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SECTION VII

Personnes françaises d'origine, mais qui avaient perdu cette qualité. (Article 18 du Code civil.)

226. Notre législateur a cru devoir créer une situation privilégiée au profit de ceux qui, s'étant volontairement dépouillés de la nationalité française, voudraient ensuite la reconquérir. On a pensé que la France devait leur ouvrir ses portes, non comme à des étrangers proprement dits, mais comme à des enfants prodigues qui se repentent d'avoir abandonné la mère patrie (1): « Ne peut-on pas supposer, disait Treilhard au conseil d'Etat, qu'en quittant la France, ils ont uniquement cédé à l'impulsion d'un caractère léger, qu'ils ont surtout voulu améliorer leur position par leur industrie, pour jouir ensuite, au milieu de leurs concitoyens, de l'aisance qu'ils se seront procurée? Ne doit-on pas supposer, du moins, que leur désertion a été suivie de vifs regrets? Et leurs frères pourront-ils toujours être insensibles quand ces transfuges viendront se jeter dans leurs bras? >>

227. La disposition de faveur, dont nous venons de donner les motifs, se trouve contenue dans l'article 18 du Code civil. Il est ainsi conçu: « Le Français, qui aura perdu sa qualité de Français, pourra toujours la recouvrer en rentrant en France avec l'autorisation du chef de l'Etat, et en déclarant qu'il veut s'y fixer et qu'il renonce à toute distinction contraire à la loi française. » Cette disposition est générale. Elle s'applique toutes les fois que la loi n'a pas indiqué un moyen spécial de réparer la perte de la nationalité française. Or, notre Code n'a édicté de règle particulière que pour deux hypothèses : celles où la perte de la nationalité résulte soit du mariage contracté par une Française avec un étranger (art. 19), soit du service militaire pris par un Français chez l'étranger (art 21). (1) Comp. Fenet, t. vi, p. 174.

De là, il suit que l'article 18 peut être invoqué quand la nationalité française aura été perdue par tous autres modes. Ainsi, il profite au Français dénationalisé pour avoir, en pays étranger, soit acquis une naturalisation, soit accepté des fonctions publiques, soit créé un établissement sans esprit de retour (art. 17 Code civ.).

Il en est de même s'il a été déchu de sa nationalité pour avoir pratiqué la traite des esclaves (décret du 27 avril 1848 et loi du 28 mai 1858 combinés). Enfin, l'article 18 comprend également ceux qui auraient été atteints dans leur nationalité par le démembrement du territoire.

228. MM. Delaporte (1) et Coin-Delisle (2) ont enseigné que le Français, devenu étranger pour s'être établi sans esprit de retour en pays étranger, n'était pas tenu, pour recouvrer la qualité de Français, d'accomplir les conditions imposées par l'article 18. Il pourrait, suivant ces auteurs, rentrer en France à son gré, et ce fait seul le rétablirait dans sa nationalité primitive. En effet, disent-ils, la qualité de Français est alors enlevée, non par un acte public, mais par la simple présomption que le Français a définitivement abandonné sa patrie. Or cette présomption est précisément renversée par le fait de sa rentrée en France; celle-ci prouve qu'il n'avait jamais perdu l'esprit de retour. Donc, la qualité de Français n'a jamais été perdue alors, et il n'est pas besoin d'user de l'article 18 pour la recouvrer.

Mais cette opinion ne nous semble pas admissible. D'abord, l'article 18 s'applique d'une façon générale « au Français qui aura perdu sa qualité, » sans distinguer entre les causes de perte. On ne peut, sans doute, déclarer que le Français établi à l'étranger a perdu l'esprit de retour, sans avoir acquis, par des preuves certaines, la conviction qu'il voulait cesser d'être Français. Mais, s'il a l'intention de recouvrer sa nationalité, pourquoi n'exige(1) Pandectes françaises, art. 18, no 85 et suiv.

(2) Coin-Delisle, sur l'art. 18, no 1.

rait-on pas aussi qu'il affirme son désir par des preuves également irrécusables? Celles-ci résulteront de la déclaration et de la demande d'autorisation effectuées suivant l'article 18. D'ailleurs, la femme française, mariée avec un étranger et résidant hors de France, n'est pas, quand elle devient veuve, affranchie elle-même de ces formalités (art. 19, al. 2). Et pourtant, sa position est bien aussi favorable que celle du Français fixé à l'étranger sans esprit de retour.

229. Les conditions exigées par l'article 18 sont au nombre de trois D'abord, l'ex-Français doit demander au gouvernement l'autorisation de fixer en France son domicile. La demande est adressée au ministère de la justice (1). Cette intervention du gouvernement s'explique. Il est juste de se montrer indulgent envers d'anciens nationaux; mais, comme le disait Treilhard, «< cette indulgence ne doit pas être aveugle et imprudente; le retour de ces Français ne doit être ni un sujet de troubles. pour l'Etat, ni un sujet de discordes pour les familles : il faut que leur rentrée soit autorisée par le gouvernement, qui peut connaître leur conduite passée et leurs sentiments secrets. Mais il est aussi nécessaire que l'on puisse rejeter du sein de la France ceux qui n'en seraient sortis. que pour se jouer de nos lois, et voudraient y rentrer, aussitôt après avoir accompli en pays étranger un fait qu'elles prohibaient.

En second lieu, l'ex-Français doit déclarer sa volonté de se fixer en France. Cette déclaration est reçue par le maire de la commune où l'ex-Français a l'intention de s'établir. Elle pourrait être faite aussi, à l'étranger, devant les agents diplomatiques ou consulaires de la France. Une expédition de cette déclaration doit accompagner la demande adressée au ministre.

Enfin, l'article 18 exige que l'ex-Français renonce à toute distinction contraire à la loi française. Cette con

(1) Argument par analogie d'un avis du conseil d'Etat du 21 janvier 1812 Dalloz, verbo Droits civils, p. 39.

dition, à l'époque où le Code civil fut rédigé, avait pour objet d'empêcher que les ex-Français pussent rapporter en France des titres de noblesse, alors que ces titres étaient proscrits par nos lois. Mais, dès que les distinctions nobiliaires eurent reparu, cette disposition perdit son principal effet. Cependant, elle s'appliquait encore pour le cas où le Français devenu étranger aurait été investi, en pays étranger, de fonctions ou de titres qu'on ne peut conserver comme Français, sans l'autorisation du chef de l'Etat (art. 17 2o). Ajoutons que la constitution de 1848, en abolissant tout titre nobiliaire, toute distinction de naissance, de classe ou de caste, a implicitement rendu, à la troisième condition imposée par l'article 18, sa portée primitive.

230. L'intervention du gouvernement ne porte que sur l'autorisation de domicile. Du moment où celle-ci sera accordée, la réintégration dans la qualité de Français s'opérera par la seule force de la loi. L'intéressé n'aura qu'à s'établir en France et à remplir les formalités que l'on connaît. On peut donc dire que le recouvrement de la nationalité française, ainsi entendu, constitue une naturalisation par le bienfait de la loi. De là il résulte que les lettres de réintégration qu'on a, dans ce cas, l'habitude de délivrer, pourraient être suppléées : elles constatent un droit, mais ne le créent pas (1).

231. L'article 18 nous semble être applicable, non pas seulement aux Français de naissance, mais encore aux étrangers qui, après s'être fait naturaliser Français, auraient perdu la nationalité ainsi acquise. Il est vrai, sans doute, que l'étranger naturalisé ne se rattache pas à la France par le lien du sang. Mais il est dans l'esprit de la loi d'assimiler complètement le naturalisé Français au Français de naissance. Le texte ne fait, d'ailleurs, aucune distinction.

232. Le Français qui aura perdu sa qualité « pourra toujours la recouvrer. » Ce privilège est-il pour cela (1) Comp. M. Beudant, De la naturalisation, no 63.

susceptible d'être invoqué même en temps de minorité? La négative nous paraît évidente. Elle résulte par analogie de ce que nous avons décidé sur l'article 10 à propos de l'enfant d'un ex-Français.

233. Nous avons dit plus haut (no 227), que la naturalisation privilégiée, résultant de l'article 18 du Code civil, n'était pas applicable aux Français qui avaient perdu leur qualité, pour avoir pris, sans autorisation, du service militaire à l'étranger, ni aux femmes françaises devenues étrangères par leur mariage avec des étrangers.

Et d'abord, quant aux individus qui ont perdu la nationalité française pour avoir pris du service militaire chez l'étranger, c'est l'article 21 du Code civil qu'il faut leur appliquer. Aux termes de cette disposition, « ils ne pourront rentrer en France qu'avec la permission du chef de l'Etat, et recouvrer la qualité de Français qu'en remplissant les conditions imposées à l'étranger pour devenir citoyen; le tout sans préjudice des peines prononcées par la loi criminelle contre les Français qui ont porté ou porteront les armes contre leur patrie. » Ainsi, le Français dénationalisé pour avoir pris, sans autorisation. du chef de l'Etat, du service militaire à l'étranger, ne jouit d'aucune faveur. Il ne recouvrera la qualité de Français qu'en accomplissant toutes les conditions qui incombent à l'étranger ordinaire pour se faire naturaliser. C'est qu'en effet, l'acte qu'il a commis revêt un caractère exceptionnel de gravité. C'est un acte de dévouement à la défense d'une nation, aujourd'hui notre alliée si l'on veut, mais qui demain peut être notre rivale et même notre ennemie.

Nous verrons quelles rigoureuses déchéances le décret (1) du 26 août 1811 attachait, soit à l'acceptation de fonctions civiles ou militaires en pays étranger, soit à la naturalisation à l'étranger sans autorisation du chef de l'Etat. L'article 12 du même décret disait que les individus, tombant sous le coup de ces rigueurs, ne (1) Comparez le décret du 6 avril 1809.

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