète, le pouvoir des riches et celui du peuple étaient balancés par un troisième pouvoir. Il résidait dans les mains de deux magistrats suprêmes, appelés suffètes et auxquels plusieurs auteurs donnent le titre de roi. Le nom suffête vient du mot hébreu shophétim (juge). Les suffètes faisaient exécuter les lois, et commandaient presque toujours les armées.

Le pouvoir législatif était confié à un sénat composé de cinq cents membres, choisis parmi les plus riches citoyens. Il établissait les impôts, rédigeait les lois, décidait de la paix et de la guerre, recevait les ambassadeurs. La correspondance des généraux, les plaintes des provinces lui étaient adressées ; il prononçait souverainement sur tout, lorsque les voix ne se divisaient pas ; mais, quand il y avait partage d'opinions, celle de la majorité se portait devant le peuple qui décidait définiti

vement.

On tirait du sénat un conseil de cent personnes, appelé le conseil des anciens. Leurs charges étalent perpétuelles; ils faisaient l'office des éphores à Sparte, des censeurs à Rome. Les juges, les généraux leur rendaient compte de leur conduite.

On choisissait dans le conseil des anciens cinq personnes revêtues d'un grand pouvoir, et qui

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faisaient leur rapport au sénat sur les lois proposées et sur les affaires les plus importantes.

Les suffètes n'exerçaient leur pouvoir que pendant une année. Lorsqu'ils sortaient de place, on les nommait préteurs ; ce qui leur conférait le droit de présider les tribunaux, de surveiller le recouvrement des impôts, et de proposer de nouvelles lois.

Aristote, en donnant des éloges à ce gouvernement, lui fait des reproches qui paraissent mal fondés. Le premier porte sur la cumulation des emplois. Il est certain que cette coutume forma de grands hommes dans la Grèce, à Carthage et à Rome, en obligeant les citoyens à étudier également l'art de la guerre, la science de l'administration et celle des lois; parties différentes, mais qui se touchent plus qu'on ne pense. Leur séparation dans les temps modernes a fait naître de dangereux esprits de corps et de funestes rivalités. Elle s'oppose à l'union des citoyens; par elle on trouve beaucoup de guerriers, de financiers, de magistrats, de jurisconsultes, mais peu d'hommes d'État.

L'autre défaut qu'Aristote blâmait dans la constitution de Carthage porte sur la loi qui exigeait des citoyens un certain revenu pour être aptes aux emplois. Il regarde cette règle comme une source de corruption et d'avarice; il est cependant certain que sans une loi pareille la tranquillité ne

peut subsister. La propriété seule donne un intérêt direct au maintien de l'ordre. Le mérite et le talent ne peuvent se plaindre de cette règle; car, si la condition de la propriété exigée n'est pas trop forte, ils acquièrent presque toujours assez d'aisance pour parvenir aux places.

La position de Carthage la rendit commer- Commerce. çante; sa marine fit sa force, et fonda sa fortune. Elle tirait d'Égypte le lin, le papyrus, le blé, les voiles et les cordages. Elle se fournissait sur la mer Rouge d'épiceries, d'aromates, de parfums, d'or et de perles. La Phénicie lui envoyait sa pourpre et ses riches étoffes. Les Carthaginois y portaient en échange le fer, l'étain, le plomb, le cuivre de l'Occident: ils étaient les facteurs de tous les peuples. Carthage devint, par sa navigation, le lien de tous les États, et le centre de leur

commerce.

On l'accuse d'avidité pour les richesses; ce reproche est plus applicable à sa situation qu'à sa constitution. Elle jouit des avantages, et souffrit des inconvéniens attachés à tout état commercant, qui doit nécessairement, après avoir acquis une grande puissance et une grande fortune, voir ses mœurs se corrompre, et sa force se détruire par les progrès du luxe et par l'excès même de sa prospérité.

Puissante par son commerce, Carthage trouva une seconde source d'opulence, d'accroissement

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et de décadence dans les mines d'or et d'argent qu'elle exploita en Espagne.

La population de cette république fut d'abord aussieguerrière qu'industrieuse; mais, en s'enrichissant, les Carthaginois s'amollirent, et s'accoutumèrent, au lieu de combattre eux-mêmes, payer des troupes mercenaires.

Carthage tirait de ses alliés et des peuples tributaires une grande quantité de soldats. Les Numides formerent sa cavalerie; les Espagnols, son infanterie; les Baléares lui donnèrent des frondeurs; les Crétois, des archers; les Gaulois, des troupes légeres de sorte qu'avec ses trésors elle levait d'immenses armées sans fatiguer sa population, faisait des conquêtes sans répandre son sang, et transformait les autres peuples en instrumens de son ambition.

Elle sentit trop tard, mais cruellement, le danger de ce système. Ses armées mercenaires, n'étant unies par aucun lien, ne pouvant être animées d'aucun amour pour la patrie, ne se montrèrent redoutables que dans les temps de prospérité. Au moment des revers, cette force peu solide ne put résister à l'attaque d'un peuple dont les légions, composées de citoyens, ne connaissaient ni découragement ni désertion, et combattaient avec la constance et l'ardeur que donne seul l'amour de la gloire nationale.

Dès que les soldats mercenaires voyaient l'évé

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