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noncée contre le Français naturalisé sans autorisation en pays étranger, était simplement la conséquence de la perte de la nationalité française. En 1811, l'étranger ne pouvait point, en principe, succéder, en France. Il était naturel d'attacher cet effet à toute naturalisation en pays étranger, puisque, par cette naturalisation, le Français devenait étranger. Mais la loi du 14 juillet 1819, ayant relevé de cette incapacité les étrangers, par l'abrogation des articles 726 et 912, a relevé du même coup, de ladite incapacité, le Français naturalisé en pays étranger. Nous comprenons que cette opinion ait rencontré des sympathies. Elle a pour résultat de mitiger la violence extrême du décret du 26 août 1811 à ce titre, elle est digne de faveur.

406. Cependant nous ne la croyons pas juridique. Nous adoptons la seconde opinion, suivant laquelle le Français, naturalisé sans autorisation en pays étranger, est encore, à l'heure actuelle, incapable de succéder en France.

En effet, dit M. Demolombe (1), ce n'était pas seulement comme un étranger ordinaire, et en vertu de l'article 726 que le Français, naturalisé en pays étranger sans autorisation, était incapable de succéder en France c'était à titre de peine, et en vertu spécialement de l'article 6 du décret du 26 août 1811. Or, la loi du 14 juillet 1819 se borne à abroger les articles 726 et 912 du Code civil; donc, cette loi n'a pas suffi pour abroger l'article 6 du décret du 26 août 1811.

Ce syllogisme nous semble parfaitement en forme, et la prémisse, qui lui sert de base, nous paraît indestructible. En effet, aux termes du décret du 26 août 1811, article 3, le Français naturalisé en pays étranger avec autorisation pouvait succéder en France, alors même que les étrangers ne succédaient pas. Et cependant ce Français, même autorisé, était devenu étranger par sa naturalisation! A l'inverse, le Français naturalisé en (1) T. 1, p. 236, no 188.

pays étranger sans autorisation ne pouvait point succéder en France, alors même qu'il se serait fait naturaliser dans un pays dont les nationaux auraient pu, en vertu de traités, succéder en France. Cette différence de situation ne prouve-t-elle pas que l'incapacité de succéder fut édictée par le décret de 1811, non pas comme une application de l'incapacité générale dont le Code frappait alors les étrangers, mais bien comme une peine particulière encourue par le Français naturalisé sans autorisation? En résumé, le décret du 26 août 1811, quoique peut-être inconstitutionnel et si rigoureux qu'il soit, a encore aujourd'hui force de loi pour toutes celles de ses dispositions qui n'ont pas été abrogées par les lois postérieures.

407. Pour terminer, notons encore une conséquence qui découle de ce principe.

Le décret du 26 août 1811, articles 5 et 13, prononçait la peine de mort contre le Français, naturalisé en pays étranger, qui avait porté les armes contre la France. Les auteurs, qui tiennent pour inconstitutionnels les deux décrets que nous connaissons, contestent que cette peine puisse encore être infligée aujourd'hui (1). Quant à nous, après la théorie que nous avons admise, nous ne pouvons pas, à notre grand regret, rejeter l'application de cette peine exorbitante. Aucune loi postérieure ne l'a, en effet, supprimée.

En présence de ces déductions rigoureuses, mais logiques à notre sens, nous ne pouvons qu'émettre un vou. Nous souhaitons ardemment que le législateur fasse bientôt disparaître les derniers vestiges de ces dispositions tyranniques, qui purent avoir leur utilité au temps de leur. promulgation, mais qui, aujourd'hui, sont à la fois inutiles et indignes de la civilisation moderne.

408. Nous savons comment et dans quelle mesure l'autorisation gouvernementale est nécessaire au Français qui se fait naturaliser en pays étranger.

(1) M. Demante, père, loc. cit.

409.

Demandons-nous maintenant si quelques cir

constances particulières, par exemple l'âge, le mariage, ne doivent pas aussi constituer, pour cet individu, des incapacités. 410.

Et d'abord, en ce qui concerne la condition d'âge, il est évident que le Français ne peut point se faire naturaliser en pays étranger, tant qu'il n'a pas atteint la majorité, telle qu'elle est réglée par la loi française.

Le changement de nationalité entraîne, en effet, un change ment essentiel de condition. Les conséquences auxquelles il aboutit sont si considérables et si graves, qu'on ne peut pas raisonnablement mettre l'initiative d'un tel acte aux mains d'un enfant encore mineur. C'est en vain qu'on alléguerait la possibilité, pour cet enfant, de se faire assister par ses représentants légaux. Nous avons déjà réfuté cette objection dans notre première étude, et nous avons établi que la naturalisation acquise en France par un étranger doit être un acte essentiellement libre (1) et personnel: voyez suprà, no 293. Par identité de raisons, il faut admettre exactement la même solution en ce qui concerne la naturalisation acquise, en pays étranger, par un Français. - Tel est bien, d'ailleurs, l'esprit de notre droit. Ainsi, d'après la loi du 7 février 1851, tout individu né en France d'un étranger, qui lui-même y est né, est Français dès sa naissance. Seulement la loi lui permet d'opter plus tard pour la nationalité étrangère. Cette option, si elle se produit, constituera une naturalisation en pays étranger. Eh bien, à quelle époque peut-elle être exercée? A cette question, la loi répond formellement : « Dans l'année qui suivra l'époque de sa majorité. » Cette décision doit évidemment être généralisée; car les motifs qui l'ont fait édicter

(1) Ce principe a été nettement posé, dans la pratique, par le traité du 10 août 1877 contenant cession, par la Suède à la France, de la petite île de Saint-Barthélemy. Voyez suprà, no 315, in fine, p. 243.

n'ont absolument rien de particulier ni de restrictif. Voyez suprà, nos 178 et suivants.

11. Nous avons aussi à examiner si le mariage ne crée pas une incapacité en matière de naturalisation.

412. D'abord, à l'égard du mari, il est certain qu'aucun empêchement ne lui est opposable. Il serait absolument arbitraire de lui imposer l'assentiment préalable de sa femme. Ce serait créer une subordination du mari à la femme or, l'on sait que partout dans le Code, l'esprit et la lettre de la loi protestent contre une telle situation: art. 213 et suivants.

413. Quant à la femme mariée, elle peut, c'est du moins notre avis, acquérir, pendant la durée du mariage, une nationalité étrangère, alors même que son mari resterait Français. On a voulu, il est vrai, appuyer la solution contraire sur les articles 12 et 19 du Code civil. En effet, suivant l'article 12, la femme étrangère qui épouse un Français, devient Française; suivant l'article 19, la femme française qui épouse un étranger devient étrangère. Eh bien, a-t-on dit, ces dispositions prouvent que l'unité de la nationalité au sein de la famille a été regardée comme essentielle par notre législation. Ce serait précisément troubler cette unité que de permettre à la femme mariée un changement de nationalité que son mari ne voudrait point partager.

Mais il est facile de réfuter cette objection. En effet, les articles 12 et 19 précités, ainsi que leurs termes le prouvent, se placent simplement au moment du mariage. C'est à ce moment seulement que la loi veut, entre les époux, une nationalité une et identique. Mais cette identité de condition ne pourra-t-elle pas être modifiée, par la suite, pendant la durée de l'union? La loi ne dit rien à cet égard. A raison de ce silence, il faut évidemment incliner pour le maintien du principe, c'est-à-dire pour le droit commun et en faveur de la liberté individuelle. Il faut permettre à la femme mariée de se faire naturaliser à l'étranger,

même quand son mari conserve sa nationalité primitive. 414. Seulement cette femme sera-t-elle absolument libre? Pourra-t-elle se donner une nouvelle patrie sans y avoir été, au préalable, autorisée par son mari? Nous ne le pensons pas. En effet, d'une part, en thèse générale, la femme doit obéissance à son mari (art. 213, Code civil). D'autre part, il est certain que la femme, durante matrimonio, ne peut pas avoir un autre domicile que celui de son mari. Or, ce serait supprimer d'un trait cette obligation incontestable, que de permettre à la femme mariée, même non autorisée, la naturalisation en pays étranger. La plupart du temps, en effet, pour ne pas dire toujours, cette naturalisation ne sera possible que moyennant un transfert de domicile dans le pays où la naturalisation sera conférée. Il est bien entendu, d'ailleurs, que si le mari refusait, arbitrairement et sans motifs, d'autoriser sa femme (1), celle-ci pourrait recourir à la justice. L'article 219 du Code civil est, en effet, général et absolu. Il dispose que « si le mari refuse d'autoriser sa femme à passer un acte, la femme peut faire citer son mari devant le tribunal de première instance de l'arrondissement du domicile commun, qui peut donner ou refuser son autorisation.... »

415. Nous venons de raisonner en vue de l'hypothèse où le mariage serait integri status, c'est-à-dire en vue du cas où les liens matrimoniaux n'auraient pas été relâchés par la séparation de corps. Il convient maintenant d'aborder cette hypothèse nouvelle et de nous placer en face d'une femme séparée de corps, qui voudrait, pour une raison ou pour une autre, se faire naturaliser en pays étranger. La question qui doit nous préoccuper est celle-ci : la femme séparée de corps, a-t-elle besoin, comme la

(1) La femme pourrait recouvrer la plénitude de son indépendance, par le divorce, dans les pays où le divorce est permis. Une femme pourrait avoir un intérêt très légitime à se faire naturaliser en pays étranger, par exemple pour y recueillir une succession qu'elle serait autrement, suivant la législation exclusive du pays, incapable d'appréhender.

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