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auprès des puissances, en s'appuyant sur un homme qui jouissait d'une réputation honorable dans l'empire. RechidPacha, dont la libéralité est connue, rentrait également . dans l'administration; il était nommé à l'ambassade de Paris. Rizza pouvait espérer ainsi de profiter de la popularité de ce personnage sans avoir à redouter son influence.

Ces faits, qui concouraient avec la révolution de la Grèce, firent naître des rapprochements peu favorables à la Turquie. Une nation jeune, intelligente, active se donnait une constitution sage et libérale, et le pouvoir l'acceptait comme la garantie de son avenir dans le pays.

L'Europe constitutionnelle accordait à ce grave événement une approbation sans réserve et employait son influence à le consolider; et en même temps elle avait à lutter à Constantinople contre l'ignorance, le mauvais vouloir et le fanatisme de l'administration.

Le divan lui-même s'émut de la révolution grecque, et surtout de la présence de députés des corporations d'immigrés dans l'assemblée nationale (voy. le chap. suivant); il s'émut d'un sentiment devenu populaire en Grèce, du sentiment que les grecs nourrissent, qu'une grande destinée leur est réservée. Ceci n'amena, au reste, aucune complication dans les relations des deux pays.

L'intervention de l'Angleterre et de la Russie sut également empêcher les complications qui pouvaient surgir du différend survenu l'année dernière entre la Porte et la Perse. Sans résoudre les difficultés, elles empêchèrent les hostilités qui en pouvaient résulter. Le divan donna plusieurs fois des marques d'impatience et eût osé entrer dans les voies d'arrangement direct, au péril même d'une guerre.

Au surplus, c'était moins la fermeté que les lumières qui manquait au gouvernement Turc.

SERBIE. Les affaires de Serbie en sont une preuve. A

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la fin de l'année dernière, on se le rappelle, la Russie, mé

contente de n'avoir point eu de part dans la dernière révolution, peu satisfaite, d'ailleurs, du caractère national que prenaient les choses, avait résolu de protester contre tout ce qui s'était fait ici sans elle et cherchait dans un échec un sujet de triomphe pour la politique. Jusqu'ici le divan, bien que faiblement appuyé par la France et l'Angleterre, que l'inertie calculée de l'Autriche avait trompées, le divan s'était retranché dans une résistance résolue, en présence des prétentions du cabinet Russe.

Le sultan avait répondu d'une manière digne à la lettre que lui avait adressée à ce sujet l'empereur Nicolas (voy. à l'Appendice). L'argument que l'on s'arrêta à faire valoir fut que l'élection du prince Alexandre était illégale. Fallait-il entendre par là une élection faite en opposition avec des lois existantes et des formes prescrites par la constitution? Ni ces lois ni ces formes ne se trouvaient consignées dans aucun document officiel. Ce fut cependant sur cette question de légalité que roulèrent toutes les négociations. On contestait, d'ailleurs, à la Russie le droit d'intervenir dans ce cas; en effet, le traité d'Andrinople, qui règle aujourd'hui les droits et obligations réciproques de la Russie et de la Porte, n'impose à la Porte, en ce qui touche la Serbie, d'autre obligation que celle de communiquer à son alliée les firmans destinés à régler l'existence politique des Serbes et n'accorde à la Russie d'autre droit que celui de réclamer au besoin l'exécution de ces firmans. Enfin, n'est-il pas écrit en propres termes dans le bérat du 22 novembre 1830, qui portait Milosch Obrenowicth à la dignité de prince, qu'en cas de vacance un bérat impérial serait de nouveau publié et expédié ? C'est en cela seulement que consiste le droit de la Porte d'intervenir dans les affaires de la Serbie. Pour ceux qui comprenaient la question de cette manière, la Russie avait le tort d'usurper sur la conduite de la Porte une autorité illégitime et de pousser le divan lui-même à exercer sur la Serbie un pouvoir injuste. Quant à l'Autriche,

il y a lieu de croire, qu'en s'associant ici à la politique de la Russie, elle n'avait pas le même but. Elle ne voulait pas affaiblir ou humilier le divan, mais elle eût applaudi à un changement qui eût amené au pouvoir le prince déchu pour lequel elle avait des sympathies avouées. Une politique qui tendait à remettre la dignité de prince aux chances de l'élection devait donc obtenir son appui. C'était le succès qu'elle ambitionnait dans le présent. Quelques esprits éclairés voulurent voir dans sa conduite une arrière pensée plus profonde: suivant eux, l'Autriche serait exposée aux plus grands périls par tout mouvement national qui se ferait au sein des populations Slaves, et la politique qui pourrait comprimer, arrêter ou retarder ce mouvement, serait aussi la politique naturelle du cabinet de Vienne. La France et l'Angleterre qui lui demandèrent son avis comme étant, à leur point de vue, intéressée à agir contre la Russie, l'ayant trouvée dans des dispositions toutes contraires, ne tardèrent pas à abandonner le sultan à ses propres inspirations. Enfin, craignant pour la Serbie ellemême l'effet des menaces du cabinet russe et le fantôme d'une invasion, elles conseillèrent au divan de se soumettre. Ainsi, la Porte céda, mais beaucoup moins à la Russie qu'à l'Europe réunie contre elle. Elle délivra les ordres qui lui étaient demandés: toutefois, en les adressant aux Serbes, elle leur déclara qu'elle n'agissait que sous l'influence de volontés étrangères. Ces ordres prescrivaient une nouvelle élection et appelaient à Constantinople le prince Alexandre et les deux ministres sur lesquels il s'appuyait, Wutchitch et Petroniewicth.

Le sénat Serbe répondit avec dignité qu'il avait reçu avec la plus grande soumission le firman impérial et que, selon ce que lui commandaient les devoirs écrits dans la constitution et son éternelle fidélité à la volonté légale du sultan, il était convaincu de l'importance du décret impérial en lui-même et dans ses rapports avec les priviléges du peuple. Ann. hist. pour 1843.

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Le sénat était persuadé que c'était le vœu du sultan que ce firman fât communiqué au peuple, et sachant que, par une coutume encore existante, de semblables décrets l'avaient toujours été, il avait pour ces raisons décidé qu'une assemblée populaire serait convoquée le plus promptement possible; qu'elle serait composée des meilleurs citoyens jouissantde la confiance du peuple; que ces hommes, munis de pouvoirs suffisants, se réuniraient dans le but d'entendre la lecture du firman impérial, après quoi le sénat, de concert avec cette asse mblée et avec les primats dupeuple, ferait ses efforts pour acquiescer à la volonté impériale, de telle sorte que les priviléges du peuple pussent être conservés intacts, et que la tranquillité et le bon ordre fussent maintenus dans la province, conformément au vœu du souverain. La conduite des Serbes vis-à-vis du sultan fut ainsi empreinte de dignité et de déférence. Loin de profiter de l'humiliation dont la Russie et l'Europe couvraient le divan, ils n'en témoignèrent que plus d'attachement pour le gouvernement de la Porte. Ils oublièrent de vieilles haines et donnèrent à entendre que, préoccupés de leur nationalité, ils n'en avaient pas moins à cœur les intérêts généraux de l'empire. En même temps tout fut préparé en Serbie pour que la nouvelle élection laissât subsister le nouvel ordre de choses.

D'abord, le prince Alexandre écrivit au sultan que les cabinets de l'Europe ayant mis en doute la légalité de son élection, il était prêt à se démettre du pouvoir, si la nation faisait un autre choix. Mais il avait l'intention d'en conserver l'exercice jusqu'à cette grande épreuve. Wutchitch et Petroniewitch offrirent de se rendre à Constantinople; mais le prince et le sénat ajournèrent le départ des deux ministres. Une immense activité fut alors déployée par la population serbe, et des pétitions qui demandaient au sultan de maintenir au pouvoir le prince Alexandre librement élu parcoururent tout le pays. La Porte, il est vrai, avait, suivant le vœu de

la Russie, rappelé de Belgrade, Kiamil Pacha qui portait ombrage à cette puissance, mais elle avait nommé à sa place (9 mai) un circassien, Hafiz Pacha, que sa naissance et ses antécédents mettaient à l'abri de tout soupçon de complaisance pour la Russie. Sarim Effendi, pour la même cause, avait été remplacé au poste de Reis-Effendi; mais le sultan ne craignait pas pour cela de s'éclairer de ses conseils dans toutes les affaires relatives à la question Serbe. Enfin, la Porte met. tait la plus grande tolérance dans ses rapports avec l'administration serbe et laissait au consul russe à Belgrade le soin d'exiger l'exécution du firman impérial. Sous pretexte de dangers pour l'ordre public et d'irritation populaire, le départ de Wutchitz et de Petroniewitch fut retardé.

Cependant la Russie ne négligeait rien pour assurer le succès de ses desseins, et ses agents répandus par tout le pays y prêchaient des pensées d'indépendance, de résurrection nationale, y parlaient des services rendus par la famille déchue et de tout ce qui pouvait mettre les populations en défiance ou en hostilité contre le prince Alexandre et contre la Turquie. Les populations restèrent sourdes à ces prédica tions dangereuses, et un grand nombre de ces agents furent saisis et livrés à l'autorité. Le sentiment des Serbes resta inaltérable; on avait renversé le prince Michel, parce que l'on avait cru ses ministres vendus à la Russie. Le mouvement avait été anti-russe : on voulait lui conserver cette signification, et l'attachement des Serbes à leur nouveau prince aussi bien qu'à la Turquie se montra inflexible. Cette unanimité, cette persévérance, cette sagesse des populations serbes causèrent en France, en Angleterre et même en Autriche quelques surprises qui ne furent pas sans influence sur les cabinets. La France, qui s'était déterminée la dernière à abandonner la Turquie dans cette question, revint à de meilleures dispositions et mit plus d'empressement dans le témoignage de bon vouloir et dans les conseils qu'elle donna aux Serbes. L'Angleterre inter

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