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tranquillité publique. Suivant le ministre, c'était le cas de ces écrits, qui méconnaissaient les prérogatives de la couronne et qui excitaient le peuple au désordre. La circulation de tout écrit de cette espèce devait donc être arrêtée par le fonctionnaire public et la dénonciation faite dans les douze heures qui suivraient la saisie et le dépôt, sans que les verdicts contraires du jury pussent paralyser, en aucune occasion, l'action de la loi.

Le gouvernement fut obéi; les saisies se multiplièrent; mais les jurés ne furent pas aussi dociles que les agents de l'autorité; un petit nombre de condamnations fut prononcé.

Les journaux coalisés persévérèrent dans leur attitude violente. Aucun acte du gouvernement n'échappait à leur censure; dès que l'oppression arbitraire de la presse à Barcelone leur fut connnue, ils publièrent, d'un commun accord, une protestation énergique contre la conduite du capitainegénéral Seoane.

C'est alors que, convaincu de tyrannie et d'impuissance,le gouvernement dut renoncer à obtenir la contribution dont il avait frappé Barcelone. Il le fit par un décret du 2 février : la communication par laquelle le capitaine-général en faisait part à la municipalité contenait ces paroles singulières :

« S. A. (le régent) veut donner par cette mesure à la population de Barcelone une nouvelle et évidente preuve de sa bonté et de sa déférence. Elle est mue par l'espérance que cela servira de stimulant pour prévenir ultérieurement la reproduction de semblables événements, si défavorable au bien-être et à la réputation de cette ville. Ce sont là deux objets en faveur desquels S. A. sera toujours disposée à employer ses efforts et son zèle.»

Toutefois, à la même époque (6 février), Espartero, effrayé des proportions que prenaient les événements et de la coalition de passions et d'intérêts qui se déclaraient contre sa politique, crut devoir adresser aux Espagnols un manifeste sur la situation et rappeler le souvenir de ce qu'il

commença la discussion d'un projet d'adresse. Formé des créatures d'Espartero, moins disposé au renversement du système que la Chambre des députés, il avait nommé une commission favorable au gouvernement. Le projet avait été rédigé par un des hommes les plus dévoués au régent, à ce qu'on appelait alors le parti anglais, et conçu dans un esprit entièrement ministériel et anti-français. Aussi, après avoir répondu au discours du régent, en déclarant que le sénat était prêt à seconder les intentions administratives du pouvoir, le projet témoignait des mauvaises dispositions de ses rédacteurs contre la France. Nous en donnons le texte :

Il est heureux que nos relations avec les gouvernements étrangers n'aient pas souffert d'altération notable. Il faut sans doute que les motifs d'inimitié qu'à provoqués l'événement de Barcelone vis-à-vis d'un gouvernement ami aient entièrement disparu, et que Votre Altesse ait la certitude que les expressions peu mesurées prononcées par un homme d'État (M. Guizot) et dans une tribune publique, à propos de faits qui nous concernaient exclusivement, n'auront pas de conséquence. Le sénat espère que la dignité et l'indépendance, ces premières exigences de toute nation qui s'estime, seront toujours à couvert dans nos relations extérieures. Les espagnols qui ont combattu trente ans de suite pour ces droits sauront, au besoin, combattre un égal nombre d'années, pour les consolider. C'est à ces fins que Votre Altesse se trouve à la tête d'une nation magnanime, investie de toute son autorité, armée de de toute sa force. La raison et la justice sont pour nous; pour nous aussi est l'opinion publique appuyée sur le droit commun des nations; pour nous sont enfin les sympathies politiques de peuple à peuple, sympathies qui s'opposent à la rupture de la bonne harmonie entre deux pays auxquels nul intérêt véritablement national ne peut conseiller une rupture. Il n'est pas admissible, en somme, que Votre Altesse consente jamais à ce que nul s'arroge le droit d'influence sur nos affaires intérieures importantes ou non, à ce que personne considère l'Espagne comme un fief, comme un héritage qui lui appartient; à ce que personne, enfin, se permette avec nous, en traitant de nos plus chers intérêts, le langage d'une supériorité orgueilleuse et bien moins encore le ton de la

menace.»

C'est ainsi que la commission du sénat prétendait répondre à quelques paroles respectueuses pour l'Espagne et certainement dignes et modérées du ministre des affaires Ann. hist. pour 1843.

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projets de loi et à résoudre les questions de contentieux administratif (voy. l'appendice).

Ces actes avaient peu d'importance pour les partis; cependant l'affermage des mines fut vivement critiqué comme fait à des conditions défavorables pour le trésor, et la préférence accordée au 3 . ne parut pas suffisamment justifiée.

Quant à la création du conseil d'État sans la délibération des chambres, elle fut regardée comme bonne en fait, et mauvaise en principe. Si elle dotait le pays d'une institution nécessaire, ce n'était qu'au prix d'une nouvelle atteinte portée aux droits des cortès. Ainsi, le pouvoir frappé de vertige ne pouvait faire même le bien, sans donner prise aux attaques de ses ennemis.

Le mois de mars fut rempli par les luttes électorales. Elles furent ce qu'elles ont presque toujours été en Espagne, agitées, violentes, et, dans plusieurs villes comme Barcelone, elles occasionèrent des prises d'armesdans lesquelles il y eut du sang répandu. Dans sa signification politique, le résultat fut favorable à la coalition, et remplit les espérances que l'oppo→ sition en avait conçues. Il n'y avait point encore lieu de supposer que les nouvelles chambres voulussent renverser autre chose que le ministère et le système. Mais telle semblait être la fermeté de leur résolution sur ce point, qu'aucun obstacle ne pouvait les détourner de ce but, fût-ce la personne du régent lui-même. Dans l'incertitude des événements, une chose était du moins certaine : c'est que les nouvelles chambres voudraient une autre politique et qu'elles avaient avec elles les vœux et l'appui du pays. Le ministère comprit dèslors qu'il n'échapperait pas aux difficultés d'administration qui se préparaient, et que son existence ne tarderait pas à devenir impossible. Il déclara au régent que telle était son opinion et qu'il ne pouvait que penser à la retraite (16 mars). Mais le régent refusa d'accepter la démission du cabinet, en lui demandant, comme un service au pays, de rester au pouvoir Jusqu'à ce que la majorité se fût déclarée dans les cortès.

Cette manifestation était sans doute plus capable d'entre tenir l'agitation dans les esprits que de les calmer.

La discussion s'ouvrit le 24 avril, et, malgré les sentiments ministériels du sénat, le projet d'adresse rencontra une vive opposition.

La forme en fut critiquée par M. Olovarrietta, comme s'écartant des usages parlamentaires. Il reprocha à la com mission de n'avoir point imité la prudente réserve du régent.

Un autre sénateur, M. Andovilla, demanda s'il était arrivé quelques complications nouvelles dans les relations du pays et de la France, pour que la commission eût cru devoir faire une pareille démonstration. M. Cordova émit l'avis que le gouvernement ayant jugé à propos de garder le silence sur les relations extérieures, la commission aurait dû agir de même. Puisqu'elle avait voulu parler de la France, pourquoi ne l'avait-elle pas fait aussi pour l'Angleterre et Rome. L'Espagne n'avait-elle pas des différends religieux avec Rome? Et l'Angleterre n'était-elle pas soupçonnée d'exercer une influence pernicieuse sur le pays?

M. Infante voyait, au contraire, dans plusieurs discours prononcés dans les Chambres françaises une justification des termes dans lesquels la commission s'était exprimée sur la politique extérieure. M. Guizot n'avait-il pas dit que le cabinet français saurait soutenir par la force des armes la reine d'Espagne, si son trône était menacé? Il s'agissait de la reine Isabelle, dont le trône était entouré de loyaux et fidèles Espagnols toujours prêts à la défendre. « Il n'y a jamais eu de régicides en Espagne, ajoutait M. Infante; il n'en est pas ainsi en France.» En ce qui touchait le mariage de la reine, il déclara qu'il s'opposerait formellement à ce qu'on lui donnât un époux qui ne serait pas du goût de la nation.

Un autre membre, M. Campuzano, fit entendre des critiques sévères. Suivant lui, un corps législatif ne devait pas traiter les questions que le gouvernement lui-même évitail

de spécifier dans son discours d'ouverture. Pourquoi, d'ailleurs, attacher au discours de M. Guizot une importance plus grande que celle qu'il devait avoir? Pourquoi chercher dans ses paroles autre chose que l'expression des vues personnelles d'un homme qui, ministre aujourd'hui, peut ne plus l'être demain? En prenant l'initiative la commission avait fait preuve d'une rare imprudence. Elle se devait à elle-même, elle devait au pays qu'elle avait compromis de modifier la rédaction de son projet d'adresse. Le laisser subsister dans sa teneur actuelle, ajouta l'orateur, aurait l'immense inconvénient de justifier en quelque sorte ce que l'on a dit ailleurs des divisions du parti libéral, dont une fraction était qualifiée de parti français et l'autre de parti anti-français. Le sénat ne pouvait pas donner la consécration de son vote à ces absurdes qualifications.

M. Heros pensait que la commission avait rendu un immense service au pays par le langage dont elle proposait l'adoption au sénat. Des paroles comme celles de M. Guizot ne pouvaient pas rester sans réponse. Il en résultait, en effet, que le trône d'Espagne appartiendrait moins en réalité à Isabelle II qu'à la maison de Bourbon, puisqu'au dire de ce ministre la reine ne devait épouser qu'un Bourbon. Et comment M. Guizot avait-il qualifié les princes de cette maison? Il les avait appelés glorieux. Notre histoire est là, continuait l'orateur, pour attester que les Bourbons n'ont fait que nous ruiner. Pourquoi la reine d'Espagne n'épouserait-elle qu'un Bourbon? La loi fondamentale, les règlements de 1834 et 1837 n'ont-ils pas banni Don Carlos et les princes de sa famille ? Si l'étranger pouvait ainsi librement et arbitrairement disposer de la main de la reine, il ne s'arrêterait pas en si beau chemin, et il ne tiendrait qu'à lui de déchirer plus tard la constitution.

M. Marliani ajouta qu'il était étrange que tous les ans l'Espagne se vit, pour ainsi dire, traduite à la barre des chambres françaises. Il termina en disant que la commis

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