Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE I

OBLIGATION DE DÉLIVRER

L'obligation de délivrer le fonds rural qui fait l'objet du bail à ferme n'est pas seulement de la nature du contrat, comme le dit l'article 1719; elle est de son essence, car le bailleur ne saurait procurer au preneur la jouissance du bien affermé sans le lui livrer. On ne pourrait donc convenir que le bailleur sera dispensé de cette obligation.

Le bailleur doit non seulement délivrer la chose, mais encore la délivrer avec tous ses accessoires. Cette dernière obligation est seulement de la nature du contrat: aussi une clause spéciale pourrait stipuler que le preneur ne jouira pas de certains accessoires du fonds. Par exemple, on rencontre souvent dans les baux cette clause que « le preneur ne pourra aucunement prétendre aux émondes des arbres qui bordent les prés ».

Que faut-il entendre par accessoires du fonds rural? Évidemment d'abord les constructions, plantations, etc., qui se trouvent sur le fonds, ensuite toutes les choses qu'il est d'usage, dans la région, de laisser au preneur pour l'exploitation, telles que fumiers, pailles, fourrages (Pothier, Louage, n° 54). Cependant si les fermiers sortants s'étaient réservé le droit d'emporter leurs fu

7

miers, pailles et fourrages, le fermier entrant qui aurait eu connaissance de cette particularité, ne pourrait, à défaut de stipulation spéciale, exiger soit la délivrance de ces accessoires, soit une indemnité.

On s'est demandé si l'alluvion devait être comprise dans les accessoires de la chose, et profiter au fermier lorsqu'elle survenait au cours du bail. Nous supposons que l'alluvion a une certaine importance. Beaucoup d'auteurs admettent avec Pothier que le fermier doit payer une augmentation de loyer pour l'alluvion. M. Troplong (I. 190) décide, au contraire, qu'elle doit toujours profiter au fermier sans aucune augmentation de fermage. Enfin M. Duranton (XVII, 81) établit une distinction qui nous paraît très-raisonnable : le fermier profitera de l'alluvion si le prix du bail n'est pas fixé à tant la mesure; si au contraire il a été fixé à tant la mesure, il devra être augmenté proportionnellement à la surface de l'alluvion.

que

Même question pour le droit de chasse: doit-il, lorsla convention est muette sur ce point, appartenir au fermier comme accessoire du fonds? Les auteurs sont loin d'être d'accord sur ce point.

Trois systèmes sont en présence: l'un admet que le droit de chasse appartient au fermier à l'exclusion du propriétaire (1).

M. Duranton, (I1,286), prétend que le propriétaire et le fermier peuvent exercer ce droit concurremment.

Enfin, une dernière opinion généralement admise, et à laquelle nous nous rangeons, considère le droit de chasse comme appartenant exclusivement au propriétaire.

1. Duvergier, I, 73.

En effet, le fermier n'a droit qu'aux produits périodiques du fonds, et aux accessoires utiles, tels que le droit de loger dans les bâtiments. Or la chasse n'est un fruit du fonds qu'autant que ce fonds est spécialement destiné à la chasse et que la chasse est le revenu principal. Dès lors, si l'objet du bail est une lande ou une friche absolument stérile, dont on retire seulement en gibier un produit périodique, le fermier aura le droit de chasse, seul moyen pour lui de se procurer l'avantage qu'il recherchait. Mais si la chasse n'est pas mise en revenu ordinaire et sur lequel le fermier pouvait compter, ce n'est plus qu'un simple droit voluptuaire, auquel peut bien prétendre un usufruitier mais non un fermier. Le droit de chasse doit alors être considéré, à défaut de stipulation expresse, comme réservé au bailleur.

Mais le fermier a le droit, d'après l'art. 15 de la loi des 28-30 avril 1790, et l'art. 9 de la loi du 3 mai 1844, de détruire par les moyens autorisés les animaux déclarés nuisibles, sans préjudice du droit de réclamer des dommages-intérêts au bailleur pour le dégât fait à ses récoltes par le gibier (1).

Le droit de pêche doit, comme le droit de chasse, être réservé au propriétaire, à moins qu'il ne s'agisse d'étangs empoissonnés, dont le poisson forme un revenu certain et important.

Il ne suffit pas que le bailleur livre le fonds, il faut en outre qu'il le livre en bon état de réparations de toute espèce (art. 1720). Il en est différemment en matière d'usufruit et de vente (art. 600, 1614), où il 1. Cass. 1er mars 1881. Dalloz, 81, 1, 300.

suffit que la chose soit délivrée en l'état où elle se trouve au moment du contrat. Au contraire, l'immeuble affermé doit être livré au fermier en état de servir à l'usage qu'il veut en faire; mais cette obligation du bailleur peut être modifiée ou atténuée par la convention: elle n'est en effet que de la nature du contrat. Si la convention ne restreint pas l'obligation du bailleur, le fermier peut réclamer des dommages-intérêts lorsque le fonds ne lui est pas livré en bon état de réparations de toute espèce, même locatives; il pourrait même faire prononcer la résiliation du bail, si, par suite du manque de réparations, le fonds se trouvait être impropre à l'usage auquel les parties le destinaient.

Le fermier doit exiger les réparations au plus tard au moment de son entrée en jouissance, sinon, se réserver formellement le droit de les réclamer ultérieurement. S'il entre en jouissance sans faire aucune réserve, son silence fait présumer qu'il juge le fonds en bon état, et il perd le droit d'invoquer l'article 1720. Toutefois, il ne serait pas censé avoir renoncé au bénéfice de notre article, par cela seul qu'en visitant les lieux, il n'aurait pas exigé qu'ils fussent mis en état : il faudrait que le bail contînt quelque clause dans le genre de celle-ci, que l'on rencontre assez fréquemment: «...les bâtiments... que les preneurs déclarent bien connaître pour les avoir vus et visités, et en être contents tels qu'ils sont. »

Le bailleur, tenu de faire la délivrance, doit livrer le fonds rural en entier : il garantit la contenance indiquée au contrat. L'article 1765 nous renvoie à ce sujet aux règles posées en matière de vente par les art.

1617 à 1623, pour le cas où la contenance réelle de l'immeuble vendu est inférieure ou supérieure à la contenance déclarée.

Ces règles nous amènent à distinguer le bail fait à tant la mesure, de celui qui est fait pour un prix en bloc avec indication de contenance, mais non à raison de tant la mesure.

Il est évident d'abord que si le même bail comprend plusieurs fonds séparés, à peu près d'égales fertilité et commodité, le déficit de l'un devra se compenser avec l'excédent de l'autre (Cf. art. 1623).

Lorsque le bail est fait à tant la mesure et que la contenance réelle est supérieure à la contenance déclarée, l'excédent donne lieu à une augmentation proportionnelle du fermage. Mais si cet excédent est d'un vingtième ou plus, le fermier peut, à son choix, ou accepter le maintien du contrat avec augmentation proportionnelle du fermage, ou faire résilier le bail pour n'avoir pas à payer un fermage qu'il juge trop lourd: en tout cas, il ne peut forcer le bailleur à limiter la ferme à la contenance déclarée. Si, au contraire, la contenance est inférieure, même d'un vingtième ou plus, à celle que le bail indique, le fermier est obligé de se contenter d'une diminution proportionnelle du fermage. Il ne pourrait faire prononcer la résiliation du bail qu'en prouvant que le déficit l'empèche d'atteindre le but qu'il s'était proposé en affermant (Cf. art. 1636). Par exemple, il obtiendrait la résiliation en démontrant que, par suite du déficit de contenance, la ferme se trouve être trop petite pour occuper toute sa famille et tout son attirail.

Quand le bail est fait pour un prix en bloc, avec in

« PreviousContinue »