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uniquement fondées sur les mœurs de chaque peuple ou sur la volonté absolue du législateur; c'est l'état particulier ou l'état de tel individu. Mais avoir droit à la liberté, à la cité, à la protection de ses lois, c'est l'état public, l'état du citoyen. Tous les membres de la société en sont investis, de quelque manière qu'ils y viennent; c'est dans ce sens qu'ils sont égaux.

« C'est pour cela que la loi ordonne d'énoncer avec le même soin, et dans les mêmes registres, la naissance des enfants légitimes ou illégitimes.» (Locré, t. 2, p. 97 et 98.)

Voilà comment le rapporteur de la loi en fixait le sens devant le tribunat.

Que dit maintenant l'article 55 du code civil? la déclaration de naissance, dit-il, sera faite dans les trois jours de l'accouchement à l'officier de l'état civil.

L'article 56 ajoute « la naissance de l'en. «fant sera déclarée par le père ou, à dé« faut du père, par les docteurs en méde«cine ou en chirurgie, sages-femmes, offi«ciers de santé ou autres personnes qui << auront assisté à l'accouchement, et lors<< que la mère sera accouchée hors de son « domicile, par la personne chez qui elle << sera accouchée. »

La sanction de ces deux articles se trouve dans l'art. 346 du code pénal, ainsi conçu :

« Toute personne qui, ayant assisté à un « accouchement, n'aura pas fait la déclara«tion à elle prescrite par l'article 56 du « code civil, et dans les délais fixés par l'ar«<ticle 55 du même code, sera punie d'un «< emprisonnement de six jours à six mois, « et d'une amende de 16 à 500 fr. »

D'autre part, l'article 578 du code pénal dispose en ces termes :

«Les médecins, chirurgiens et autres "officiers de santé, ainsi que les pharma«ciens, sages-femmes et toutes autres per«sonnes dépositaires par état ou profession « des secrets qu'on leur confie qui, hors le «< cas où la loi les oblige de se porter dé«nonciateurs, auront révélé ces secrets, « seront punis d'un emprisonnement d'un « à six mois et d'une amende de 100 à « 500 fr. »

En présence de ces dispositions, dont l'une prescrit au médecin qui assiste à l'accouchement de faire la déclaration de naissance, et l'autre lui défend de révéler les secrets qu'on lui confie, on se demande quelle est l'étendue de l'obligation légale d'un médecin appelé hors de son domicile

à pratiquer un accouchement, et qui n'a assisté à cet accouchement et n'a connu le nom de l'accouchée qu'en sa qualité de médecin et sous le seul sceau du secret.

Cette obligation est-elle suffisamment remplie par la déclaration du fait de la naissance, ainsi que des circonstances de temps et de lieu qui s'y rattachent? La déclaration du médecin doit-elle au contraire comprendre en outre l'indication du nom de la mère?

Les tribunaux de la Rochelle et de Saintes ont décidé que dans une pareille hypothèse le médecin pouvait et devait, pour concilier les devoirs de sa profession avec ceux que la loi lui prescrit, se borner à la simple déclaration du fait de la naissance.

Cette décision, tout à fait logique et rationnelle, est de nature à se justifier par de simples considérations.

D'une part, si l'on s'attache aux textes des articles 55 et 56 du code civil, et 346 du code pénal, on voit que la loi n'impose à toutes personnes qui auront assisté à un accouchement qu'une seule obligation, celle de faire, dans un délai déterminé, déclaration de la naissance, c'est à-dire du fait qu'un enfant est né tel jour, dans un tel endroit, et que cet enfant est de tel ou tel sexe. La loi ne va pas au delà, elle ne dit pas que la déclaration devra comprendre autre chose que le fait de la naissance, notamment qu'elle devra mentionner le nom de la mère. Ör, il s'agit ici de l'application d'une disposition pénale, et l'on sait qu'en pareille matière tout est de droit étroit. Ajouter à la prescription rigoureuse du texte, ce serait s'exposer à attribuer le caractère de délit ou de crime à des faits que la loi n'aurait

pas eus en vue.

De cette première observation il semble résulter que toute personne qui assiste à un accouchement, qu'il s'agisse ou non d'un médecin, peut se borner, pour accomplir l'obligation légale qui pèse sur elle, à déclarer le fait de la naissance.

On prétend, il est vrai, que, par les mots déclaration de naissance, le législateur a entendu parler d'une déclaration complète portant sur toutes les circonstances qui · pourraient se rattacher à la naissance, et notamment sur celles qui seraient de nature à constituer l'état de famille de l'enfant; qu'en réalité la déclaration de naissance doit fournir tous les éléments de l'acte de naissance, au nombre desquels l'article 57 du code civil signale le nom de

la mère. Ainsi, comme on le voit, ce n'est que par un effort de raisonnement, c'est en faisant rentrer l'article 57 du code civil dans l'article 36 qui le précède que l'on arrive à prêter à ce dernier article un sens que repousse la rédaction grammaticale de son

texte.

Or, un pareil argument est-il permis en matière pénale? On pourrait, jusqu'à un certain point, le comprendre si l'article 56 ne présentait pas par lui-même une idée complète, et si la prescription ordonnée par ses termes littéraux n'était pas de nature à justifier suffisamment à elle seule la pénalité écrite dans l'article 346 du code pénal; mais il en est tout autrement. Le simple fait de la naissance, pris isolément et délaché de toute autre circonstance, est un fait qui intéresse au plus haut degré la société, et qu'il lui importe de connaître aussitôt après son accomplissement. En effet, à dater de ce moment commence pour elle un devoir sacré de tutelle et de protection; de ce moment aussi la présence de l'enfant dans la grande famille devient envers lui la source de certains devoirs auxquels il serait antisocial que la négligence ou des combinaisons coupables pussent arbitrairement le soustraire; on conçoit donc à merveille que le législateur ait pu imposer la déclaration du fait de la naissance comme une obligation rigoureuse, et en punir sévèrement l'omission.

Si l'intérêt qui s'attache à la déclaration du fait unique de la naissance suffit pour expliquer et motiver l'article 346 du code pénal, pourquoi vouloir forcer l'interpréta. tion toute naturelle, le sens grammatical

de l'article 56 en recourant à l'article 57, dont l'article 346 ne fait aucune mention? L'article 57 énumère les énonciations que devra renfermer l'acte de naissance rédigé par l'officier de l'état civil en présence de deux témoins. Que la déclaration de naissance soit un des éléments de cet acte, cela n'est pas douteux; l'acte de naissance doit, en effet, contenir tout ce que contient la déclaration, c'est-à-dire le jour, l'heure et le lieu de naissance, et le sexe de l'enfant ; mais il n'est dit nulle part que l'officier de l'état civil devra trouver dans la déclaration

(1) Il résulte de l'exposé des motifs de l'article 56 du code civil que, dans la pensée du législateur, la peine infligée pour omission de la déclaration de naissance n'aurait servi qu'à éloigner de la mère les secours de l'amitié, de l'art et de a charité, au moment même où, donnant le

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tous les éléments de l'acte. Or, on ne comprendrait pas que si la loi eut voulu qu'il en fut ainsi, elle ne s'en fût pas expliquée d'une manière catégorique, et que l'article 346 du code pénal n'eût pas expliqué dans une disposition claire et explicite la combinaison assurément fort contestable des articles 56 et 57.

Il est évident au surplus que si, dans la pensée du législateur, la déclaration de la naissance et l'acte de naissance ont, sous certains rapports, un but analogue, ce but n'est cependant pas identiquement et absolument le même.

Ainsi qu'il a été dit plus haut, c'est dans un intérêt social que la déclaration est prescrite; son objet est d'empêcher que l'enfant ne disparaisse, de le rattacher immédiatement à la société, abstraction faite de la famille particulière à laquelle il peut appartenir, et de les enchaîner l'un à l'autre par un lien de devoirs et de droits réciproques. Les exposés de motifs qui ont accompagné la présentation du code civil et du code pénal ne semblent laisser aucun doute à cet égard; il en résulte également que si l'obligation de déclarer la naissance, obligation que l'article 56, dans l'intérêt de la mère de l'enfant, n'avait conservée qu'à titre de simple conseil, a été plus tard érigée en droit pénal, le désir de mettre obstacle à ce que les enfants fussent soustraits au service militaire n'a pas été étranger à celle résolution (1). Ajoutons que le législateur a pu d'autant moins reculer devant l'idée d'édicter une peine pour l'omission de déclaration de naissance que cette déclaration n'est en elle-même qu'une formalité bien simple, d'une exécution facile, et qui ne saurait en rien gêner la conscience des déclarants ni leur répugner, puisqu'il ne s'agit que de signaler un fait dont ils ont

été les témoins oculaires.

Au contraire, le but de l'acte de naissance est à divers égards d'un ordre purement privé, en ce qu'il tend, non-seulement à assurer l'effet de la déclaration en marquant l'enfant d'un cachet qui le fasse reconnaître, mais encore à fonder pour cet enfant les éléments d'un état de famille.

D'un autre côté, les énonciations relati

jour à un être faible, elle en avait le plus besoin pour elle et pour lui; car, disait-on, quel est celui qui ne redouterait pas d'être témoin d'un fait à l'occasion duquel il pourrait être recherché et puni de la prison?

ves à cet état sont, par leur nature même, loin d'avoir le caractère de certitude qui s'attache à celles concernant le fait de la naissance. Le silence de la mère ou les fausses indications données par elle peuvent les rendre incomplètes et même mensongères; on ne doit donc pas s'étonner de ce que la loi aurait voulu établir, sous le rapport de la pénalité, une distinction entre ce qui lui paraissait d'intérêt social et ce qui n'était que d'intérêt privé et purement relatif; qu'elle ait attaché à la déclaration d'un fail personnellement et nécessairement connu du déclarant plus d'importance qu'à ce qui n'est le plus souvent que la déclaration d'une autre déclaration.

Nous savons que tout ce qui touche à l'état des enfants a dû vivement exciter la sollicitude du législateur; aussi sommesnous disposés à penser qu'il a été dans son vœu, dans son désir, de voir les déclarants concourir autant qu'il était en eux, lorsque cela était possible, à rendre complète la rédaction de l'acte de naissance, mais on ne trouve nulle part à cet égard d'injonction expresse et impérative. Tout au plus une pareille injonction se fût-elle expliquée si les énonciations de l'acte de naissance avaient sur l'état de l'enfant une influence absolue, décisive, mais il n'en est pas ainsi.

On sait, en effet, que ces énonciations n'ont et ne doivent avoir, quant à la preuve de la filiation, qu'une valeur restreinte, puisque autrement elles risqueraient d'introduire dans le mariage des enfants qui y seraient étrangers; que, même en matière de filiation naturelle (et il n'était question dans l'hypothèse proposée que d'une pareille filiation) cette valeur est complétement nulle. Dans ce dernier cas, la désignation du nom de la mère, lorsqu'elle ⚫ émane de tout autre que du père, ne prouve pas la maternité, car la mère désignée peut repousser par une simple dénégation les conséquences qu'on voudrait en faire résulter contre elle (1), et la jurisprudence a même reconnu en principe que l'acte de naissance constatant l'accouchement d'une femme ne saurait être invoqué comme com. mencement de preuve par écrit par celui qui se prétend né de cette femme pour établir par témoins son identité avec l'enfant dont elle est accouchée (2). On peut donc

(1) Voy. Duranton, t. 3, no 236.

(2) Voy. cass., 28 mai 1810; Duranton, t. 1er, no 315.

(3) Voy. t. 1er. p. 34, note 3.

dire avec assurance que l'omission du nom de la mère dans la rédaction de l'acte de naissance d'un enfant est sans danger réel, en ce qu'elle ne prive cet enfant d'aucun droit certain, et qu'elle ne le prive même d'aucun élément de droit s'il est né hors de mariage.

A plus forte raison doit-on reconnaître qu'elle ne saurait constituer un fait coupable de la part du déclarant. Aussi Delvincourt (3) soutient-il avec raison que l'officier de l'état civil doit se montrer, quant aux déclarations de naissance, d'une extrême discrétion, puisque trop d'exigence pourrait avoir pour résultat funeste de multiplier les accouchements clandestins, les infanticides, et il faut ajouter les déclarations mensongères. De toutes ces considérations on doit conclure en principe que la seule obligation légale dont soit tenue toute personne qui aura assisté à un accouchement est celle de déclarer le fait de la naissance de l'enfant.

Admettons cependant que, malgré le silence des textes, il ait été dans la volonté du législateur que la déclaration prescrite par l'article 56 portât sur toutes les circonstances énumérées dans l'article 57, et notamment sur le nom de la mère, on sera bien au moins forcé de convenir que le déclarant ne peut être tenu de dire que ce dont il a connaissance, et qu'au delà l'officier de l'état civil n'aura rien à exiger de lui. Or, ceci posé, on se demande si le médecin qui ne connalt l'accouchement et le nom de la mère qu'en sa qualité de médecin, et sous le sceau du secret, est censé, aux yeux de la loi, avoir cette connaissance qui seule pourrait rendre obligatoire de sa part une déclaration détaillée? La réponse à cette question se trouve dans l'article 578 du code pénal, qui, non seulement permet aux médecins de garder les secrets qui leur sont confiés dans l'exercice de leur profession, mais encore leur défend, sous une peine déterminée, d'en faire la révélation.

La disposition de l'article 378 comportait dans l'origine une exception, mais depuis l'abrogation des articles relatifs au crime de non-révélation elle est devenue générale, absolue, applicable à tous les secrets, quelle qu'en puisse être d'ailleurs l'importance (4).

Lors donc qu'un médecin qui n'a connu

(4) L'article 378 exceptait de l'obligation du secret le cas où la loi faisait un devoir de se porter dénonciateur. Ce cas était prévu par les articles 103 et suiv, du code pénal, lesquels impo

le nom d'une accouchée que sous le sceau du secret refuse de le déclarer à l'officier de l'état civil, il fait plus qu'user d'un droit, il accomplit un devoir dont la violation, coupable déjà aux yeux de la morale, serait de nature à l'exposer à la rigueur de la loi pénale. Aussi, en pareil cas, bien loin de chercher à lui faire rompre le silence, l'officier de l'état civil devrait-il lui fermer la bouche et le rappeler à l'observation du secret s'il paraissait disposé à s'en écarter.

Dira-t-on que l'article 346 du code pénal contient une dérogation à l'article 378, et que là où la loi a ordonné au médecin de parler on doit voir nécessairement une exception au principe qui lui ordonne de se taire? Ce serait, à notre avis, tomber dans une grave erreur. En droit pénal plus encore qu'en droit civil, les exceptions sont de droit étroit. Or, l'article 378 garde sur le cas prévu par l'article 346 un silence complet.

Il y a plus, cet article indique pour un cas spécial une exception au principe qu'il pose. S'il eût voulu en prévoir une seconde, comprendrait-on qu'il ne se fut pas expliqué sur-le-champ? Ajoutons que plus on réfléchit sur la pensée morale qui a dicté l'article 378, plus on demeure convaincu que l'obligation du secret, pour remplir complétement son but, devait être absolue et sans limites. Qui ne sent, en effet, que du jour où une doctrine plus facile serait admise, du jour où il serait dit et proclamé que des révélations, fussent-elles ordonnées par la loi, peuvent mettre à nu les plaies les plus cachées et initier le public à des confidences qu'une nécessité impérieuse aurait seule arrachées à la douleur, l'exercice de la médecine perdait ce caractère sacré que chacun a besoin de lui savoir et de lui reconnaître! La crainte de révélations compromettantes peut-être pour l'honneur et l'avenir des familles, ce sentiment instinctif de pudeur ou de fausse honte qui fait préférer la souffrance ignorée, quels que soient les dangers, au soulagement qui ne serait acheté qu'au prix d'une désolante publicité,

saient à tous le devoir de révéler les crimes intéressant la sûreté de l'Etat. Mais ces articles ont été abrogés en France par la loi du 28 avril 1832. L'exception réservée par l'art. 378, disent les auteurs de la Théorie du code pénal, t. 6, p. 529, a donc cessé d'être applicable, et comme elle ne se référait qu'à ce seul cas, son abrogation est le complément des articles 103 et 105. Si, par suite d'une inadvertance du législateur, elle est restée écrite dans l'article 378, elle est désormais

viendrait incessamment se placer entre le malade et les ressources de la médecine. Rarement consulté, car il n'apparaîtrait plus que sous la forme d'un dépositaire infidèle, le médecin ne pourrait même plus offrir spontanément le secours de son art. De quel droit, en effet, irait-il, même sous prétexte d'humanité, surprendre ce qu'on aurait voulu lui cacher? De là une perlurbation grave dont les conséquences scraient incalculables dans l'intérêt de la sûreté et de la santé publique. Il faut donc que l'obligation du secret soit absolue pour les médecins, car c'est à ce prix seul que la confiance des familles leur est assurée; il faut que le médecin, confident des plaies du corps, comme le prêtre est le confident des plaies de l'âme, soit tenu comme le prêtre de tout oublier après avoir entendu.

C'est toujours ainsi, au surplus, que les médecins ont compris l'exercice de leur profession. Avant même que la loi eût édicté des peines contre la violation du secret, ils avaient senti que si, dans les habitudes ordinaires de la vie, cette violation est chose blâmable, de leur part ce serait plus qu'une inconvenance, plus qu'une faute, ce serait presque un crime. Aussi de tout temps ont-ils adopté comme première règle de conduite le précepte du serment d'Hippocrate que les anciens statuts de la faculté de Paris résumaient énergiquement en ces termes : « Ægrorum arcana, visa, audita, << intellecta, eliminet nemo « (articles 77 des statuts de 1751 et 19 des statuts de 1600 de la faculté de Paris) (1).

Si ces indications que l'on croit devoir se borner à indiquer sont vraies, si l'obligation du secret est dans tous les cas respectable et sacrée pour les médecins, n'est-il pas évident qu'elle acquiert encore un plus haut degré d'importance en matière d'accouchement?

Que l'on se pénètre bien de la position d'un médecin pour mieux apprécier l'étendue et la portée de ses devoirs.

Une femme est saisie par les douleurs de

stérile et sans application, car l'obligation de se porter dénonciateur à l'égard des médecins, des avocats, des prêtres, ne résulte plus d'aucune loi. » (Trébuchet, Jurisprudence de la médecine, p. 278.)

(1) At quæ inter curandum aut etiam citra curationem, in hominum vita vel videro vel audiero, quæ foras nequaquam efferri opporteat : ea arcana esse ratus, silentio prætermittam. (Hippocrate.)

l'enfantement; l'enfant qu'elle porte dans son sein est le fruit d'une faute. Un médecin est appelé, el cette femme, par des considérations qu'il faut savoir respecter, bien que déplorables peut-être dans leurs principes, remet à la conscience de ce médecin un secret dont nul autre que lui ne doit devenir le dépositaire. Que fera le médecin? Accepter le secret avec l'arrière-pensée de le dévoiler en le confiant à un registre public, ce serait un acte de la plus insigne trahison. Refuser le secret et mettre à ses soins la condition d'une révélation, c'est-àdire de ce que la mère doit par-dessus tout redouter, ce serait le plus souvent pousser cette mère à un acte de folie ou de désespoir compromettant pour sa vie et celle de l'enfant, ce serait au premier chef un acte d'inhumanité. Dans ce cas, nous n'hésitons pas à le dire, le médecin doit prêter son assistance, la morale lui en fait un devoir; il doit aussi garder le secret, car on ne saurait penser que la loi lui prescrive de le divulguer. Oh! sans doute, ce seront là souvent de regrettables confidences, et cependant il faut reconnaître qu'il est aussi des naissances dont la révélation, sans profit pour les enfants, pourrait n'être qu'une cause de scandale et de perturbation pour la société et pour les familles. Il faut reconnaitre surtout que la violation forcée de pareils secrets serait de nature à entrainer à sa suite de bien funestes conséquences. Que n'aurait-on pas à craindre d'une rigueur qui mettrait la mère dans cette terrible alternative ou de ne pouvoir sauver son enfant et sa vie qu'en dévoilant sa honte, ou d'être obligée, pour racheter son honneur, d'exposer sa vie et celle de son enfant? Dans cette lutte déplorable entre la crainte du scandale et le sentiment du devoir, prenons garde que le sentiment du devoir ne succombe, et que la mère ne se laisse entrainer à des actes dont le moins coupable peut-être serait une déclaration mensongère qui chargerait une famille innocente du fardeau de sa honte et de son déshonneur.

Il est impossible de supposer que le lé

(4) Il existe, il est vrai, en sens contraire, sur une question analogue, deux arrêts des cours de Paris et de Dijon; mais ces arrêts, dont la doctrine d'ailleurs n'est pas à l'abri de toute critique, ont été rendus dans des espèces complétement différentes, puisqu'il s'agissait d'accouchements pratiqués chez les médecins inculpés, lesquels même, si nous ne nous trompons, tenaient maison d'accouchement, et conséquem

gislateur n'ait pas été touché par d'aussi graves dangers. Répétons-le donc encore : même en cas d'accouchement, surtout en cas d'accouchement, l'obligation qui résulte de l'article 578 est et doit être absolue. Le médecin, il est vrai, ne pourrait, pour se dispenser de déclarer le fait de la naissance, se mettre à couvert sous l'article 378, mais la raison de cette différence est facile à saisir.

L'obligation du secret n'existe évidemment que dans les rapports du médecin et du malade. Or, le fait de la naissance de l'enfant n'est pas le secret de la mère; ce ne serait son secret qu'autant qu'on voudrait le rattacher à l'accouchement et à la déclaration de maternité; mais, pris isolément, c'est un fait qui appartient à l'enfant ou plutôt c'est un fait public d'un intérêt social, dont la mère ne peut disposer à son grė, dont elle est même (à moins de supposer un dessein criminel) sans intérêt à cacher l'existence.

L'obligation de déclarer la naissance, fait personnel à l'enfant, se concilie donc trèsbien avec le principe général de l'article 378. Ce n'est pas une dérogation à ce principe, au contraire, l'obligation de révéler au nom de la mère, lorsque ce nom est confié à titre de secret, serait une exception tellement grave que, dans le silence de la loi, on ne saurait la suppléer. La question que le pourvoi présente à juger est neuve en jurisprudence (1); mais il est permis de s'étonner qu'elle ait été soulevée en présence du texte si précis de la loi, des considéralions morales et d'intérêt public qui ont présidé à la rédaction de ce texte, en présence enfin de l'interprétation que la pratique est venue lui donner.

Si le corps médical s'intéresse vivement à sa solution, s'il désire voir maintenir dans toute sa pureté un principe que d'autres pourraient considérer comme gênant et lyrannique, c'est que ce principe est en harmonie parfaite avec les inspirations de sa conscience et le sentiment de ses devoirs. Lorsqu'il revendique le droit de se taire

ment ne pouvaient prétendre n'avoir connu le nom de la mère qu'en leur qualité de médecin. Ils ne sauraient donc en rien influer sur la solution de la question aujourd'hui soumise à la cour relativement à un accouchement pratiqué hors du domicile du médecin, et que les jugements attaqués déclarent n'avoir été connu de lui qu'en la qualité et à raison de l'exercice de son art, et en outre sous le sceau du secret.

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