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majorité de la reine. C'est l'ultimatum qui se retrouve dans la plupart des proclamations des juntes insurrectionnelles.

De ce moment, les événements se dévelopèrent avec une logique invincible. Les autorités militaires et politiques de Barcelone firent, il est vrai, quelque effort pour arrêter la conflagration qui se répandait dans la province, mais les sanglants désastres de l'année précédente étaient encore présents à tous les souvenirs.

Zurbano put s'en assurer. Le général partant pour assiéger Reuss fut poursuivi par la populace qui, d'abord s'était contentée de pousser des cris de vive la constitution et de vive la reine, mais contre laquelle il fallut faire feu. L'esprit de révolte menaçait de s'étendre dans toute la Catalogne et jusqu'à Sarragosse. Zurbano se mit en devoir de faire le siége de Reuss. Prim sortit de la ville pour en détourner les malheurs qui avaient frappé Barcelonc. Zurbano n'en persista pas moins dans son projet. Reuss fut impitoyablement bombardé, et ce n'est qu'à la suite de cet acte sanglant que Prim put rejeter Zurbano dans l'Aragon, et mettre la désertion dans son armée.

Pendant ce temps, les esprits se décidèrent à Barcelone. Une junte provisoire fut nommée et entra en négociation avec la garnison du fort Montjuich. Sa pensée était d'éviter à la ville les désastres qui l'avaient frappée dans la dernière insurrection. Le commandant du fort hésita quelque temps entre les sentiments d'humanité et sa responsabilité de fonctionnaire, et ce ne fut qu'après d'actives négociations, appuyées par la menace d'un soulèvement général de la ville, qu'il consentit à menager les habitants: mais il demeura fidèle au gouvernement, et la crainte d'un nouveau bombardement que l'on pouvait croire seulement différé continua à peser sur Barcelone.

Cependant Madrid s'était maintenu dans l'obéissance, et le régent ne semblait pas encore désespérer de la siluation. Sarragosse avait donné des preuves de fidé

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lité. Surprise par un hardi coup de main, la municipalité de cette ville avait retrouvé quelque énergie à la vue du petit nombre de ses ennemis. Captive elle avait recouvré sa liberté et mis les insurgés en fuite. Le régent donna à la conduite de Sarragosse les plus pompeux éloges.

Son inquiétude était grande cependant, si l'on en juge par le nouveau manifeste qu'il adressa à la nation (13 juin). Il cherchait dans cette pièce à justifier les mesures exceptionnelles qu'il avait prises.

Il répondait en termes vagues et emphatiques aux reproches qu'on lui avait faits de vouloir prolonger le terme de la régence et terminait par ces paroles :

Je dois livrer intacts aux cortès, qui ont à décider les graves questions qui agitent aujourd'hui les esprits, les dépôts sacrés de la reine et de mon autorité. Je ne les livrerai pas à l'anarchie ni au débordement des passions. Le sort de celui qui a consacré mille fois sa vie à la défense de la patrie importe peu; mais la reine, la constitution et la monarchie m'imposent des devoirs que je remplirai comme premier magistrat de la nation et que je défendrai comme soldat (Voy. le texte aux documents historiques).

Espartero trouva l'occasion de revenir sur cette matière dans une revue qu'il passa (15 juin) de la garnison et de la milice nationale de Madrid.

Il leur dit qu'il leur adressait la parole comme fils du peuple,nommé solennellement régent par la volonté du pays. Alors il avait juré de protéger comme un dépôt sacré la vie de la reine et la constitution; il n'avait pas manqué et ne pouvait manquer jamais à ses serments. A dire le contraire il y avait calomnie, la volonté nationale était sa volonté.

Peu de jours après, le régent quitta lui-même Madrid pour prendre le commandement de l'armée, en adressant à l'Espagne une nouvelle proclamation qui n'était que la répétition des précédentes.

Au moment de son départ, l'insurrection faisait des progrès considérables; Séville, la Gallicie, Valence s'é

taient prononcées. C'est sur ce dernier point que le régent crut devoir se porter; c'est celui d'où il pouvait le mieux conserver ses communications avec les armées du nord et du midi. C'était une position intermédiaire et choi sie avec habileté. Les divisions du midi étaient commandées par les généraux Van-Halen et Facundo-Infante, celles du nord avaient pour chefs les généraux Seoane et Zurbano. Le régent s'avança sans obstacle jusqu'à Albacette, mais à Valence les insurgés ne restaient pas inactifs; des émigrés, les généraux Ramon Narvaez et Concha étaient venus leur offrir des services qui furent acceptés. Narvaez avait été immédiatement nommé capitaine-général de Valence et de Murcie; le général Concha avait obtenu le commandement en second; le 1er juillet, Narvaez était déjà en marche pour commencer les opérations, il se portait sur Murviedo. Concha allait partir pour se joindre aux insurgés du midi. Barcelone, toujours sous la crainte du bombardement, persévérait dans ses résolutions et, le 28 juin, la junte de gouvernement y déclarait par un audacieux décret la déchéance du régent et la reconstitution du ministère Lopez. En attendant la réunion des membres du cabinet, elle chargait le général Don F. Serrano de tous les portefeuilles. Elle proclamait que ce ministère serait considéré comme gouvernement provisoire, jusqu'à ce que toutes les juntes provinciales de la Péninsule, représentées par deux commissaires réunis en junte centrale, eussent donné leur adhésion. Le gouvernement crut pouvoir entrer immédiatement en fonctions, en décrétant une amnistie complète suivant le projet de loi qui avait été présenté par M. Lopez aux cortès. Il reprit en même temps et avec succès les négociations entamées avec le commandant du fort Montjuich, et il fut décidé que deux officiers de la garnison seraient envoyés à Madrid pour y étudier l'état du pays et juger jusqu'à quel point le développement de l'insurrection rendait la fortune d'Espartero désespérée et la résistance inutile.

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L'activité et la tactique de Narvaez et de Concha avaient imprimé au mouvement plus d'unité et d'ensemble, et une vigueur nouvelle en présence desquelles le régent commençait à perdre confiance. Narvaez, au lieu de se porter directement sur Espartero, qui avait ses campements à Albacette, et de risquer un combat imprudent contre des forces supérieures, se dirigea par Murviedo sur Segorbe et de là s'élança au secours de la ville de Terruel, bloquée par Enna. La première rencontre qu'il eut avec l'ennemi fut un succès signalé par le triomphe de l'insurrection à Terruel; par là les communications d'Espartero avec l'armée du nord étaient rendues à peu près impraticables. De Terruel, Narvaez précipita sa marche sur Catalaɣud, où la même fortune l'attendait. Cette tactique avait fait une diversion utile aux insurgés de Catalogne. Arrivé à Catalayud, le jeune général avait laissé croire que son plan était de marcher sur Sarragosse, où était le centre des opérations de l'armée du nord: mais un projet plus grand se présentait à son esprit. Plusieurs fois, depuis le commencement de l'insurrection, des bruits qui paraissaient avoir de la consistance avaient fait craindre que le régent n'eût la pensée de faire enlever de Madrid la jeune reine. Dans le vœu des monarchistes et dans les intérêts de l'insurrection, il était de première importance qu'un tel dessein ne fût pas réalisé. Narvaez songea à mettre la personne royale à l'abri de telles éventualités. Le général Aspiroz était maître de la Vieille-Castille et pouvait marcher sur Madrid. Narvaez se concerta avec ce général et se mit en devoir de le suivre à peu de jours de distance sur la route de la capitale. Il avait également pris ses mesures pour être protégé par le général Serrano et les insurgés de Catalogne. Narvaez se mit donc en marche : il fut bientôt poursuivi par les troupes de Seoane et de Zurbano; mais Serrano se déployait sur leurs flancs et les tenait en échec. Aspiroz arriva le premier devant Madrid, qui refusa de luiouvrir ses portes. Narvaez ne tarda pas à opérer sa jonction ;

toutefois, la présence des deux généraux ne put encore obtenir de la municipalité de Madrid que de simples promesses de neutralité. Cependant Seoane approchait de la capitale. Le 22 juillet, les deux armées se rencontrèrent à Torrejon, et, après un engagement d'un quart d'heure, elles fraternisèrent. Le général Seoane et le fils de Zurbano furent faits prisonniers; Zurbano parvint à s'échapper. Jusque là Madrid, que le régent avait eu soin de déclarer en état de siège (11 juillet), était resté fermement attaché à sa fortune. Sitôt que la nouvelle de l'engagement de Torrejon fut connue les dispositions de la municipalité changérent; elle reconnut l'autorité de la victoire et fit sa soumission au gouvernement provisoire. Narvaez entra le 23 dans Madrid, et le 24, le ministère Lopez, déjà reconstitué par la junte de Barcelone, entra en fonctions. Sarragosse suivit l'exemple de Madrid et reconnut le gouvernement. Plusieurs garnisons de Catalogne, qui tenaient encore pour le régent, se rendirent, et le commandant du fort Montjuich ne tarda pas à prendre la même résolution.

Dans le midi, les choses étaient moins avancées: le général Concha avait quitté Valence en même temps que le général Narvaez, et le 3 juillet il se trouvait à Malaga, où il fut nommé commandant en chef des troupes. Il se dirigea immédiatement sur Grenade, où il s'attendait à trouver les esprits disposés à les recevoir; l'événement répondit à son attente, et les forces qui se joignirent à lui lui permirent de s'aventurer sur Séville (13 juillet), dont la résistence au régent devait décider du succès de l'insurrection dans le midi. C'est là, en effet, que Van-Halen allait porter toute son action; c'est de ce côté que le régent plaçait son dernier espoir. Van-Halen avait eu d'abord pour mission de pacifier Grenade, mais l'insurrection de Séville lui avait enlevé son point d'appui. De Grenade, où il avait échoué, il s'était porté sur Jaen et se disposait à agir sur Séville. Maitre de ce point, on pouvait l'être de l'Andalousie, et c'est presque tou

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