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dans le ministère ainsi désorganisé. La session législative fut close le 12 avril et, dès la veille, les ministres restants avaient offert au roi leur démission collective. Celle de MM. Smits, Desmaisières et Muelenaere fut acceptée: celle de M. Nothomb fut refusée. Le même jour fut formé un nouveau cabinet qui se composait ainsi :

M. Nothomb, ministre de l'intérieur;

M. le comte Goblet d'Alviella, ministre des affaires étrangères; (représentant pendant plusieurs années, nommé par l'arrondissement de Tournai, ancien ministre des affaires étrangères, du 18 septembre 1832 au 27 décembre 1833, dans le premier ministère de MM. Lebeau et Rogier);

M. Mercier, membre de la Chambre des représentants, ministre des finances;

M. Dechamps, ministre des travaux publics;

M. le baron d'Anethan, avocat général près la cour de Bruxelles, ministre de la justice;

Et M. Dupont, ex colonel d'artillerie, ministre de la guerre (un arrêté royal du même jour élevait ce dernier au grade de général-major).

Ainsi, M. Nothomb avait seul survécu à l'ancien ministère du 13 avril 1841 il gardait dans le ministère reconstitué le même rang et la même position qu'il occupait auparavant. Le ministère nouveau s'annonçait comme ministère de conciliation et de transaction. Son chef politique, M. Nothomb, déclarait vouloir s'appuyer sur toutes les opinions modérées, sans acception de parti. La pensée de M. Nothomb se trouvait tout entière dans un discours prononcé le 18 mars à la chambre des représentants. L'opinion libérale, avait dit M. Nothomb, ne pouvait à elle seule diriger les affaires du pays, pas plus que l'opinion catholique. Majorité et minorité, quand il ne s'agissait que de luttes politiques générales, ces deux opinions se frac tionnaient nécessairement chaque fois que se présentait

une question spéciale d'administration ou de finances. De là sortait une majorité mixte, modérée, celle-là même qui avait fondé le gouvernement nouveau, organisé le pays et à laquelle la Belgique devait sa prospérité. C'est à cette majorité que M. Nothomb faisait appel et, par là, il cherchait à créer, pour le gouvernement, une position neutre entre les deux partis, supérieure aux deux partis et plus capable qu'eux de veiller aux intérêts véritables du royaume.

Le ministère nouveau représentait par ses éléments constitutifs ce désir de transaction, M, Mercier, le ministre des finances, avait appartenu au ministère libéral de MM. Lebeau et Rogier (1810 à 1841). M. Dechamps, ministre des travaux publics, était un des esprits les plus distingués du parti catholique.

En dernier résulat, le pays avait à se féliciter qu'un changement ministériel aussi grave eût pu se réaliser sans amener une de ces crises déplorables qui, en éclatant et en se prolongeant, compromettent toujours les intérêts privés et déconsidèrent le pouvoir.

L'intervalle des deux sessions fut rempli par quelques événements d'une nature assez importante. Mais avant de les signaler, il est nécessaire de revenir sur le traité du 5 novembre 1842.

Cetraité, on se le rappelle, donnait une solution définitive à toutes les questions laissées en suspens entre la Belgique et la Néerlande, par le traité du 19 avril 1839. Il réglait: 1o ce qui concerne la délimitation territoriale; 2° ce qui est relatif à la navigation fluviale; 3° ce qui touche aux nombreuses questions financières renfermées dans le traité de de 1839.

Le projet de loi de sanction du traité et de la convention passée avec la société générale fut adopté à la Chambre des représentants, après quatre jours de débats en comité secret, à la majorité de 79 voix contre 6 (1er février) et dans le Sénat (3 février), à la majorité de 35 voix contre 3.

L'article 70 du traité du 5 novembre portait que les commissions mixtes instituées par le traité du 19 avril 1839 se réuniraient dans les quinze jours qui suivraient les ratifications, à l'effet de rédiger les conventions et règlements qui les concernaient, d'après les dispositions et les bases déjà arrêtées de part et d'autre. Cet article disait, en terminant, que ces commissions devraient avoir terminé leurs travaux dans le délai de trois mois après leur réunion.

Fixer un délai aussi court, c'était beaucoup compter sur le zèle et l'activité des membres de ces commissions, surtout si l'on songe à la durée des travaux des commissions nommées à d'autres époques dans le même but, pour terminer également des liquidations, faire des règlements de navigation, etc. Les négociations entamées au 17° et au 18° siècles entre les Pays-bas et la Belgique, pour l'écoulement des eaux des Flandres, n'avaient pu avoir de résultat. La commission instituée par l'acte général du congrés de Vienne, pour régler les tarifs et les conditions de la navigation du Rhin, était restée réunie pendant seize ans ; c'est en 1831 seulement que la convention qu'elle était chargée de préparer avait été signée.

Il était donc permis de douter que le délai fixé par le traité du 5 novembre pût suffire. Toutefois, le 20 mai, jour de l'expiration du délai, les derniers règlements furent signés à Anvers.

La commission de navigation avait eu sept règlements à faire concernant l'Escaut, la Meuse, les eaux intermédiaires, le canal de Terneuzen, le canal de Bois-le-Duc à Maestricht, le pilotage, les phares et fanaux, etc. Quelques uns de ces règlements comptaient de cinquante à soixante articles; les sept ensemble renfermaient 298 articles et 8 annexes (tarifs, modèles, etc.) (1).

(1) Il nous eût été impossible de donner in extenso le texte de ces conventions aux documents historiques. Elles remplissent quarante-trois colonnes du Moniteur Belge.

Deux articles additionnels furent ensuite signés à la Haye, le 7 août, entre le général Prisse, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S. M. le Roi des Belges, et le baron Huyssen van Kattendyke, ministre des affaires étrangères de S. M. le Roi des Pays-Bas, l'un sur le règlement relatif à la pêche et au commerce de pêcherie, l'autre relatif à la navigation de la Meuse.

Ces deux articles additionnels, et notamment le dernier, levant toutes les difficultés qui avaient fait ajourner les ratifications, elles furent signées celles du roi des Pays-Bas, à la Haye, le 8 août, et celles du roi des Belges, à Wiesbaden, le 6 août. Les ratifications furent échangées à Anvers, le 14 août, et les règlements qu'elles rendaient définitifs furent mis en vigueur le 14 septembre.

Si la Belgique avait enfin réussi à rendre sa situation plus facile et ses relations plus avantageuses avec la Néerlande, il n'en était pas de même avec la France.

On se rappelle le fâcheux effet produit, l'année dernière, par le traité du 25 octobre, qui étendait aux produits espagnols des avantages faits au gouvernement français. Un autre acte d'hostilité plus significative fut dirigé contre la France. Le gouvernement Belge prit, le 14 juillet, un arrêté qui doublait les droits qui déjà entravaient l'entrée en Belgique des tissus de laine d'origine française (Voy. documents historiques). Cette mesure équivalait à une prohibition. L'administration Belge invoquait, au reste, pour sa décharge, les stipulations de notre tarif. En France, on le sait, tout tissu de laine, drap ou casimir, mérinos ou mousseline est prohibé à la frontière.

Il y avait dans cet acte une présomption fâcheuse contre le succès des négociations ouvertes pour un projet d'union douanière entre les deux royaumes. Ces négociations, si elles n'étaient pas fermées désormais, avaient peu de chances d'arriver à une conclusion prochaine. Dans la discussion du projet d'adresse, en réponse au discours du roi

(10 nov.), le ministre des affaires étrangères n'avait répondu à ce sujet aux interrogations pressantes de M. Delehaye que par des paroles évasives.

Un autre membre, M. Castiau, ayant blamé le gouvernement de cette tendance anti-française qui lui faisait repousser le marché naturel de la Belgique, au lieu de chercher à obtenir de la France des conditions plus favorables pour l'industrie nationale, signala la tendance contraire de l'administration vers le débouché allemand.

Cette tendance s'était manifestée encore cette année : le gouvernement belge avait prorogé, pour un an, la convention par laquelle il avait, au mois d'août 1842, accordé aux vins et soieries de l'Allemagne le traitement de fayeur consenti un mois auparavant par une stipulation expresse pour les produits similaires français.

En outre, les circonstances qui avaient accompagné et suivi la mise en activité complète du chemin de fer d'Anvers à Cologne (1) montraient assez le vif désir qu'avait la Belgique de se rattacher au système du Zollverein. Par là elle attirerait à soi le transit de l'Allemagne. Et cependant cet empressement à se jeter dans les bras de l'association prus sienne n'avait pas rencontré de l'autre côté du Rhin les mêmes sympathies. Il semblait même que l'accomplissement de cet acte fût devenu désormais impossible, la Prusse ayant déclaré le Zollverein exclusivement allemand.

M. Nothomb répondit, au reste, aux blâmes formulės contre lui par M. Castiau, que les avantages faits à l'Allemagne avaient eu pour but d'enlever à sa convention du 16 juillet tout caractère exclusif et hostile à d'autres pays que la France. Cette convention, ajoutait le ministre, avait d'autant plus d'importance, qu'elle était un acte tout nouveau dans la diplomatie commerciale. C'était la première convention par laquelle la Belgique nouvelle, la Belgique

(1) Voy. à la petite Chronique, l'inauguration du chemin de fer d'Anvers à Cologne.

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