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mière condition pour faire le bonheur de la société. Ils protestaient, d'ailleurs, que s'ils avaient cru devoir appeler tous les espagnols à participer aux emplois, ils s'étaient gardés, dans la distribution des fonctions, d'accorder la prépondérance à aucun parti.

Le manifeste abordait ensuite un autre grief de l'émeute, le refus du cabinet de convoquer une junte centrale. La pensée qui avait dicté ce refus, c'est que, si quelques uns désiraient avec les meilleures intentions la convocation de cette junte et la considéraient comme un point d'appui avantageux dans la situation, d'autres l'auraient voulue comme fin et non comme moyen. Ils auraient voulu ainsi trancher des questions qui devaient être traitées avec lenteur et solennité; ils auraient voulu faire servir ce moyen à imposer par anticipation des engagements qui auraient pesé d'une manière décisive sur les destinées futures de la nation. Le manifeste essayait ensuite de montrer les inconvénients immédiats et pratiques de la création de ce pouvoir exceptionnel et irrégulier dont le premier eût été d'éloigner la convocation des cortès et, par là, de perpétuer l'incertitude de la situation. N'eût-ce pas été aussi mettre imprudemment aux prises les opinions, les intérêts contraires et entretenir, réveiller l'agitation dans le pays?

Les ministres ajoutaient à ces considérations d'un grand poids une autre considération également importante; à savoir, qu'obéissant aux principes de la majorité qui est le fondement du gouvernement représentatif, ils avaient, avant de décider la question de la junte centrale, accueilli et pesé les observations que différentes provinces leur avaient adressées. Peu de provinces s'étaient montrées favorables au projet de junte centrale, beaucoup l'avaient combattu. Le gouvernement n'avait donc fait qu'obéir au vœu de la majorité.

Les autres griefs des insurgés étaient moins sérieux : c'était la création d'une municipalité et d'une députation pro

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vinciale provisoire pour Madrid; c'était le changement de personne, qui avait eu lieu dans la fonction de tuteur de la reine. Des reproches encore moins fondés venaient s'y joindre le reproche de tendances rétrogrades, de complaisance vis-à-vis de l'étranger, de projets mystérieux pour le mariage de la reine. Le ministère y répondit en protestant de la loyauté de ses intentions, du patriotisme de son dévouement à la constitution de 1837 et à la cause de la liberté (Voy. aux documents historiques).

Cependant les élections s'achevaient malgré les entraves qu'y apportait une insurrection insensée, et n'en étaient pas moins dans l'esprit du nouveau gouvernement.

La défaite des esparteristes fut décisive, complète. Aucun des hommes connus par leur dévouement à la politique de l'ex-régent, Mendizabal, Marliani, Gomez Becerra, Rodil, aucun des chefs de ce parti tombé avec Espartero ne fut réélu ni pour le sénat ni pour le congrés. Le nombre fut pour les progressistes ralliés que suivaient de près les modérés. Nous avons vu comment aux dernières élections s'étaient comportés ces deux partis ; comment les progressistes coalisés avaient accepté le concours des modérés, et comment les modérés, par une conduite habile et non pas sans dignité, étaient, après une longue retraite, rentrés dans la politique active. Aux élections nouvelles les modérés atteignirent presque la même force numérique que les progressistes. Tous les noms célèbres du parti furent élus : Martinez de la Rosa, Narvaez, Pidal, Isturitz, Concha, Sartorius, Toreno, etc. C'est un fait digné d'être remarqué pour la connaissance des dispositions actuelles du pays comme pour l'intelligence des événements qui suivront. Déjà l'esprit du parti modéré prétend à une influence dans les affaires; il la recherche, il l'exerce. Déjà les partisans de la reine-mère songent à demander des réparations pour l'ancienne régente; ils savent ce que vaudrait pour eux son autorité, sa fermeté; leurs vœux se reportent vers

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son lieu d'exil. Ils travaillent sans bruit à tout ce qui peut rendre son retour nécessaire.

Les progressistes, portés en beaucoup de circonstances à penser comme les modérés, résolus comme eux à entourer le trône de toutes les garanties, de tous les respects et à repousser les folles réformes, ne peuvent déjà plus leur disputer le terrain que par la valeur personnelle des chefs du parti et par les connaissances administratives. Lopez, Cortina, Olozaga, Gonzalès-Bravo sont à la tête de cette fraction des chambres; mais que l'un de ces hommes, par une cause quelconque, vienne à lui faire défaut, la route sera ouverte aux modérés et ils finiront par arriver au pouvoir.

Tel était l'état des partis à la suite des élections.

L'ouverture des cortès eut lieu sans solennité et par commission (15 octobre). La présidence du sénat fut donnée à M. Onis, celle du congrès à M. Olozaga.

Comme le ministère l'avait précédemment annoncé, il proposa aux cortès un projet de loi ayant pour but de déclarer majeure la jeune reine, qui ne le devait être légalement qu'au 10 octobre 1844.

L'examen et la discussion de ce projet dans le congrès fut précédé d'un débat assez vif qui se produisit dans le sénat. Les moyens de répression employés par le gouvernement contre Barcelone et Sarragosse en furent le motif. Dans la séance du 20 octobre, M. Campuzano adressa à ce sujet une interpellation aux ministres. L'honorable sénateur demandait que l'on cessât de bombarder Barcelone et que l'on mit un terme aux souffrances de Sarragosse. En effet, la persistance de l'insurrection avait nécessité récemment l'emploi de mesures extraordinaires. La Catalogne tout entière avait été mise en état de blocus; le fort Montjuich avait commencé le feu contre les émeutiers de Barcelone; Sarragosse était elle-même bloquée et l'Aragon était ensanglanté comme la Catalogne.

M. Lopez répondit à M. Campuzano. Il fit remarquer d'abord que la question, telle que l'honorable sénateur l'avait posée, était plutôt militaire que politique, et du ressort du ministre de la guerre plutôt que de celui du chef du cabinet. M. Lopez ne se refusait cependant pas à donner des explications sur le côté politique de cette question; il le fit en montrant l'injustice et l'imprudence du projet de junte centrale qui avait servi de prétexte à l'émeute; il établit ensuite que si la Catalogne et l'Aragon avaient été le théâtre de tristes événements, ce n'était pas le gouvernement qui les avait provoqués. Les rebelles de Barcelone avaient commencé les hostilités en s'emparant de la place de St-Jaimes, en ouvrant le feu au moment d'un débarquement et en attaquant la citadelle. Quant à Sarragosse, le gouvernement avait usé d'une prudente énergie, il avait voulu éviter que le mal se continuât où se propageât. Le ministre de la guerre ajouta que le système pratiqué à Barcelone le réduisait à la défensive, que jusqu'alors pas une bombe n'était tombée sur la ville et que le chef de l'armée de siége s'étudiait à diriger les boulets sur les batteries des ennemis.

M. Campuzano répliqua, en ce qui touchait la question politique, que le ministère devait appliquer ses principes de conciliation aux villes insurgées ; il ne semblait pas attacher une grande importance aux idées de junte centrale; ceux qui l'avaient demandée lui paraissaient vouloir la même chose que le ministère; la différence était dans les moyens. Il émettait, en ce qui touchait la conduite des autorités sur l'État à Barcelone, l'opinion que jamais cette ville n'avait autant souffert d'un bombardement.

Dans tout ce débat, M. Campuzano ne sortit point des bornes de la plus grande modération; et le sénat, satisfait des explications des ministres, passa à l'ordre du jour.

Le lendemain, le congrès fut le théâtre d'une altercation

pagne un ministère qui eût de vastes connaissances pour faire de bonnes lois et de l'autorité pour les établir et les faire respecter. En présence d'une œuvre si difficile et si grande, M. Lopez et ses collègues n'aspiraient qu'à se démettre du pouvoir.

L'homme qui réunissait en lui les meilleures garanties d'autorité et de talent pour succéder à M. Lopez était le président du congrès, M. Olozaga. Ce fut à lui, en effet, que fut confié le soin de former le ministère, et il accepta cette mission. Nul mieux que M. Olozaga ne paraissait propre à dominer et à conduire les partis dans le congrès; il avait jusqu'alors figuré au premier rang parmi les progressistes, à côté de M. Cortina, et il avait, en outre, l'appui des modérés, qui le préféraient pour ses tendances plus monarchiques et l'avaient appuyé pour la présidence. M. Olozaga devait, ce semble, obtenir le concours des grandes fractions des chambres; mais, en ne choisissant ses collègues que parmi des hommes du second plan, à l'exception de M. Serrano, en n'appelant dans le ministère qu'un seul progressiste éclairé, l'alcade constitutionnel de Madrid, M. Domenech, il mécontenta profondément M. Cortina et ses amis qui, de ce moment, manifestèrent des dispositions peu favorables au cabinet (1).

Les modérés, bien qu'ils ne fussent représentés dans le ministère par aucun de leurs amis, n'avaient pas à se plaindre du choix de M. Olozaga, et ne voyaient point avec indifférence la scission qui se préparait au sein des progressistes. La présentation d'un projet de loi sur les municipalités, conforme dans son esprit avec celui que le gouvernement de la reine Christine avait fait adopter en 1840, fut un nouveau gage donné aux modérés; mais une autre me

(1)« Le personnel du ministère se composait de MM. Olozaga, président du conseil et ministre des affaires étrangères; Luzuriaga, ministre de la justice; Domenech, ministre de l'intérieur; Cantero, ministre des finances; Général Serrano, ministre de la guerre; Frias, ministre de la marine. »

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