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George Sand sur les couteliers de Thiers, un autre que Maupassant a tiré d'une saison à Châtelguyon, évoquent deux coins à peine de cette région, une des plus pittoresques et des plus variées de la France. Au festin des lettres l'Auvergne était maigrement servie; Bourget l'a comblée. Depuis le Disciple dont les scènes fameuses se déroulent aux pieds du Puy de Dôme, il l'a souvent choisie pour ses décors provinciaux... En beaucoup de ses nouvelles, ce sont nos vieilles cités bâties de laves qui se sont présentées à son imagination pour y placer ses personnages. Ce sont des figures de chez nous qui viennent à lui et incarnent son rêve. Elles semblent les éléments familiers avec lesquels joue ce grand créateur de vie.

Que de fois j'ai parcouru avec lui ces nobles pays où la gravité et la grâce alternent dans les horizons! Il connaît tous les aspects de ces routes et le détour qu'il faut faire pour trouver le point sublime, le paysage achevé. Il m'a ramené aux bords tragiques de ce lac Pavin, qui dort dans un ancien cratère, où vinrent, un jour de neige, à l'heure décisive, d'inoubliables amants. J'ai visité, guidé par lui, ce château de Cordès, de Soléac, du Démon de midi, qui, avant lui, dissimulait au creux des vallons ses tours mélancoliques et l'honneur oublié de ses char. miles à la française. Nous sommes entrés ensemble dans ces ces églises romanes, gloire du sol auvergnat, monuments de de la foi de nos pères. Nous avons battu en quête de souvenirs communs, le pavé de Clermont et de Riom où nous avons les mêmes amitiés et, à quelques années près, les mêmes images de jeunesse.

Partout, ici, Bourget est aimé et vénéré, et sa gloire ajoute à celle de notre province. Mais que doit-il à ces Auvergnats dont il analyse si sûrement le caractère ? En quoi leur ressemble-t-il? En ce qu'ils ont de meilleur. La race a pour elle sa droiture, sa fermeté, son bon sens. Si elle produit peu d'artistes, elle donne des juristes, des théologiens, des hommes d'Eglise et de gouvernement. Elle prend au sérieux les choses de l'âme et de la cité; par là, elle devrait plaire à un homme qui a si haute idée de son métier d'écrivain, de l'autorité qu'il confère, des responsabilités qu'il entraîne.

On sait enfin qu'un des traits essentiels de ce peuple est l'esprit de labeur. Faut-il chercher en Bourget l'Auvergnat

résistant et indomptable, formé par une nature difficile, dévoué de toute sa conscience et de toutes ses forces au devoir continu du travail? Qu'aurait dit sur ce point son maître Taine? Aurait-il expliqué ce disciple de choix par l'influence du sol et du milieu et honoré simplement en lui un Auvergnat représentatif ?

Ce qui vaut à Bourget l'admiration unanime de ses confrères, ce ne sont pas seulement les dons de son intelligence et de son cœur, ni les œuvres originales dont il a enrichi notre littérature, c'est, avant tout, peut-être, l'exemple qu'il leur donne de la conscience dans le travail; c'est le spectacle magnifique et rare d'un effort qui n'a jamais fléchi.

PIERRE DE NOLHAC

Au fil des Lectures

La Bonne Parole de Riom

L'Institution Sainte-Marie, collège bien connu de Riom, possède une Revue paraissant à intervalle régulier et destinée aux Elèves, surtout aux anciens, à leurs parents et aux amis. De cette façon le présent se rattache heureusement au passé et se relie à l'avenir.

La Revue a eu la rare fortune de rencontrer, pour animateur un rédacteur de choix, à la plume souple, alerte, finement nuancée et délicatement littéraire.

Il aime profondément la Maison et son œuvre, et il entend bien le prouver.

Il en résulte que la cité scolaire poursuit ainsi son action en s'obstinant à redire la bonne parole et en la confiant à tous les échos fidèles.

Dans la livraison du 15 décembre dernier, nous lisons une page qui est de nature à intéresser spécialement nos collègues et qu'à ce titre nous tenons à reproduire ici :

Après avoir rappelé que le jurisconsulte Domat avait dessiné à la sanguine sur la garde d'un Digeste, le portrait du jeune Blaise Pascal et que le volume qui contenait le précieux portrait avait été confié à Faugère, l'éditeur des œuvres pascaliennes, en vue d'une reproduction par son possesseur M. de Féligonde

de Villeneuve, conseiller à la Cour de Riom et rattaché aux Pascal par des liens de famille, la revue ajoute :

« Le bibliothèque de M. de Féligonde de Villeneuve, dont faisait partie le volume de Domat, avait passé en dernier lieu à son petit-fils le Baron Edmond de Thuret, ancien de Ste-Marie, mort lui-même le 20 décembre 1918.

« Dans un codicille de son testament, celui-ci avait exprimé le désir que sa bibliothèque fut visitée après sa mort par un prêtre et expurgée des ouvrages à l'Index qu'elle pouvait contenir. Comme presque toutes les vieilles bibliothèques de château qui avaient franchi le XVIIe siècle, elle s'alourdissait, en effet, des tomes innombrables des encyclopédistes de l'époque de Jean-Jacques et de Voltaire, et c'est de cela surtout qu'elle devait être allégée. M. le Chanoine Thuel-Chassaigne, archiprêtre de St-Amable avait bien voulu se charger de ce soin, mais il était déjà gravement malade à ce moment et peu après il mourait à son tour.

« Or, du fond de l'Océanie lointaine, arrive un jour au Direcfeur de la B. P. une lettre du R. P. Michel de Thuret, missionnaire en Nouvelle-Calédonie, qui, soucieux de voir accomplir la volonté formellement exprimée par son frère, lui demandait de vouloir bien suppléer M. l'archiprêtre de St-Amable décédé, pour ce triage à effectuer. Mme la Baronne de Thuret nous en ayant prié de son côté, nous accédâmes à la double demande.

« Mais il apparut bientôt à l'« expurgeur » que le travail serait long s'il était réduit à ses seuls moyens, et c'est pourquoi avec l'assentiment de Madame de Thuret, il s'adjoignit un aide dans la personne de son ami, M. l'abbé Pourreyron, bibliophile averti, à qui ce travail d'exploration n'était pas pour déplaire.

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« C'est au cours d'une séance de triage faite à deux, que, dans un coin obscur de la bibliothèque, au milieu d'un amoncellement de vieux ouvrages sans valeur dont rien ne le distinguait, fut découvert le « Corpus Juris ayant appartenu à Domat. La couverture distraitement soulevée fit apparaître soudain la magnifique sanguine deux fois authentiquée par l'annotation de Domat fils et par la note qu'y avait jointe M. de Féligonde. Pour les « inventeurs » de ce trésor jadis connu et apprécié, mais redevenu, à la lettre « trésor caché » par suite de la mort subite de son détenteur, ce fut une minute de véritable émotion. Tous deux de par leur origine auvergnate et de par leurs goûts littéraires et philosophiques étaient quelque peu « pascalisants » au sens orthodoxe du vocable.

«S'ils se souvenaient avoir vu dans certaines éditions des Pensées ou dans « l'Angoisse de Pascal » de Maurice Barrès, la reproduction de la sanguine de Domat, ils avaient sous les yeux l'original, contemporain de Pascal, exécuté d'après nature, par un ami doublé d'un artiste, car même pour des profanes, il était visible que Domat avait une technique remarquable du dessin. On conçoit donc le respect quasi religieux et la joie avec laquelle ils se penchèrent longuement sur leur découverte.

« Ils la montrèrent aussitôt à Mme de Thuret et ne lui cachèrent pas, qu'à leur avis, c'était là le joyau de sa bibliothèque et qu'un tel portrait, pour un pascalisant comme Maurice Barrès par exemple, serait d'un prix inestimable.

« Quelque temps après, Maurice Barrès était en possession du « Corpus Juris », le faisait placer dans un écrin sur son bureau de travail et à ses visiteurs de marque, il montrait avec un orgueil attendri le précieux trésor que représentait pour lui la sanguine de Domat.

<«< Son intention, nous disait, il y a quelques semaines à peine, un Ancien de ses relations, était de la léguer après sa mort à l'Académie de Clermont ou au Musée d'histoire et d'archéologie locale récemment ouvert rue des Gras. Sa fin si brusque lui aura-t-elle permis d'exprimer ce désir ?... L'avenir nous le dira. »

Nous connaissions les intentions de Maurice Barrès de léguer à notre Académie pour laquelle il ne dissimulait pas ses particulières sympathies, le fameux portrait, et nous nous demandons avec anxiété s'il a pu réaliser son projet.

Nous remercions notre collègue, M. l'abbé Bonnard, Rédacteur de la Bonne Parole, des précisions qu'il apporte à ces souvenirs doublement palpitants par le renom des hautes personnalités qu'ils évoquent.

R. C.

Pour le Comité de publication :

Le Secrétaire de l'Académie, Maurice BASSE.

Clermont-Ferrand, Imprimerie Générale.

Le Gérant: J.-B. GENEIX.

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