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Ainsi, voilà donc un même individu auquel tout à l'heure nos adversaires disaient: Vous êtes resté Français : car votre naturalisation, en pays étranger, est entachée de fraude vis-à-vis de la loi française. Et maintenant ils lui diront vous êtes étranger; c'est en vain que vous présentez votre naturalisation, comme ayant été un moyen pour vous d'éluder certaines dispositions de notre droit : la loi française ne doit pas se prêter à de semblables fraudes. Nous avouons, très humblement, ne rien comprendre à un tel raisonnement. La nationalité d'un individu ne peut avoir deux faces. Elle constitue un état indivisible. On ne peut point être, à la fois et dans le même pays, Français et étranger. Il faut être absolument l'un ou l'autre.

382 bis. Nous avons démontré, nous l'espérons du moins, que la solution, par nous proposée, est conforme à l'esprit de la loi sainement entendu. Il nous reste à démontrer qu'elle s'accorde aussi parfaitement avec la lettre du texte législatif. Ici notre tâche est simple et facile. Il suffit de lire l'article 17, alinéa 1 : <«<La qualité de Français se perdra, dit cet article : 1o par la naturalisation acquise en pays étranger. »> Est-il possible de trouver un texte plus général et plus absolu? Qu'on nous signale dans cette formule une expression qui puisse autoriser seulement l'ombre d'une distinction. La loi dit-elle que la qualité de Français se perdra ou ne se perdra pas par la naturalisation acquise en pays étranger, suivant que cette naturalisation n'aura pas eu, ou, au contraire, aura eu pour but d'acquérir un bénéfice, un avantage prohibé par la loi française ? En aucune façon le texte est net et tranchant. Du moment où la nationalité étrangère est acquise, la nationalité française est perdue. Voilà tout ce qui est dit. Peu importe la pensée intime qui inspirait le naturalisé. Peu importe le mobile auquel ce citoyen a pu céder. La loi n'a pas voulu entrer dans tous ces détails. Comparez, suprà, no 3.

Nous arrivons à la seconde partie de notre argumentation. Nous avons encore à montrer que la théorie de la fraus legis se réfute d'elle-même, si on la rapproche des idées que suggère la raison et des nécessités de la pratique.

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383. B. B. Arguments tirés de considérations rationnelles et pratiques. Nous ferons observer que la fraus legis, une fois admise en matière de naturalisation, aboutirait, dans la pratique, à des conséquences si exagérées et si excessives qu'elles ne tendraient à rien. moins qu'à supprimer entièrement la faculté imprescriptible et le droit incontestable appartenant à tout individu de changer de patrie. Il est bien entendu, en effet, qu'en général on ne va pas se placer sous la protection des lois d'un nouveau pays, quand on ne trouve pas à ce changement un avantage ou un intérêt. Toute naturalisation aboutit donc, par la force même des choses, soit à contrarier une disposition de la loi, soit à léser un intérêt quelconque, au nom duquel des réclamations pourraient toujours être élevées. Par conséquent, les tribunaux se trouveraient, dans tous les cas, autorisés à invalider les naturalisations acquises par des Français en pays étranger, sous le prétexte qu'elles atteindraient quelque chose ou quelqu'un (1)!

N'oublions pas, d'ailleurs, qu'en règle générale, suivant la judicieuse remarque d'un savant auteur (2), « la validité d'un acte s'apprécie, abstraction faite du motif par lequel il a été déterminé. Pour ne point sortir de la matière de la naturalisation, supposons qu'un Français du sexe masculin, majeur et n'ayant pas encore atteint l'âge de vingt-cinq ans, veuille se marier et que, ne pouvant obtenir le consentement de son père, il se fasse naturaliser dans un pays où les

(1) Comp. notre brochure: De la naturalisation en pays étranger des femmes séparées de corps en France, 2e édition, p. 108.

(2) Voyez la Revue du notariat et de l'enregistrement, année 1876, no 5116, p. 300.

jeunes gens de vingt et un ans se marient librement. Dirait-on que la naturalisation est nulle, parce que, dans l'espèce, le jeune homme s'est proposé pour but final d'échapper à l'une des conditions que la loi française lui imposait pour se marier? - Non, certainement. De même, une naturalisation, acquise en pays étranger, ne doit pas plus être viciée, par ce motif qu'elle tendrait seulement à rendre possible un divorce et un second mariage. Cette naturalisation doit s'apprécier en ellemême, comme si elle eût été déterminée par le simple désir de changer de nationalité. La question, ainsi dégagée des faits, devient une question abstraite et générale. »

384. D'ailleurs, comment peut-on soutenir que l'exFrançais, naturalisé en pays étranger, fasse fraude à la loi française, par cela même qu'à l'abri de la loi étrangère, il vient, en France, se prévaloir d'une faculté prohibée dans notre droit, du divorce par exemple? Pour que l'on pût concevoir l'existence d'une fraude dans l'espèce, il faudrait qu'après avoir profité de la faculté prohibée par notre loi, ce citoyen, naturalisé à l'étranger, put, selon son gré et son caprice, recouvrer la nationalité française. Mais il n'en est pas ainsi. Il lui faudrait obtenir du chef de l'Etat l'autorisation de rentrer en France (art. 18, Code civ.), et cette autorisation peut être refusée. Donc, l'on se trouve en présence d'un individu dont la naturalisation est réelle et sérieuse, alors même qu'il n'aurait pas voulu lui donner ce caractère. Il ne dépend pas de sa seule volonté de ne faire durer son expatriation et son changement de nationalité que le temps exactement nécessaire à la réalisation de son projet réputé frauduleux. La perte qu'il a encourue de la qualité de Français, durera autant qu'il plaira au chef de l'Etat français de la faire durer. En présence de ces conditions, dans quels cas pourra-t-on dire qu'une naturalisation à l'étranger n'a rien de sérieux et a été simplement acquise à titre d'expédient? Alors même que l'individu, dont il

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s'agit, n'aurait point voulu donner à sa naturalisation un caractère permanent, la loi ne lui impose-t-elle pas ce caractère ?

385. Ce n'est pas tout aux jurisconsultes qui veulent absolument qu'une naturalisation acquise en pays étranger puisse être entachée de fraude à la loi française, nous demanderons d'après quel criterium ils reconnaîtront l'existence ou l'absence du vice de fraude.

386. C'est ici que des divergences multiples prennent naissance parmi les partisans de la théorie que nous combattons.

387. Un auteur (1) enseigne que la fraude doit être présumée chez celui qui, peu de temps après s'être fait naturaliser en pays étranger, revient établir son domicile dans son ancienne patrie. Mais il est facile d'apercevoir le défaut d'un pareil système. Pour qu'il y eût présomption de fraude, il faudrait au moins que le naturalisé, après s'être servi de sa nationalité nouvelle pour l'intérêt et l'avantage qu'il recherchait, s'empressât d'abandonner cet état nouveau, pour revêtir sa nationalité primitive. Alors, en effet, on se trouve en face d'un homme louvoyant entre deux nationalités, allant à l'une et à l'autre demander les avantages que chacune d'elles peut procurer, mais s'éloignant, à l'occasion, de l'une ou de l'autre pour se soustraire aux charges que chacune d'elles peut aussi imposer. Eh bien! est-ce là la situation de celui qui, après s'être fait naturaliser à l'étranger, revient en France établir son domicile? Evidemment non car le Français, naturalisé en pays étranger, a beau revenir s'installer en France, il ne recouvre pas, par cela seul et de plano, la nationalité française. Il faudrait que son établissement fût autorisé par le gouvernement et que la nationalité française lui fût rendue, ce qui ne dépend pas de sa volonté individuelle. Donc, cet ex-Français reste étranger. Il profitera sans doute des avantages inhérents à sa nationalité nouvelle, celle de l'Etat qui l'a naturalisé ; (1) M. Hammond, Southern Law Review, Saint-Louis, 1876, p. 544.

mais il en supportera aussi les charges. Où est dans tout cela la fraude, où est l'immoralité ?

388. Un autre auteur (1), en présence de ces considérations, a enseigné que la naturalisation, obtenue en pays étranger, serait viciée pour fraude « si la personne se replaçait plus tard sous l'empire de cette loi, à la rigueur de laquelle elle a tenté d'échapper par l'émigration.... Mais, si la nationalité nouvellement acquise est ultérieurement conservée, il ne peut être question de fraude. » Ainsi, suivant cette doctrine, la fraude à la loi se reconnaîtrait à ce fait que le changement de nationalité n'aurait été qu'éphémère et qu'il n'aurait point duré longtemps.

389. Nous ne pensons pas encore que cette proposition doive être acceptée. Sans doute, si le retour à la nationalité, d'abord abandonnée, dépendait de la seule volonté de l'expatrié, nous comprendrions que l'on pût voir, dans ce revirement précipité, une présomption de fraude.... Encore ne serait-ce qu'une simple présomption. Mais nous savons que la nationalité primitive ne peut point être recouvrée sans une autorisation préalable du chef de l'Etat. Le gouvernement exerce son contrôle. Or, ce contrôle même n'est-il pas une garantie que la rentrée dans la nationalité primitive ne sera pas ouverte à ceux-là qui s'en seraient rendus indignes par des agissements véritablement frauduleux ?

Mais cependant, dira-t-on, il y a des cas où la nationalité abandonnée pourra être recouvrée, sans que le gouvernement y prenne aucune part. Supposons, par exemple, une femme française, fille ou veuve, qui, après s'être fait naturaliser en pays étranger, se marie avec un Français. Ce mariage, on le sait, lui fait recouvrer, de plein. droit, la nationalité française. Ce fait ne pourra-t-il pas, dans certaines circonstances, être pris en considération, pour établir que la naturalisation antérieure était entachée de fraude?

(1) M. de Holtzendorff, Journ. de droit international privé, 1876, p. 13.

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