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DROIT FRANÇAIS

RÈGLES SPÉCIALES AUX BAUX A FERME

INTRODUCTION

L'entreprise agricole peut se présenter sous deux formes distinctes. Ou bien la terre est exploitée par le propriétaire qui dirige l'entreprise et qui en supporte seul les risques: c'est alors le système du faire valoir direct. Ou bien l'entrepreneur cultive des terres qui ne lui appartiennent pas, mais à la condition de payer au propriétaire une certaine redevance: c'est le régime de l'amodiation.

Les différents systèmes d'amodiation peuvent se ramener à deux groupes : le métayage et le fermage.

Dans le métayage, l'entrepreneur qui cultive la terre d'autrui s'engage à abandonner au propriétaire une partie de la récolte, généralement la moitié. Cette redevance en nature, nécessairement variable, donne au contrat le caractère d'une association : le propriétaire fournit sa terre, le métayer son travail, et tous deux supportent les risques de l'entreprise.

Le fermage se distingue du métayage, principalement par la fixité de la redevance que le fermier paie au propriétaire; et cette redevance est le plus souvent en argent. Le fermier supporte seul, en principe, les risques de l'entreprise; chaque année, il doit payer une somme fixe, quel que soit le résultat de son exploitation.

C'est sur cette seconde combinaison, le fermage, et sur le contrat qui lui donne naissance, le bail à ferme, que portera notre étude.

Le bail à ferme est une variété du louage des choses défini par l'article 1709 C. c. C'est une convention par laquelle l'une des parties contractantes appelée « bailleur » s'engage à fournir à l'autre partie appelée « fermier» la jouissance temporaire d'un fonds rural, moyennant une redevance annuelle.

Le bail à ferme est un contrat consensuel, car il se forme par le seul consentement des contractants; synallagmatique, car les engagements des contractants sont réciproques; commutatif, et par conséquent à titre onéreux, car chacune des parties se propose de recevoir l'équivalent de ce qu'elle fournit.

C'est au titre VIII du Code civil que se trouvent les règles qui régissent le bail à ferme. Le Code nous présente dans la première section du chapitre II de ce titre (art. 1714 à 1751) les règles qui sont communes aux baux des maisons et à ceux des biens ruraux ; et dans la section troisième de ce chapitre (art. 1755 à 1778), nous trouvons les règles spéciales aux baux à ferme.

Le titre de cette étude indique que nous ne voulons nous occuper que de ces dernières.

Parmi les règles communes aux baux des maisons et aux baux des biens ruraux, nous n'étudierons que celles dont la connaissance est nécessaire pour avoir une idée générale du contrat de bail, et celles dont l'application au bail à ferme soulève des difficultés particulières.

D'après la définition que nous avons donnée du bail à ferme, quatre éléments sont nécessaires pour que ce contrat puisse se former: une chose, un prix, l'accord des parties sur la chose et sur le prix, et enfin une limitation dans la durée du contrat.

La chose, d'après notre définition, et d'après l'article 1711, doit être un fonds rural, c'est-à-dire, suivant le Tribun Mouricault, un fonds produisant des fruits naturels ou industriels, et non des fruits civils comme en produisent les maisons, bâtiments, chantiers, etc. Les bâtiments qui dépendent de la ferme ne sont considérés que comme des accessoires, et leur location en même temps que celle des terres ne change en rien la nature du contrat.

Le prix peut consister soit en une somme d'argent, soit en une certaine quantité de denrées, soit à la fois en une somme d'argent et une certaine quantité de denrées. Il doit être certain, c'est-à-dire déterminé dans sa nature et dans sa quotité au moment du contrat: tout au moins, sa détermination doit pouvoir se faire après le contrat sur des bases dès maintenant arrêtées. Observons que la vilité du prix n'est pas comme dans la vente, une cause de rescision du contrat. Enfin le prix du bail à ferme est rangé par le Code, en matière d'usufruit, au nombre des fruits civils (art. 584 et 586). L'usufruitier l'acquiert done

ici,

jour par jour. Certains auteurs veulent généraliser cette règle et ils décident que les fermages s'acquièrent dans tous les cas jour par jour. Pour des raisons que nous examinerons à propos de la remise pour perte de récoltes, nous aimons mieux dire qu'en règle générale, les fermages ne s'acquièrent que saison par saison, au fur et à mesure que le fermier a recueilli sa moisson.

Les parties agiront prudemment en fixant par écrit soit le prix qu'elles auront arrêté, soit les éléments qui devront servir à le déterminer plus tard; car, en cas de contestation sur le prix, la preuve par témoins ne serait pas admise, quand même le prix aurait une valeur inférieure à 150 francs. Et alors, si le fermier ne pouvait pas représenter de quittance, le juge en croirait le bailleur sur son serment: aux yeux de la loi, le bailleur offre plus de garanties que le preneur, parce qu'il est souvent dans une meilleure situation de fortune, et qu'il a le plus grand intérêt à conserver sa réputation d'honnête homme, afin de trouver facilement d'autres fermiers. Le prix serait donc fixé par le serment du bailleur, à moins que le preneur ne préféràt demander l'estimation par experts, expertise dont il paierait les frais si elle faisait ressortir un prix plus élevé que celui qu'il avait affirmé (art. 1716).

Le consentement doit porter sur les autres éléments principaux du bail, sur la chose, le prix et, autant que possible, sur la durée. Comme le bail à ferme est un contrat consensuel, le consentement peut être, soit exprimé verbalement, soit consigné dans un acte ou authentique ou sous signatures privées (art. 1714). Mais le Code pose, dans l'article 1715, une règle tellement

rigoureuse qu'il est pour ainsi dire nécessaire, en fait, de constater ce consentement par écrit. En effet, d'après l'article 1715, lorsque le bail qui n'a pas été constaté par écrit n'a encore reçu aucune exécution et qu'une des parties le nie, on ne peut le prouver par témoins, quelque modique qu'en soit le prix. On sait que, de droit commun, on admet la preuve par témoins des conventions dont l'objet n'a pas une valeur supérieure à 150 francs. Le législateur se montre donc plus sévère en ce qui concerne la preuve des baux: il a voulu prévenir une foule de petits procès qui n'auraient pas manqué de naître sans cette sage disposition. La partie qui invoque l'existence d'un bail verbal n'aura d'autre ressource que de déférer le serment à son adversaire. La jurisprudence (1) lui permet, en outre, de recourir à l'interrogatoire sur faits et articles pour essayer d'obtenir un aveu de son adversaire.

En cas d'erreur, dol ou violence, les règles ordinaires sur les vices du consentement sont applicables à notre contrat.

Le consentement doit émaner de personnes capables. Sont incapables de donner à ferme : les mineurs, les interdits et les femmes mariées. Les baux des biens appartenant à ces incapables sont consentis par leurs représentants, tuteurs ou maris (art. 450, 509, 1429, C. c.). Mais ces représentants ne peuvent pas consentir des baux pour une durée quelconque. Les baux qu'ils font pour neuf ans ou moins sont seuls opposables à l'incapable pour toute leur durée. Si le bail a été fait pour plus de neuf ans, il n'est opposable que

1. Cass. 12 janvier 1864. Dalloz, 1864, 1, 142.

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