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maritale, est la base la plus solide d'une solution juridique (1). >>>

381. Quant à nous, notre opinion n'est ni équivoque ni ambiguë. Nous pensons fermement que la fraus legis ne peut, en aucun cas et sous aucun prétexte, être alléguée à l'encontre d'une naturalisation acquise, par un Français, en pays étranger.

Certes, les arguments, qui peuvent être présentés à l'appui de cette manière de voir, sont nombreux. Ils sont de deux catégories. Il y a, en effet, des arguments de textes et des arguments de raison. Nous allons exposer rapidement les uns et les autres.

382. A. Arguments de textes.

Quand on se prévaut d'un texte à l'appui d'un système, le mieux, si nous ne nous trompons, est de montrer que l'on est en droit d'invoquer, non seulement la lettre de ce texte, mais encore son esprit. Or, il se trouve précisément que, dans la discussion présente, nous avons ce double avantage.

Et d'abord, pour bien saisir l'esprit du texte, il faut remonter aux sources, et consulter les travaux préparatoires. Sans doute, ces travaux ne visent pas directement l'espèce particulière qui nous occupe en ce moment mais il n'est pas nécessaire de se livrer à de bien grands efforts d'imagination, pour en tirer, du moins, une induction puissante, décisive même.

En effet, lorsque l'on élabora au conseil d'Etat la disposition qui forme aujourd'hui l'article 17 § 1 du Code civil (2), il arriva un moment où fut posée la question de savoir s'il fallait faire perdre la qualité de Français à ceux-là même qui se faisaient naturaliser en un pays étranger, simplement pour s'y fixer d'une façon momentanée et pour y passer le temps nécessaire à la réalisation de leur fortune. Par exemple, faisait-on observer, il arrive souvent que des Français se font

(1) Journal de droit international privé, 1875, p. 421. (2) Locré, t. 1, p. 86; Fenet, t. vii, p. 25 et 39.

naturaliser en Angleterre, pour faciliter leur installation temporaire en ce pays et pour échapper au droit d'aubaine (1). Ces individus conservent donc l'esprit de retour. Eh bien, demandait-on, leur naturalisation sera-t-elle néanmoins considérée comme efficace, de telle sorte qu'elle doive emporter, même au regard de notre droit civil, la perte de la qualité de Français ? Or cette question fut résolue affirmativement.

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On répondit, en effet, aux considérations précédentes, que le législateur n'avait pas à scruter les intentions. de celui qui se fait naturaliser s'il en était autrement, ajoutait-on, on en arriverait bientôt à faire triompher une simple probabilité, une conjecture (2), sur un fait précis et certain comme celui que révèle l'acte de naturalisation. Enfin et dans tous les cas, disait-on encore, alors même qu'un Français se fait naturaliser pour éluder les dispositions rigoureuses ou prohibitives d'une loi étrangère, à l'égard des étrangers, dans un pays où il vient habiter, il faut lui faire perdre sa nationalité originaire.

Ainsi, voilà qui est clair!

Une naturalisation acquise par un Français, en pays étranger, n'offre-t-elle aucun caractère sérieux ? N'est-elle qu'un expédient? Elle n'en est pas moins valable, elle n'entraîne pas moins la perte de la qualité de Français. Une naturalisation acquise par un Français, en pays étranger, n'a-t-elle été sollicitée et obtenue que pour

(1) Effectivement ce droit atteignait encore les étrangers résidant en Angleterre au moment où notre Code civil était promulgué. Voyez les observations de MM. Roederer et Tronchet, rapportées dans le recueil Fenet, t. VII, p. 31, 35, 36 et 37. Voyez aussi les observations de MM. Defermon, Boulay, Portalis, eod. loco, p. 38 et 39. Les rédacteurs du Code finirent par s'accorder à écarter toute recherche des intentions et des motifs qui avaient pu guider le citoyen expatrié ou naturalisé. Voyez enfin, dans le même sens, le discours de M. Gary devant le Corps législatif, sur l'article 17 : (Fenet, t. vii, p. 650.)

(2) Paroles de M. Portalis rapportées dans Locré, t. 1, p. 74; voyez suprà, p. 282, note 1.

faire fraude à la loi étrangère, pour éluder une disposition, que cependant l'Etat étranger regarde peutêtre comme indispensable à l'ordre public, dans l'étendue de son territoire? Même afors, la naturalisation est efficace car la loi française n'a pas à rechercher s'il y a eu fraude. Elle doit respecter, en cette matière, toutes les manifestations de la liberté, et toutes les décisions de l'initiative individuelle. Voilà ce qu'a voulu le législateur français. Telle est la solution commandée par l'esprit de la loi voilà ce que nous révèle l'examen attentif des travaux préparatoires : « L'expatriation, a dit M. Tronchet (Fenet, t. vII, p. 25 in fine), est l'usage d'une faculté naturelle que l'on ne peut point contester à l'homme. » Or, puisque le législateur n'a pas voulu que l'on scrutât les intentions du citoyen naturalisé, sous prétexte qu'il aurait pu faire fraude à la loi étrangère, de quel droit pourrait-on scruter ces mêmes intentions, sous prétexte que le naturalisé aurait pu vouloir faire fraude à la loi française? Pourquoi vouloir sonder ce que le législateur a regardé comme insondable? - Si cette recherche est difficile et périlleuse lorsqu'on soupçonne une fraude dirigée à l'encontre de la loi étrangère, n'offre-t-elle pas les mêmes dangers lorsque l'on soupçonne la fraude dirigée à l'encontre de la loi française ?

Toutefois, il nous semble déjà entendre la réponse de nos adversaires. Voici peut-être ce qu'on nous dira: La loi fait perdre la qualité de Français à celui-là même qui s'est fait naturaliser dans le seul but de se soustraire à une loi étrangère, parce que cet individu est désormais indigne d'être Français. La validité de la naturalisation est affirmée contre lui à titre de peine ce qui prouve bien que la perte de la nationalité française revêt, dans l'espèce, un caractère répressif, ce sont les expressions mêmes dont on s'est servi dans la discussion au conseil d'Etat. «La loi, a-t-on dit textuellement, ne doit pas se prêter à (la recherche et à l'examen) de semblables fraudes. » Or, ajoutera-t-on peut

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être, dans l'espèce qui nous occupe, la situation est toute différente. Il s'agit d'un Français qui s'est fait naturaliser, à l'étranger, pour faire fraude non plus à la loi étrangère, mais bien à la loi française. De plus, on ne se trouve pas en présence d'une naturalisation alléguée contre lui, mais tout au contraire d'une naturalisation alléguée par lui et pour lui, dans son propre intérêt. Eh bien, poursuivra-t-on, n'est-il pas évident que la loi française ne doit pas, dans l'espèce, « se prêter à de semblables fraudes? » - Si notre législateur a jugé prudent de punir, par le maintien de la naturalisation, une fraude faite à une loi étrangère, à combien plus forte raison a-t-il dû vouloir punir, par le retrait de cette même naturalisation, une fraude faite à la loi française, c'est-à-dire une fraude faite aux dispositions mêmes qu'il édictait? Or, quel est précisément le moyen de punir le Français coupable d'une telle fraude? C'est de dénier la validité de sa naturalisation, c'est de le priver de l'avantage qu'il prétend tirer d'une nationalité nouvelle, en fraude de nos lois nationales.

A cette objection éventuelle nous ferons une double réponse.

D'abord, le but essentiel du législateur français n'a pas été de punir celui qui se fait naturaliser en pays étranger, pour échapper à une loi rigoureuse, grâce aux dispositions légales plus favorables de la nouvelle patrie où il compte s'établir. Ce qui le prouve, c'est que les travaux préparatoires n'expriment cette idée, qu'en la faisant précéder d'une formule de réserve et de restriction. « Dans tous les cas, disent-ils, la loi ne devait pas même se prêter à (la recherche) de semblables fraudes. » L'idée de peine, de répression, n'est donc que tout à fait subsidiaire. La raison qui apparaît comme la principale est celle-ci il est trop difficile de scruter les intentions (1)

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(1) Autrement, a dit M. Portalis, on arriverait à « préférer la >> probabilité des conjectures à la certitude que donne l'évidence. » (Recueil Fenet, t. vii, p. 39; voyez aussi t. vii, p. 31 et 35 à 38.)

du citoyen naturalisé; il est trop dangereux de vouloir démontrer chez lui une pensée de fraude; mieux vaut ne pas entreprendre une telle preuve; mieux vaut ne prendre en considération que ce fait précis, certain et indéniable l'obtention de la naturalisation en pays étranger. Mieux vaut simplement constater l'existence d'une nationalité nouvelle, avec sa conséquence naturelle, à savoir la perte de la qualité de Français. Ce motif primordial qui a guidé le législateur, ne trouve-t-il pas, dans notre espèce aussi, son application? On veut, pour ne pas tenir compte d'une naturalisation, démontrer une fraude prétendue. Et l'on ne réfléchit pas que cette preuve, en fait si difficile, est, en droit, toujours impossible. On se trouve en présence d'un acte de naturalisation. C'est un fait constant devant lequel il faut s'incliner. On ne saurait faire prévaloir, à son encontre, aucune probabilité, ni aucune conjecture.

D'ailleurs, et nous arrivons ainsi à notre seconde réponse, est-il bien vrai que l'inefficacité reconnue, en France, d'une naturalisation acquise à l'étranger pour faire fraude à la loi française, soit toujours un moyen sûr de punir le naturalisé? Ne se peut-il pas qu'il arrive un jour où la nullité d'une telle naturalisation soit demandée, en France, par celui-là même qui l'a obtenue? On conçoit, en effet, qu'un citoyen puisse y avoir intérêt, lorsqu'il voudra se soustraire, en France, à l'une des obligations qui incombent aux étrangers, dans notre pays. Si cette hypothèse se produit, que répondront nos adversaires? S'ils sont logiques, ils diront à cet individu : Votre prétention est inadmissible. Vous soutenez avoir changé de patrie, simplement pour faire fraude à la loi française. Nous ne pouvons point vous entendre: Nemo auditur turpitudinem suam allegans! D'ailleurs, ajouteront-ils, en supposant que cette fraude ait été par vous commise, vous devez en être puni et alors vous devez subir, comme peine, la validité de votre naturalisation et la perte de la qualité de Français qui en découle.

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