il en est deux qui sont regardés comme investissant l'ex-Français d'une nationalité étrangère. C'est d'abord la naturalisation acquise en pays étranger; c'est ensuite le démembrement d'une partie du territoire français. Les cinq autres modes de perte peuvent, au contraire, se produire, sans que nous devions reconnaître forcément, chez l'ex-Français, une nationalité nouvelle. PARTIE PREMIÈRE. De la naturalisation acquise en pays étranger. (C. civ., art. 17, 1°.) 370. L'article 17 du Code civil commence par ces mots : «La qualité de Français se perdra: 1o par la naturalisation acquise en pays étranger.... » Le motif sur lequel repose cette disposition est trop évident et trop connu, pour qu'il soit nécessaire d'y insister c'est que nul ne peut avoir deux patries : « Duarum civitatum civis esse nemo potest, » disait Cicéron (1). Il faut applaudir à cette disposition. La dualité de patries est, en effet, une situation si anormale, aboutissant à des conséquences si étranges, qu'il faut incontestablement l'éviter le plus souvent que l'on peut. Ainsi le veut l'intérêt international sainement entendu. La perte de la qualité de Français est même un effet si essentiel de la naturalisation acquise en pays étranger, que le citoyen, ainsi naturalisé, protesterait, en vain, de son intention de rester Français. Cette qualité lui est enlevée, de plano, par le fait même de sa naturalisation réalisée en pays étranger. On ne considérera pas davan(1) Pro Balbo, § 11. tage la cause pour laquelle il s'est fait naturaliser. C'est inutilement qu'il offrirait de prouver que sa seule intention, en se faisant naturaliser, était de ne s'éloigner que momentanément de la France, sauf à y revenir après avoir fait fortune à l'étranger. Ces considérations, présentées au cours des travaux préparatoires (1), furent formellement rejetées. Pour des raisons d'ordre public, la naturalisation acquise en pays étranger, a été considérée, par le législateur, comme un fait précis et certain, devant l'emporter invinciblement sur toute autre manifestation d'idées et de sentiments. 371. La matière de la naturalisation acquise en pays étranger, a soulevé, dans ces derniers temps, des questions d'une extrême importance. Nous les grouperons dans trois chapitres distincts, en examinant successive ment : Chapitre I. Quels caractères doit revêtir la naturalisation acquise en pays étranger, pour être valable en France? Chapitre II. Sous quelles conditions d'aptitude et de capacité peut-on se faire valablement naturaliser en pays étranger? Chapitre III. Quels sont les tribunaux compétents pour statuer sur la validité d'une naturalisation acquise en pays étranger? Nous ne nous occuperons pas des effets qui s'attachent à une naturalisation obtenue à l'étranger. Nous traiterons ce sujet ultérieurement, dans notre troisième étude, alors que nous étudierons les effets généraux que produit la naturalisation acquise soit en France, soit en pays étranger. (1) Locré, t. 1, p. 74: Il ne faut pas, a dit M. Portalis, « pré»férer la probabilité des conjectures à la certitude que donne l'évi» dence. » CHAPITRE I Quels caractères doit revêtir la naturalisation, acquise en pays étranger, pour être valable en France? 372. Tout d'abord, aux termes mêmes de l'article 17 du Code civil, alinéa 1, la qualité de Français se perd « par la naturalisation acquise en pays étranger. » Ces deux mots, naturalisation acquise, doivent un instant retenir notre attention. 373. Ainsi, il faut que la concession faite au Français dans le pays étranger, soit une naturalisation réelle et complète. Il faut une assimilation véritable entre le Français et les nationaux du pays étranger. Une simple. jouissance des droits civils, qui lui aurait été conférée dans ce pays, ne suffirait pas et serait impuissante à entraîner la perte de la qualité de Français. Par exemple, le bénéfice, que nous connaissons sous le nom d'autorisation de domicile (1), existe en Belgique comme en France. Or, un Français qui obtiendrait du gouvernement belge l'admission à domicile, ne perdrait pas, par cela même, sa qualité de Français. En effet, si l'autorisation de domicile est un acheminement vers la naturalisation, elle en diffère profondément un Français, autorisé à établir en Belgique son domicile, est, au regard du Code civil belge (art. 13), un étranger privilégié, sans doute, mais toujours un étranger. Il existe également, en Angleterre, une institution connue sous le nom de dénization. Elle a pour effet de conférer à un étranger une jouissance partielle des droits civils. Nous disons jouissance partielle: car, si le dénizen peut acheter des terres et les léguer (ce qui. (1) Art. 13, C. civ. en Angleterre n'est pas permis à un étranger ordinaire), du moins, il ne peut pas hériter de ses parents étrangers. De plus, la dénization s'accorde par des lettres royales, tandis que la naturalisation véritable procède d'un acte du Parlement. On comprend, dès lors, qu'un Français, après avoir obtenu en Angleterre la faveur de la dénization, ne devrait pas être considéré comme privé désormais, pour cette cause, de la qualité de Français. Il n'est pas naturalisé, il n'est pas assimilé aux Anglais d'origine. Cette solution a été, maintes fois, consacrée par la jurisprudence française. C'est en vain qu'on objecterait le serment d'allégeance qui est imposé au dénizen. En effet, ce serment, ainsi que le fait remarquer un arrêt rendu par la Cour de Paris, le 27 juillet 1859 (1), n'est pas un acte de sujétion absolue il constitue une mesure de police et de sûreté intérieure, uniquement relative au maintien de l'ordre de succession à la couronne d'Angleterre. Voyez M. Laurent, Principes de droit civil, t. 1, nos 376 à 379. 374. De plus, la naturalisation à l'étranger n'emporte la perte de la qualité de Français, que si elle a été « acquise ». Il faut donc que l'on se trouve en présence d'un fait accompli. Une naturalisation simplement sollicitée d'un gouvernement étranger ne serait pas efficace à opérer la dénationalisation. Elle ne suffirait pas, alors même que le Français aurait, dans sa supplique au gouvernement étranger, abdiqué en termes formels la nationalité française. Il est constant, en effet, qu'une simple abdication ne fait pas perdre la qualité de Français. Cela est d'autant plus certain, qu'une proposition en sens contraire fut faite et ne fut point admise lors des travaux préparatoires. Ainsi, l'article 13 du projet du Code civil (aujourd'hui article 17) était conçu en ces termes « La qualité de Français se perdra par l'abdi (1) D. P. 59-2-179. Voyez aussi Cass., 16 février 1875, D. P. 76-1-49. - Comparez toutefois M. Demangeat, sur Foelix, Droit international privé, t. 1, no 54, note b. cation expresse qui en sera faite. Elle se perdra en outre 1o par la naturalisation acquise en pays étranger... » Mais, dans la séance du 28 brumaire an X, on fit disparaître ces mots : « Par l'abdication expresse qui en sera faite,» sur les observations de M. Defermon et du consul Cambacérès. Il eût été, en effet, trop facile de se soustraire aux charges publiques, au moyen d'une simple abdication. C'eût été, d'ailleurs, augmenter le nombre des gens sans patrie anomalie plus singulière et plus injustifiable encore que la dualité de patries. Ajoutons enfin que la naturalisation en pays étranger aura dû être acquise volontairement. Une nationalité imposée n'est pas une nationalité acquise. Qui dit, acquérir un droit, dit l'obtenir par le libre exercice de l'initiative individuelle. Par exemple, la loi Espagnole naturalise de plein droit, indépendamment de toute manifestation de volonté, l'étranger qui fonde en Espagne un établissement de commerce. Eh bien, le Français, qui s'établirait commerçant en Espagne, ne perdrait pas, par là même, la qualité de Français. Il faudrait qu'à l'établissement de commerce il joignit un acte prouvant qu'il accepte librement et sciemment la nouvelle nationalité arg. de l'article 17, n° 3 in fine. 375. Notons cependant qu'aux principes ci-dessus posés, il convient d'apporter une exception, pour l'hypothèse d'un démembrement du territoire. Un tel événement opère, comme on le sait, une naturalisation forcée et collective, au profit du pays étranger. Il entraîne, par suite, la perte de la qualité de Français. 376. A ces divers caractères que doit revêtir la naturalisation en pays étranger, des jurisconsultes considérables en ajoutent un autre, qui, une fois admis, aboutit à des conséquences d'une importance capitale dans la pratique. Nous voulons parler de la prétendue nécessité de ne pas faire fraude à la loi ceci nous amène à la théorie de la fraus legis. On a soutenu, en effet, qu'une |