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La sympathie de la Grande-Bretagne pour la dynastie de Juillet se produisit bientôt d'une manière plus éclatante encore et plus personnelle. Au mois de novembre, le jeune duc de Bordeaux vint faire en Angleterre un voyage de quelques jours. Reçu avec discrétion par le roi de Prusse, le dernier rejeton de la branche exilée devait trouver dans les tolérances d'un gouvernement constitutionnel les garanties d'une hospitalité plus complète, quoique peu significative. Les imprudences du parti légitimiste essayèrent de changer en manifestation une visite innocente et sans portée. Londres fut un moment le rendez-vous de nombreux partisans de la branche déchue attirés, les uns par un sentiment sincère d'attachement respectable, les autres par une curiosité frivole et par le besoin de sacrifier à la mode. Si l'on put voir M. de Châteaubriand porter au fils de ses anciens rois le dernier et touchant hommage d'une honorable fidélité (1), on n'entendit pas sans surprise et sans regret formuler hautement, à Belgrave-Square,.par des hommes qui, tout-à-l'heure encore, appartenaient, par leurs droits et leurs devoirs, à la France constitutionnelle, des vœux imprudents et d'illégitimes espérances. Ces hommes n'avaient pas pensé, sans doute, qu'il y avait là le danger de diminuer le pieux intérêt qu'inspire une noble infortune, et que rien ne pouvait justifier d'indiscrets partisans qui transformaient ainsi, et malgré lui, sans doute, un prince exilé, placé par des fautes qui ne furent pas les siennes, en dehors de toutes espérances politiques, en prétendant, en chef d'une faction sans racines et sans avenir. De déplorables distinctions furent faites, à ce sujet, par un journal, entre les serments monarchiques et les serments populaires.

Au reste, il n'y eut, dans toute cette affaire, qu'un mou

(1) Voy., aux documents historiques, France, partie non officielle, les deux lettres du prince et du vicomte de Châteaubriand.

vement superficiel et de peu de portée. Le bon sens public protesta, par son indifférence, contre cette agitation impuissante, et la France assista avec calme et, pour ainsi dire, avec compassion, aux manifestations peu sérieuses d'un parti sans avenir. Mais, si le gouvernement avait partagé l'indifférence de la nation pour l'expression peu dangereuse des opinions individuelles, il devait sévir contre les hommes qui, revêtus d'un caractère officiel, n'avaient pas craint de compromettre ce caractère par des manifestations coupables. Quelques fonctionnaires publics, dont le nom avait été inscrit sur le livre des visiteurs de Londres, furent révoqués de leurs fonctions, et l'on devait s'attendre que la Chambre des députés demanderait à quelques-uns de ses membres comment ils avaient pu concilier les exigences de leur mandat et de leur serment avec le pélerinage de Belgrave-Square.

Une tentative de répression moins justifiable fut le procès intenté au journal légitimiste la France, devant la Cour d'assises de la Seine (9 novembre), pour quelques paroles peu convenables prononcées au sujet du duc de Nemours, mais dans laquelle le jury refusa de voir une insulte. On put regretter de voir ainsi, par un zèle maladroit, compromettre la dignité de la famille royale par un échec bien facile à prévoir.

Le gouvernement de la Grande-Bretagne, nous l'avons dit, ne s'associa en aucune manière à ces manifestations hostiles à la dynastie de Juillet. Le jeune prince quitta l'Angleterre sans avoir été reçu à la cour de Victoria.

L'accueil sympathique fait par les populations aux princes de la branche régnante aurait rassuré la France, si elle avait pu craindre un instant pour le trône qu'elle a fondé. Le duc de Montpensier, dans le Midi, le duc de Nemours, dans l'ouest, recueillirent partout les témoignages d'attachement les moins équivoques. Une seule voix s'éleva pour faire entendre au duc de Nemours des paroles peu convenables,

et cette voix fut étouffée plus encore par les protestations générales qu'elle excita que par la réponse digne et sévère du prince lui-même. Le maire du Mans, chargé de complimenter le prince à son passage dans cette ville, lui adressa un discours dans lequel était mise en oubli la position spéciale du fonctionnaire. Une destitution immédiate fut le prix de cette exhibition de principes aussi maladroite qu'intempestive (Voy., aux documents historiques, France, partie non officielle, la réponse du duc de Nemours).

Dans les faits de politique secondaire, nous avons encore à signaler une lutte fâcheuse qui s'établit à Angers (octobre), entre le maire et le conseil municipal de cette ville. Le conseil municipal crut devoir déclarer que le maire choisi par l'administration n'avait pas sa confiance, et lui refuser son concours. Il y avait là une doctrine inadmissible et dont les résultats pouvaient être de rendre illusoires les choix de l'autorité supérieure et de paralyser par un veto l'action de l'administration centrale. Les partis s'emparèrent de cette lutte qui devait bientôt se renouveler dans d'autres localités par la faute peut-être de l'administration supérieure, qui n'avait pas su prendre immédiatement un parti énergique, et qui avait prolongé, par sa faiblesse, un état de choses aussi fâcheux.

Les résistances de l'opposition se manifestèrent encore, vers la fin de l'année, par une déclaration collective de quelques organes de la presse contre l'achèvement et l'armement des fortifications de Paris. Cette déclaration qui, au reste, ne fut pas unanime, se formula dans une pétition intempestive, puisqu'il n'était question en aucune manière d'armer les fortifications, qui ne peuvent l'être que par une loi spéciale. Cette pétition, dont tout le résultat fut de déterminer une scission entre les journaux de l'opposition, contenait, d'ailleurs, des menaces de refus d'impôt, et développait les fàcheux principes du mandat impératif. (Voy., pour la discussion sérieuse des fortifications, les excel

lentes lettres de M. Arago. (Documents historiques, France, partie non officielle.)

Une autre lutte, tout autrement importante, fut celle que soutint l'Église contre l'Université.

L'année dernière, à propos du cours de philosophie de M. Ferrari, professeur à Strasbourg, avaient surgi, ou plutôt s'étaient réveillés d'anciens dissentiments entre le clergé et le corps enseignant. Quelques concessions faites à l'Eglise, l'interdiction d'un professeur désigné à ses châtiments immérités, ne firent qu'accroître les prétentions et les plaintes. Dans un discours de félicitations adressé au roi, à l'occasion de sa fête, M. l'archevêque de Paris s'était fait, quoique avec plus de mesure, l'écho de ces plaintes et de ces espérances. Un refus d'insertion du discours dans le journal officiel fut comme un blâme tacite de cette manifestation au moins intempestive. Mais l'élan était donné et l'exemple fut suivi, sans modération, sans prudence.

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Bientôt la question changea: la querelle privée devint une querelle politique et les réclamations du clergé furent formulées par ces mots. Liberté de l'enseignement. Liberté illimitée, sans contrôle, sans surveillance de l'autorité; droit de tenir école accordé aux petits séminaires, aux congrégations réligieuses, telles furent les prétentions affichées par l'Église accusations d'immoralité, d'athéisme et d'impuissance dirigées contre le corps enseignant, tels furent les moyens employés par elle. Quelques écrits, entre autres, le Catéchisme de l'Université, le Monopole Universitaire par M. Desgarets, chanoine de Lyon, le libelle intitulé Restauration d'un collége par un chanoine d'Albi, se firent remarquer par la violence des attaques et par des imputations contraires à la vérité. M. l'archevêque de Paris dut intervenir dans la querelle et désavoua par un blâme énergique l'inconvenante polémique du chanoine Desgarets, plus faite pour déconsidérer l'Église que pour rallier à elle les esprits modérés et de bonne foi.

Mais, en même temps, dans ses Observations sur la controverse élevée à l'occasion de la liberté de l'enseignement, M. l'archevêque de Paris réservait tous les droits prétendus de l'Église et, dans un style plein de convenance et de mesure, se faisait l'organe des sentiments du clergé. L'État, selon M. l'archevêque, est incapable de poser les bases de l'enseignement, et l'Université, dont le caractère est purement administratif, ne peut représenter l'État pour l'essence même de l'enseignement.

On le voit, la question n'avait pas changé par l'intervention du chef de l'Église française: elle avait seulement grandi de toute l'autorité de son nom, de toute la modération de ses paroles.

Cependant l'État s'apprêtait à répondre par un projet de loi sur l'instruction secondaire à ces prétentions dangereuses, et la session de 1844 allait montrer à leur tour le gouvernement et les Chambres intervenant dans la question.

Vers la fin de l'année, la lutte s'envenima encore par quelques attaques imprudentes. L'évêque de Chartres, M. Clauzel de Montals, et M. l'évêque de Châlons, M. de Prilly, ne craignirent pas de compromettre, dans l'arène du journalisme, le caractère sacré de l'épiscopat, et M. de Prilly se livra, dans le journal l'Univers, à des attaques si peu mesurées contre l'Université, à des menaces si fâcheuses, que le gouvernement dut intervenir. Il le fit par une déclaration d'abus (8 novembre) dont nous avons donné le texte dans la partie officielle des documents historiques, France. Cet appel comme d'abus, fiction légale, anachronisme qui ne répond à rien dans notre législation actuelle, ne pouvait avoir qu'une influence très-limitée sur la conduite ultérieure du clergé. La lutte n'en fut pas moins vive et, à la fin de l'année, les esprits sérieux, amis de l'influence véritable et de la dignité du clergé français, en étaient à regretter que l'Église descendit de sa haute position pour se constituer en parti politique.

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