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Quand un propriétaire loue sa ferme, il prend en considération les capacités du fermier. De même le preneur ne se décide souvent à traiter qu'à cause des bonnes relations qu'il est assuré d'avoir avec son bailleur. Il peut craindre d'autre part qu'après son décès, sa famille ne soit plus en état de continuer l'exploitation. Rien n'est plus facile à chacun des contractants que de prendre ses précautions en prévision des événements qu'il redoute. Les parties n'ont qu'à stipuler que le contrat sera résolu par la mort de l'un ou de l'autre des contractants. Et le bailleur, qui se défie des héritiers de son fermier, peut très bien stipuler que le bail sera indivisible, ou bien que les héritiers du seront tenus solidairement de ses obligations.

preneur

7° Inexécution des obligations par l'une ou l'autre des parties.-L'article 1741 qui énonce cette cause d'extinction n'est que l'application du principe général posé par l'article 1184, d'après lequel tout contrat synallagmatique renferme en lui-même une condition résolutoire tacite « pour le cas où l'une des parties ne satisfera pas à son engagement »>.

La demande en résiliation pour inexécution des obligations sera portée devant les tribunaux qui décideront souverainement si l'inexécution est assez grave pour motiver la résiliation. En tous cas, ils auront le droit d'accorder au défendeur un délai pour se mettre en règle (art. 1184). Nous avons vu qu'ils n'auraient plus la même latitude et ne pourraient que prononcer la résiliation, si le bail contenait une clause résolutoire expresse et spéciale pour le cas où une infraction déterminée serait constatée. Il en serait de même si les parties avaient inséré une clause résolutoire générale,

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comme celle-ci que l'on rencontre fréquemment: <«<Les <«< clauses et conditions ci-dessus, sans exception, sont «tontes de rigueur et aucune d'elles ne pourra être « être réputée comminatoire. L'infraction à l'une d'elles << entraînerait de plein droit, si bon semble au bail«leur, la résiliation du présent bail, sans préjudice « de tous dommages-intérêts dont les preneurs pour«raient être passibles. >>

Pour comprendre tout l'effet de cette clause, suppoposons que le bail contienne une stipulation qui rappelle l'obligation pour le fermier d'avertir le bailleur des usurpations pouvant être commises sur le fonds. Le fermier manque à son obligation et le propriétaire se trouve dépouillé de quelques sillons, par exemple. Dans ce cas, le bailleur ne pourrait pas, d'après les principes généraux, obtenir la résiliation, et les tribunaux ne lui accorderaient que des dommages-intérêts, conformément à l'art. 1768. Au contraire, la clause résolutoire générale dont nous parlons imposerait aux juges le devoir de prononcer, même dans ce cas, la résiliation du contrat.

APPENDICE

ALIENATION DU FONDS LOUÉ ET NATURE DU DROIT DU

PRENEUR.

Nous avons dit que la mort de l'une des parties n'était pas une cause d'extinction du bail à ferme (art 1742). Les droits et obligations résultant de ce contrat passent aux héritiers du bailleur ou du fermier, et à leurs successeurs universels. Mais passent-ils à leurs successeurs à titre particulier, par exemple à l'acquéreur du fonds loué? L'aliénation du domaine par le bailleur résout-elle le bail à ferme ?

Les jurisconsultes romains, considérant que le fermier tient son droit de jouissance du bailleur, décidaient que l'obligation de ce dernier ne devait pas passer à ses successeurs à titre particulier, par exemple à un acheteur ou à un légataire particulier. D'après la loi Emptorem (1), le successeur à titre particulier n'était pas tenu d'entretenir le bail, à moins que cette obligation ne fût une condition de l'acquisition de l'héritage, nisi ea lege emit. Or, le vendeur avait grand intérêt à faire insérer cette clause, afin de n'avoir pas à payer des dommages-intérêts au fermier évincé. La disposition de la loi Emptorem s'appliquait aussi au légataire, à l'usufruitier et au donataire. — Ainsi, en 1. Loi 9, C. IV, tit. 65.

droit romain, l'acquéreur avait en principe le droit d'expulser le fermier.

Notre ancienne jurisprudence maintint le droit d'expulsion, mais elle eut soin d'en adoucir les rigueurs. Pothier décidait (1), comme les jurisconsultes romains, que le bail était rompu par le changement de propriétaire résultant de la vente. L'acquéreur pouvait user et disposer de la chose comme bon lui semblait, à moins que le vendeur ne l'eût obligé à entretenir le bail. Mais si l'acquéreur expulsait le fermier, le bailleur était tenu d'indemniser le fermier du préjudice que la rupture du bail avait pu lui causer. Cependant Pothier admettait plusieurs restrictions au droit d'expulsion. Le successeur particulier ne pouvait expulser le fermier immédiatement: il était obligé de le laisser continuer sa jouissance pendant l'année courante et il devait se contenter pendant ce temps de recevoir le fermage. En outre, quand l'acquéreur à titre particulier était un donataire, il lui était interdit d'expulser le fermier, à cause de la reconnaissance qu'il devait à son bienfaiteur: car l'expulsion aurait exposé le donateur au recours du fermier réclamant des dommagesintérêts. Enfin l'acheteur à réméré, quand le vendeur ne s'était réservé qu'un court délai pour exercer son droit de rachat, ne pouvait pas non plus expulser le fermier à quoi bon troubler la jouissance du fermier quand le droit de l'acheteur était si précaire?.

Le Droit intermédiaire admit les mêmes principes, mais ajouta une autre restriction plus considérable encore, concernant les baux ruraux seulement. La loi des

1. Pothier, Louage, n° 288 et suiv.

26 septembre-5 octobre 1791 décida que, dans les baux de six années et au-dessous, la résiliation du bail, en cas de vente du fonds, ne pourrait avoir lieu que de gré à gré. Pour les baux de cette durée, le principe ancien était donc abandonné. Mais il était conservé pour les baux de plus de six années. Seulement l'exercice du droit d'expulsion était subordonné à des conditions qui le rendaient en fait presque impraticable. En effet,il fallait que l'acquéreur prît l'engagement de cultiver luimême la ferme il était obligé de signifier un congé au moins un an à l'avance; enfin, il devait indemniser préalablement le fermier de tous les bénéfices éventuels qu'il aurait retirés de son exploitation.

Quant aux baux à loyer, le législateur de 1791 les laissait soumis à l'application de la loi Emptorem, de la même manière que l'ancienne jurisprudence. On n'avait modifié les conséquences du principe romain que pour les baux à ferme, et seulement parce qu'on le considérait comme funeste à la prospérité de l'agriculture.

Le Code civil, s'inspirant des mêmes considérations, et généralisant les exceptions, renversa la règle et abrogea la loi Emptorem.

L'art. 1743 décide que : « Si le bailleur vend la chose « louée, l'acquéreur ne peut expulser le fermier ou le << locataire qui a un bail authentique ou dont la date « est certaine, à moins qu'il ne se soit réservé ce droit << par le contrat de bail ». Cette disposition s'applique aussi bien aux baux à loyer qu'aux baux à ferme. Les rédacteurs du Code ont pensé que l'ancienne législation était incompatible avec le développement de l'agriculture et de l'industrie : « C'est surtout à l'égard des

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