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entre l'administration turque et l'ambassade française une discussion à propos du droit de pavillon, droit incontesté qui nous est acquis par d'anciennes capitulations. M. de Lantivy, consul nouvellement créé à Jérusalem, manifesta l'intention de jouir du bénéfice des traités et de battre pavillon dans cette ville. Mais Jérusalem, la troisième ville sainte de l'Islamisme, est un des foyers les plus ardents du fanatisme musulman. Le pacha convoqua un conseil d'administration, espèce de divan auquel assista M. de Lantivy. On paraissait disposé à reconnaître la légitimité des droits de la France; mais au dehors la populace, excitée sourdement par le pacha lui-même, se souleva, arracha, non pas le pavillon français, qui ne flottait pas encore sur la maison du consulat, mais le mât du pavillon lui-même. La maison consulaire fut attaquée et un domestique du consul gravement blessé dans le désordre (27 juillet). De tels faits demandaient une réparation éclatante. Sur les réclamations de M. de Bourqueney, Rifaat-Pacha, reiss-effendi de la Porte (ministre des affaires étrangères) destitua le pacha de Jérusalem, le remplaça immédiatement et intima à son successeur l'ordre de faire à M. de Lantivy une visite d'excuses. Le pavillon français fut hissé et salué de 21 coups de canon et les coupables punis. Une dépêche télégraphique, en date de Thérapia (12 septembre), annonçait ces résolutions avec quelque solennité. Mais la réparation des insultes de Jérusalem était faite à Beyrouth et, bien que le ministère pût alléguer qu'il y avait quelque danger à heurter par de trop grandes exigences le sentiment religieux de la population, on pensa généralement qu'il y avait là une concession fàcheuse et dont pouvait souffrir l'autorité déjà trop souvent méconnue du nom français (voy. Turquie).

Nos relations avec les autres puissances avaient été partout ailleurs amicales et fertiles en heureux résultats. Ainsi, par les soins de M. le marquis de Dalmatie, avait été conclu avec la Sardaigne un traité utile à la navigation de nos côtes

méditerranéennes, et dans lequel était introduit le principe qui atteint le transit de la contrefaçon belge. Si, de ce côté, les effets matériels devaient être d'importance secondaire, puisque le transit belge s'effectue beaucoup plus par Livourne que par Gènes, au moins cette manifestation n'étaitelle pas sans portée (voy. les documents historiques, partie officielle, France).

Deux alliances vinrent créer de nouveaux liens entre la France et deux puissances secondaires. S. A. R. la princesse Clémentine fut unie, le 20 avril, au prince Auguste de SaxeCobourg, et le prince de Joinville épousa dona Francesca, fille de feu don Pedro et de feu l'archiduchesse d'Autriche, sœur de l'empereur d'Autriche actuellement régnant, et troisième sœur de l'empereur du Brésil (7 mai). Cette dernière. alliance pouvait donner lieu d'espérer que l'influeuce de la France s'accroîtrait de jour en jour dans le Brésil, et que des relations de commerce plus avantageuses allaient s'établir entre elle et l'une des deux grandes puissances de l'Amérique méridionale.

Ces gages nouveaux de rapports plus intimes avec différents peuples, liés désormais d'intérêts à la France, furent complétés par un acte d'une plus haute portée politique, la visite faite par la reine d'Angleterre au roi des Français. Le 2 septembre, la reine Victoria débarquait au Tréport, et était reçue dans le château d'Eu par la famille royale (Voy., pour les détails, la petite chronique). Quelle que fût la signification de ce voyage et qu'on dût ou non y attacher une grande importance, il n'en était pas moins vrai que l'heureux accord manifesté à cette occasion entre les représentants de deux grandes puissances pourrait porter ses fruits et sanctionner l'oubli de vieilles querelles trop longtemps préjudiciables à la paix du monde. L'opposition parut craindre qu'il n'en résultât pas autre chose qu'une tendance plus marquée vers des concessions dangereuses. Le sentiment public ne trouva, au contraire, à regretter en cette

occasion que la réserve apportée par le gouvernement anglais dans ses démonstrations amicales. La visite d'Eu parut trop s'adresser au roi des Français, pas assez à la France elle-même. Au reste, il ne se passa pas beaucoup de temps sans que les conséquences d'une harmonie plus sincère entre les deux royaumes ne fussent rendues manifestes au monde. Les événements de la Grèce furent heureusement de nature à appeler immédiatement l'expression cordiale et uniforme des opinions des deux gouvernements.

On put en voir aussi l'influence dans la solution définitive de quelques difficultés jusque-là pendantes entre les deux cabinets.

Ainsi, la question des pêcheries fut résolue dans un règlement contenant 94 articles et signé au Foreign-Office, malgré les résistances traditionnelles et les haines aveugles de lord Palmerston. Ce règlement consacrait un droit réciproque de navigation et de mouillage pour nos marins, ce droit s'étendait à la zône de trois milles le long du littoral anglais (Voy. Grande-Bretagne).

Une convention postale fut signée également à Londres (3 avril), par M. le comte de Sainte-Aulaire, pour la France, et le comte d'Aberdeen, pour l'Angleterre. Par cette convention, le tarif du port des lettres pesant moins d'une demionce sera un tarif uniforme de 1 fr. au lieu de 2, comme avant, pour les lettres venant d'Angleterre en France; et de 10 pence, au lieu de 1 shelling 8 pence, pour les lettres allant de France en Angleterre (V. Documents historiques et Grande-Bretagne).

Enfin, une convention d'extradition vint combler une lacune de la législation internationale, grâce à laquelle la banqueroute frauduleuse était restée jusqu'alors en dehors de la justice nationale. Cette application du principe d'extradition, accordée récemment aux Etats-Unis, était refusée par la Grande-Bretagne à la France depuis le traité d'Amiens, époque des premières négociations à ce sujet.

La sympathie de la Grande-Bretagne pour la dynastie de Juillet se produisit bientôt d'une manière plus éclatante encore et plus personnelle. Au mois de novembre, le jeune duc de Bordeaux vint faire en Angleterre un voyage de quelques jours. Reçu avec discrétion par le roi de Prusse, le dernier rejeton de la branche exilée devait trouver dans les tolérances d'un gouvernement constitutionnel les garanties d'une hospitalité plus complète, quoique peu significative. Les imprudences du parti légitimiste essayèrent de changer en manifestation une visite innocente et sans portée. Londres fut un moment le rendez-vous de nombreux partisans de la branche déchue attirés, les uns par un sentiment sincère d'attachement respectable, les autres par une curiosité frivole et par le besoin de sacrifier à la mode. Si l'on put voir M. de Châteaubriand porter au fils de ses anciens rois le dernier et touchant hommage d'une honorable fidélité (1), on n'entendit pas sans surprise et sans regret formuler hautement, à Belgrave-Square, par des hommes qui, tout-à-l'heure encore, appartenaient, par leurs droits et leurs devoirs, à la France constitutionnelle, des vœux imprudents et d'illégitimes espérances. Ces hommes n'avaient pas pensé, sans doute, qu'il y avait là le danger de diminuer le pieux intérêt qu'inspire une noble infortune, et que rien ne pouvait justifier d'indiscrets partisans qui transformaient ainsi, et malgré lui, sans doute, un prince exilé, placé par des fautes qui ne furent pas les siennes, en dehors de toufes espérances politiques, en prétendant, en chef d'une faction sans racines et sans avenir. De déplorables distinctions furent faites, à ce sujet, par un journal, entre les serments monarchiques et les serments populaires.

Au reste, il n'y eut, dans toute cette affaire, qu'un mou

(1) Voy., aux documents historiques, France, partie non officielle, les deux lettres du prince et du vicomte de Châteaubriand.

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vement superficiel et de peu de portée. Le bon sens public protesta, par son indifférence, contre cette agitation impuissante, et la France assista avec calme et, pour ainsi dire, avec compassion, aux manifestations peu sérieuses d'un parti sans avenir. Mais, si le gouvernement avait partagé l'indifférence de la nation pour l'expression peu dangereuse des opinions individuelles, il devait sévir contre les hommes qui, revêtus d'un caractère officiel, n'avaient pas craint de compromettre ce caractère par des manifestations coupables. Quelques fonctionnaires publics, dont le nom avait été inscrit sur le livre des visiteurs de Londres, furent révoqués de leurs fonctions, et l'on devait s'attendre que la Chambre des députés demanderait à quelques-uns de ses membres comment ils avaient pu concilier les exigences de leur mandat et de leur serment avec le pélerinage de Belgrave-Square.

Une tentative de répression moins justifiable fut le procès intenté au journal légitimiste la France, devant la Cour d'assises de la Seine (9 novembre), pour quelques paroles peu convenables prononcées au sujet du duc de Nemours, mais dans laquelle le jury refusa de voir une insulte. On put regretter de voir ainsi, par un zèle maladroit, compromettre la dignité de la famille royale par un échec bien facile à prévoir.

Le gouvernement de la Grande-Bretagne, nous l'avons dit, ne s'associa en aucune manière à ces manifestations hostiles à la dynastie de Juillet. Le jeune prince quitta l'Angleterre sans avoir été reçu à la cour de Victoria.

L'accueil sympathique fait par les populations aux princes de la branche régnante aurait rassuré la France, si elle avait pu craindre un instant pour le trône qu'elle a fondé. Le duc de Montpensier, dans le Midi, le duc de Nemours, dans l'ouest, recueillirent partout les témoignages d'attachement les moins équivoques. Une seule voix s'éleva pour faire entendre au duc de Nemours des paroles peu convenables,

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