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141. Notons encore qu'à la suite de l'annexion de la Savoie et de Nice à la France, un décret du 30 juin 1860, dont nous avons plus haut donné le texte (V. suprà, no 103) et dont nous rechercherons plus loin la portée, a concédé aux sujets Sardes, encore mineurs lors de l'annexion, et nés en Savoie ou dans l'arrondissement de Nice, la faculté de réclamer, dans l'année de leur majorité, la nationalité française, en se conformant à l'article 9 du Code civil. Ce décret a ainsi considéré comme nés en France, des enfants qui, en réalité, avaient reçu le jour sur un sol étranger.

142. 3o Enfin, il faut que l'auteur de l'enfant soit un étranger. Sur cette condition, on a soulevé, dans la doctrine, trois questions, que nous mentionnerons rapidement.

143. D'abord, on s'est placé en présence de l'enfant d'un étranger autorisé à établir son domicile en France. (art 13, Code civil). M. Delvincourt (t. 1, p. 189, note 1) enseigne qu'il est Français dès sa naissance, et que, par suite, l'article 9 ne lui est point applicable.

Mais cette idée est inadmissible. L'enfant, au moment de sa naissance, suit la condition de son père. Or, un étranger, autorisé à fixer en France son domicile, demeure étranger. Par conséquent, son enfant naît étranger: s'il veut devenir Français par un mode privilégié, il doit recourir à l'article 9. Par identité de raison, la même solution s'applique à l'enfant né d'un étranger établi en France à perpétuelle demeure (1).

144. On a demandé quelle serait la position de l'enfant né en France de parents qui n'auraient plus de patrie. Cet enfant, a-t-on dit, ne pourra pas invoquer l'article 9 du Code civil, parce qu'il est né Français. D'ailleurs, on conçoit que l'on exige la déclaration requise par l'article 9, chez celui auquel le choix est offert entre deux patries; mais il serait dérisoire de la demander à celui qui n'aurait pas de patrie, s'il n'acceptait pas celle que la (1) Comp. MM. Aubry et Rau, t. 1, § 70, p. 236.

naissance sur notre sol lui a donnée. De plus, dans notre ancien droit, un double principe était suivi : on regardait comme Français d'origine, et tout à la fois, celui qui naissait de parents français, et celui qui naissait en France de parents étrangers. Le second de ces principes engendrait une double conséquence. Etait Français de naissance 1° celui qui naissait en France de parents étrangers; 2o celui qui naissait en France de parents qui n'avaient plus de patrie. Or, quelle a été l'œuvre du législateur moderne? Il a laissé debout le premier principe, qui subordonnait la nationalité d'origine à la filiation. A-t-il supprimé, dans son entier, le second, qui rattachait la nationalité à la naissance sur le sol? Non; car autrement il aurait dit: Sera étrangère toute personne née en France d'un autre que d'un Français. Au contraire, il s'est contenté de décider que celui-là ne serait plus Français, de plein droit, qui naîtrait en France de parents étrangers. En d'autres termes, le Code civil n'a détruit que la première conséquence du jus soli: il a laissé subsister la seconde, à savoir que l'individu né en France de parents sans patrie, est Français de plein droit. Enfin, ajoute-t-on, la règle consacrée par l'article 9 est, au fond, celle-ci : la naissance sur le sol confère la qualité de Français, pourvu qu'elle soit accompagnée de l'intention de s'y fixer. Or, cette intention doit se présumer chez celui qui n'en peut raisonnablement point avoir d'autre (1) ?

145. Pour nous, nous n'hésitons pas, à penser que l'enfant, né en France de parents qui n'ont plus de patrie, n'est pas Français de naissance; mais il peut, pour le devenir, se prévaloir de l'article 9. En effet, notre législateur a eu le choix entre les deux principes qui, autrefois, réglaient la nationalité d'origine. Pour un moment, grâce aux instances du premier consul, ce fut la doctrine du jus soli qui triompha. Mais bientôt après, le tribunat fit comprendre que cette maxime trouvait sa source et

(1) Comp. Demante, t. 1, no 18 bis, p. 66 et 67; Valette, sur Proudhon, t. 1, p. 200.

son explication dans le régime féodal, et que, ce régime étant aboli, la règle devait elle-même disparaître. Cette protestation fut écoutée, et les rédacteurs du Code civil consacrèrent, dans l'article 10, le jus sanguinis. Ainsi, le changement a été radical et complet. Le Code ayant répudié le jus soli, il faut répudier aussi toutes les conséquences qui en découlaient. D'ailleurs, l'article 9 exige que l'enfant soit issu de parents étrangers. Or celui qui naît en France de parents sans patrie se trouve précisément dans cette situation. Ces parents, n'ayant pas de patrie, sont étrangers par rapport à la France. L'article 9, objecte-t-on, revient à dire que la naissance. sur le sol de la France confère la nationalité française, pourvu qu'elle soit accompagnée de l'intention de s'y fixer, et l'on ajoute que, dans l'espèce, cette intention doit se présumer. Mais cette présomption est contraire à la loi. L'article 9 veut que l'enfant « déclare » son intention de s'établir en France (1).

146. Enfin, on a encore agité la question de savoir si les enfants, nés en France de père et mère inconnus, pourraient invoquer le bénéfice de l'article 9. Une opinion leur accorde ce droit. En effet, d'une part, ces enfants doivent être considérés comme sans patrie dès leur naissance aujourd'hui, l'enfant ayant sa nationalité d'origine déterminée par celle du père, celui qui légalement n'a pas de père ne peut pas avoir de patrie. Ces enfants sont donc étrangers par rapport à la France : donc ils satisfont à la condition de l'article 9. D'autre part, les motifs, qui ont fait édicter cette disposition, s'appliquent à ces enfants: ils seront nécessairement élevés dans notre pays; ils en prendront les mœurs et les habitudes, et ils ressentiront toujours pour lui un vif sentiment d'affection (2).

147. Nous ne pensons pas cependant que cette solu

(1) Comp. M. Demolombe, t. 1, no 152; — M. Laurent, t. 1, no 334. (2) Comp. M. Laurent, t. I, nos 328 et 335; M. Richelot, t. 1, p. 112.

tion soit exacte. D'abord, elle regarde les enfants de père et mère inconnus comme nés sans patrie. Mais le fait, pour un individu, de ne se rattacher à aucune nationalité, constitue un état tout à fait anormal, qu'on ne doit proclamer que dans le cas de nécessité absolue. Or, la raison et la loi s'accordent pour faire considérer les enfants nés en France de parents inconnus comme Français d'origine. En effet, on ne sait pas s'ils sont issus de parents français ou de parents étrangers; il y a doute: dès lors, il faut incliner pour ce qui constitue en France la règle générale, c'est-à-dire pour la nationalité française. Cette présomption, outre qu'elle est raisonnable, est légale. Nous ne prétendons pas, sans doute, invoquer le décret du 4 juillet 1793, déclarant les enfants trouvés <«<enfants naturels de la patrie. » On pourrait répondre que ce décret, étant antérieur au Code, n'a fait qu'appliquer l'ancien principe, suivant lequel la naissance sur le sol était attributive de nationalité. Mais un autre décret du 19 janvier 1811, édicté sous l'empire de la législation actuelle, décide, dans son article 19, que les enfants trouvés sont appelés à l'armée comme conscrits. Or, imposer aux enfants nés en France de parents inconnus une charge qui, par sa nature, n'incombe qu'aux Français, n'est-ce pas leur supposer la qualité de Français (1)?

148. Nous venons de parler d'un enfant né en France de père et mère inconnus. Pour terminer, nous avons maintenant à signaler une situation spéciale: celle d'un enfant naturel qui serait né en France d'une mère française, mais qui, dans la suite, aurait été reconnu

(1) Sous l'empire du Code civil pur, un enfant né en France d'un étranger, qui lui-même y était né, pouvait se prévaloir de l'article 9. Mais la loi des 7-12 février 1851 a décidé que cet individu n'aurait pas ce droit, parce qu'il serait désormais considéré comme Français de naissance. A l'inverse, le Code civil ne permettait jamais à un enfant étranger, né hors de France, d'invoquer l'article 9. La même loi des 7-12 février 1851 (art. 2) lui donne cette faculté, si son père se fait naturaliser Français. Nous reviendrons plus loin sur ces dispositions additionnelles au Code.

par un père étranger. Comme on le voit, l'enfant en question était Français dès sa naissance, car il était issu hors mariage d'une mère française qui seule l'avait reconnu. Dès lors, il semble que cet enfant ne devrait jamais avoir à invoquer l'article 9 du Code civil, cette disposition de faveur ayant été édictée pour des enfants issus d'un auteur étranger. Nous allons voir cependant que l'applicabilité de l'article 9, en cette espèce, est possible.

En effet, l'enfant, dont il s'agit, a été, nous le supposons, reconnu dans la suite par un père de nationalité étrangère. Eh bien, c'est un principe constant, dans notre droit, que les effets attachés à la reconnaissance d'un enfant naturel sont rétroactifs et remontent jusqu'à la naissance même de cet enfant. De là, il résulte qu'un enfant naturel, né en France d'une femme française, puis reconnu ensuite par un père étranger, est censé issu en France d'un père étranger: il est réputé avoir pris, au moment même de sa naissance, la nationalité étrangère de ce dernier (1). En résumé, la situation de cet enfant, après la reconnaissance faite par son père, est celle-ci c'est un enfant né sur le sol français et dont l'auteur est étranger. En d'autres termes, il satisfait à toutes les conditions requises pour l'application de l'article 9. Rien ne s'oppose à ce qu'il puisse invoquer

ce texte.

149. La seule question qui peut-être puisse faire doute est celle de savoir à quelle époque cet enfant devrait faire sa réclamation dans le cas où il aurait été reconnu plus d'un an après sa majorité. On sait, en effet, que, en droit commun, la réclamation doit se produire dans l'année qui suit la majorité. Nous reviendrons, dans la

(1) Ce raisonnement suppose connue cette règle que l'enfant naturel, reconnu à la fois par son père et par sa mère, suit de préférence la nationalité paternelle. Ce n'est pas ici le lieu d'insister sur ce point. Nous y reviendrons ultérieurement lorsque, dans un appendice, nous examinerons quelles personnes sont Françaises par droit de naissance. (Infrà, nos 323 à 350.)

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