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celle-ci, en Angleterre. Au moment de l'accouchement de Sophie, Pierre est devenu Anglais quelle sera la nationalité de l'enfant? Si vous vous attachez au

moment de la conception, remontant ainsi à l'époque de la gestation de la mère, l'enfant sera Français; si, au contraire, vous vous attachez à l'époque de l'accouchement, il sera étranger. Que faut-il décider? - Trois opinions ont été émises sur cette question.

343. Premier système.- La première doctrine enseigne qu'on ne doit jamais s'attacher qu'au moment même de la naissance. Elle invoque d'abord le texte même de la loi; l'article 9 dit : « Tout enfant né d'un étranger; » l'article 10 dit : « Tout enfant né d'un Français. >> On voit qu'il n'est point question, dans ces textes, d'autre chose que de la naissance. Et cela, ajoute-t-on, est conforme à la vérité et à la nature: l'enfant, en effet, tant qu'il est dans le sein de sa mère, n'est point encore une personne; il ne compte, dans la société humaine, qu'à titre d'espérance éventuelle; il n'est donc et ne peut être membre d'aucune nation.

344. Deuxième système. Une seconde opinion distingue entre l'enfant légitime et l'enfant naturel. L'enfant légitime, nous l'avons dit, suit la nationalité de son père; l'enfant naturel, au contraire, suit la nationalité de sa mère, (et cela toujours), sauf le cas exceptionnel où son père l'aurait reconnu soit volontairement, soit judiciairement. Eh bien, dit-on, si la femme était mariée, la nationalité de l'enfant se déterminera par celle du père au moment de la conception; pour l'enfant naturel, au contraire, il ne faut s'attacher qu'à l'époque de sa naissance, puisqu'il est destiné à suivre la condition de sa mère.

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Pour étayer cette théorie, on fait remarquer, d'abord, que les articles 9 et 10 ne tranchent nullement la question. Les mots qu'ils emploient, « né d'un étranger, né d'un Français, » ont uniquement pour but de déterminer les conséquences de cette filiation et de cette

origine différentes; mais la loi n'a pas eu en vue la fixation précise du moment où la filiation devra être appréciée et caractérisée: c'est-à-dire que le mot né est employé ici comme synonyme du mot issu.

C'est donc la nature elle-même qui, dans le silence des textes, doit ici servir de guide. Or, quand une femme mariée est enceinte, l'enfant, devant recevoir la condition de son père, ne peut, évidemment, la recevoir qu'au moment même de la conception: car, une fois conçu, il devient indépendant du père; la gestation est l'œuvre exclusive de la mère, et le père peut mourir sans que l'état de l'enfant en soit aucunement affecté. Il est évident, par exemple, que l'enfant conçu pendant le mariage naîtra légitime, lors même qu'au moment de l'accouchement, la femme, étant devenue veuve, ne serait plus mariée (art. 312 à 315) momentum patris, momentum conceptionis. Au contraire, lorsqu'il s'agit d'un enfant naturel qui, lui, reçoit la condition de sa mère, il ne peut la recevoir qu'au moment de la naissance jusque-là, il n'est, par rapport à sa mère, qu'une partie d'elle-même, souffrant quand elle souffre, succombant le plus souvent quand elle meurt momentum matris, momentum editionis. Il faut donc accepter ici la tradition constatée par Ulpien (Reg., tit. v, § 10), et admise aussi dans notre ancien droit : « In his qui jure contracto matrimonio nascuntur, CONCEPTIONIS tempus spectatur; in his autem qui non legitimè concipiuntur, EDITIONIS. >>

car,

Il faut accepter ces principes: ils sont parfaitement exacts; mais nous proposons d'aller plus loin encore dans les déductions qui en découlent logiquement, et de combiner ces principes avec la règle Infans conceptus pro jam nato habetur, quoties de commodis ejus agitur (L. 7, Dig. de statu hominum; art. 725, 906, 961 Code civ.) : cette règle nous paraît, dans certains cas, devoir modifier les conséquences du principe primordial.

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345. De là le troisième système que nous adoptons et dont voici la formule : Il suffit, pour qu'un

enfant (légitime ou naturel, peu importe) naisse Français, que la personne dont il doit suivre la condition (son père ou sa mère), ait été Française, soit au moment de sa conception, soit au moment de sa naissance, soit même dans l'intervalle de ces deux époques. (Comp. M. Demo- . lombe, t. 1, no 151.)

Voici comment nous raisonnons. Au point de vue des vrais principes, on ne peut être Français ou étranger, appartenir à telle ou telle nation, qu'autant qu'on est déjà né ce n'est que par une fiction introduite en faveur de l'enfant, qu'on peut le réputer né du jour de sa conception; ce n'est encore qu'en vertu d'une fiction qu'il peut être, dans le sein de sa mère, héritier ou légataire (art. 725). La fiction, étant introduite en faveur de l'enfant, ne doit point, par conséquent, être retournée contre lui; beneficia non sunt retorquenda. Or, quel peut être, aux yeux de la loi française, l'intérêt véritable de l'enfant, lorsque les principes ne viennent pas rigoureusement l'entraver? C'est, évidemment, de naître Français. Il faut donc lui accorder cette qualité, toutes les fois qu'à un moment quelconque, depuis la conception jusqu'à l'accouchement, celui ou celle dont il doit suivre la condition, aura appartenu à la nationalité française. Nous passons maintenant à l'application de notre doctrine. Prenons les deux exemples suivants : Un homme et une femme étrangers, légitimement mariés, se sont fait naturaliser en France au moment où la femme était déjà enceinte. Si vous admettez le second système, l'enfant naîtra étranger, car il doit suivre la condition de son père or, au moment de la conception (momentum patris), le père était bien étranger l'enfant sera donc

nécessairement étranger.

Quant à nous, nous pensons qu'il naîtra Français. En effet, il ne serait né étranger qu'en vertu de la fiction : « Infans conceptus pro jam nato habetur, quoties de commodis ejus agitur. » Mais, alors, vous retournez la fiction contre lui. Donc, revenons à la réalité des choses. Au

point de vue de la loi française, il est de l'intérêt de l'enfant de naître Français il faut donc admettre qu'en effet, il naîtra Français dans notre hypothèse.

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De même (et c'est notre second exemple), supposez qu'une femme française, non mariée, soit enceinte, et qu'elle soit devenue étrangère à l'époque de l'accouchement le deuxième système devrait déclarer l'enfant étranger. Mais, pour nous, les motifs déjà indiqués nous portent à croire qu'il sera Français. D'une part, l'enfant conçu est réputé né, lorsqu'il s'agit de son intérêt; or, nous devons considérer qu'il est de son intérêt d'être Français. D'autre part, les articles 725 et 906 lui étaient applicables: car le premier de ces articles déclare que, pour être capable de succéder, il faut être au moins conçu au moment de l'ouverture de la succession; le second dit, que, pour être capable de recevoir entre-vifs, il suffit d'être conçu au moment de la donation; et pour être capable de recevoir par testament, il suffit d'être conçu à l'époque du décès du testateur. Si donc une donation lui avait été faite, à lui simplement conçu, à l'époque où sa mère était Française, il aurait pu la recevoir il n'est pas possible d'admettre que la naturalisation ultérieure de sa mère, en pays étranger, lui enlève un droit acquis.

346. Des développements qui précèdent il résulte, qu'en thèse générale, pour naître Français, il faut naître de parents français. A l'inverse, est étranger, l'enfant qui naît de parents étrangers.

Mais cette double proposition suppose connue la nationalité des parents. Or, il est une hypothèse qui ne rentre, ni dans l'un ni dans l'autre de ces cas, et qui a donné lieu à une question controversée.

Il s'agit d'un enfant né, en France, de parents qui ont perdu leur nationalité étrangère, sans, d'ailleurs avoir acquis la nôtre, de parents qui, par conséquent, n'ont plus de patrie. Par exemple, ce sont deux époux belges, qui ont quitté leur pays, sans esprit de retour,

pour venir s'installer en France. On sait que, d'après la législation belge (art. 17, alinéa 3), un abandon aussi complet de la patrie fait perdre la nationalité. La même disposition se trouve d'ailleurs dans notre Code. (même art. 17, alinéa 3). Voilà donc des époux qui n'ont plus de patrie. Ils ont un enfant, pendant qu'ils habitent la France. Quelle sera la nationalité de cet enfant ?

347. Un premier système soutient que cet enfant doit être regardé comme Français d'origine. Voici comment on raisonne dans cette opinion:

:

Et d'abord, dit-on, on ne peut pas déterminer ici la nationalité de l'enfant, d'après celle du père. On ne peut pas dire l'enfant n'est pas Français, parce que son père ne l'est pas lui-même. En effet, le principe, d'après lequel l'enfant suit la condition de son père juré sanguinis, suppose que le père a une nationalité. Mais, quand le père n'en a pas, il ne peut en transmettre aucune à son enfant nemo dat quod non habet.

Peut-on dire, ajoute-t-on, qu'il y a lieu d'appliquer l'article 9 du Code civil, ce qui reviendrait à regarder l'enfant comme né en France d'un étranger, et l'autoriserait à opter dans l'année qui suit sa majorité? En aucune façon car l'article 9 suppose l'enfant né d'un étranger, c'est-à-dire né d'un père dont la nationalité étrangère est déterminée. Or, dans l'espèce, le père est sans patrie. Donc, conclut-on, puisqu'on ne peut pas appliquer le jus sanguinis, puisqu'on ne peut point davantage appliquer le bienfait de la loi auquel se réfère l'article 9, il faut bien en revenir à l'ancien principe du jus soli. L'enfant dont il s'agit est donc Français, par cela seul qu'il est né en France. Tel est le système professé par M. Demante, (Cours analytique de Code civil, t. 1, p. 66 et suiv.)

348. Nous ne croyons pas devoir admettre cette théorie, et nous nous rallions de préférence au second système, suivant lequel l'enfant dont il s'agit naît étran

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