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DEUXIÈME PARTIE

OBLIGATIONS DU FERMIER

En étudiant les obligations du bailleur, nous avons vu, par corrélation, quels sont les droits du fermier. Nous allons maintenant examiner les obligations du fermier il sera facile d'en déduire les droits du bailleur.

Le Code établit comme règle générale que le preneur est tenu de deux obligations principales: 1° d'user du fonds loué en bon père de famille, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail,ou suivant celle qui est présumée d'après les circonstances; 2° de payer le prix du bail aux termes convenus (art. 1728).

La première de ces deux obligations en comprend en réalité deux parfaitement distinctes : l'obligation de jouir en bon père de famille n'entraîne pas, en effet, par elle-même, celle de ne pas changer la destination des lieux; car un bon père de famille devrait changer la destination du fonds s'il y trouvait avantage. Ces deux obligations feront donc l'objet de deux chapitres distincts.

A l'obligation de payer le prix se rattachent les questions du privilège du bailleur et de la remise des fermages.

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OBLIGATIONS DU FERMIER

Dans un quatrième chapitre nous étudierons l'obligation pour le fermier de restituer le fonds dans l'état où il l'a reçu.

CHAPITRE PREMIER

LE FERMIER DOIT USER DU FONDS SUIVANT SA

DESTINATION.

Lorsque la convention détermine la destination du fonds loué, il n'y a pas de difficulté : le fermier doit s'y conformer strictement. Il n'aurait pas le droit de faire servir le fonds à un autre usage, même plus avantageux pour le bailleur. Ainsi le fermier ne pourrait pas, sans l'assentiment du propriétaire, dessécher un marais loué comme tel, pour le transformer en prairie. Mais, en général, le propriétaire sera assez soucieux de ses intérêts pour ne pas se plaindre de tels changements. Aussi la jurisprudence n'offre guère d'exemple de difficultés soulevées à ce sujet en matière de bail à ferme.

Lorsque, au contraire, le bail est muet sur la destination, celle-ci est suffisamment précisée soit par la profession du preneur, soit par l'usage auquel les différentes parties de la ferme ont servi jusqu'alors, soit par les coutumes locales. Ainsi, il est certain que le fermier n'a pas le droit de transformer des prairies en terres labourables, d'arracher des vignes pour faire du blé, d'extraire du sable d'une terre réservée jusqu'alors à la culture, ou de dessécher un étang.

La sanction de cette obligation est écrite dans l'ar

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ticle 1729 « Si le preneur emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou << dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, <«< celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier « le bail. » (V. aussi l'art. 1766.)

Les travaux préparatoires nous montrent que la loi a entendu laisser aux tribunaux une complète latitude d'appréciation, pour savoir s'il y a eu ou non changement de destination. Le droit du propriétaire doit se concilier avec une certaine liberté accordée au fermier, liberté qui résulte du but et de l'utilité même du bail à ferme. Les principales difficultés se sont produites à propos de l'assolement triennal et de la culture des betteraves. Dans l'ancienne jurisprudence, le respect de l'assolement triennal était une obligation absolue, et on considérait le dessolement comme un grave abus de jouissance. Aujourd'hui, l'abandon de l'assolement triennal est au contraire considéré comme un véritable progrès, et la Cour de Paris (21 février 1822) a décidé que l'assolement alterne pouvait se justifier par l'usage.

Quant à la culture de la betterave, elle est admise aujourd'hui dans tous les pays où elle peut réussir, et un jugement du tribunal de Laon (1) a pu considérer son application sur le tiers des terres d'une ferme comme le signe d'une intelligente exploitation. Toutefois il est permis de faire des réserves cette culture mal conduite épuiserait rapidement les terres et le bailleur pourrait s'en plaindre, si elle n'était pas accompagnée de fumures et engrais suffisants pour réparer les pertes du sol.

1. Laon, 20 octobre 1876. J. le Droit, 24 oct. 1876.

D'une manière générale, les juges pourront permettre au fermier, à moins de clause contraire, de faire dans la culture toutes les innovations dont l'avantage serait généralement reconnu; mais il ne devront pas permettre à un fermier, qui aurait l'esprit trop hardi et trop novateur, de mettre en pratique toutes sortes de théories nouvelles plus ou moins justifiées. La ferme ne lui a pas été louée pour faire des expériences.

Lorsqu'une clause du bail prohibe certaines cultures ou impose un assolement déterminé, elle doit être observée, même si elle est contraire aux usage locaux (Cour de Douai, 20 mars 1846).

Remarquons, en passant, que quand on descend ainsi dans le détail des modes de culture, les difficultés que l'on rencontre, lorsqu'il n'y a pas de convention spéciale, se rapportent autant, sinon plus, à l'obligation de jouir en bon père de famille, qu'à celle d'user du fonds suivant sa destination.

Lorsque le fermier change la destination du fonds loué, le bailleur, avons-nous vu, peut faire prononcer la résiliation du bail. Il n'a pas besoin de prouver, en outre, que le changement de destination lui cause un préjudice. Quelques auteurs (1) l'ont cependant soutenu, prétendant qu'il fallait, dans l'art. 1729, remplacer la disjonctive ou par la conjonction et; pour eux la réunion des deux conditions dont parle l'article 1729 serait indispensable. Nous croyons qu'il est plus sûr de s'en tenir au texte de l'article: ses dispositions se réfèrent, en effet, aux deux parties correspondantes de l'art. 1728. Nous déciderons donc que le bailleur

1. Duvergier I, 400.- Duranton XVII, 99.

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