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lement des successions laissées par des étrangers en France.

Aussi, durant tout le xvme siècle, les pratiques et les habitudes de la royauté en cette matière eurent-elles à subir les plus vives attaques des économistes et des philosophes (1).

Necker proclama le droit d'aubaine «< encore plus préjudiciable aux nations qui l'exercent qu'aux étrangers dont on usurpe ainsi la fortune. » Montesquieu avait déjà flétri le droit d'aubaine du nom de droit insensé. Tous les esprits s'accordaient donc, à la veille de la Révolution française, à réclamer une réforme fondamentale imposée d'ailleurs par les nécessités sociales les mieux constatées.

Par suite, sous la législation intermédiaire ou révolutionnaire, nous allons voir ici la naturalisation prendre un caractère tout nouveau. Elle va résulter, de plein droit, du concours de certaines circonstances et conditions, dont la réalisation et l'accomplissement opéreront la naturalisation, indépendamment de toute déclaration et de tout contrôle, soit du pouvoir exécutif, soit du pouvoir législatif.

Il y avait là un excès : car tout Etat a le droit et le devoir de s'assurer de la moralité comme de l'honorabilité de ceux qui sollicitent l'avantage d'être admis au nombre de ses nationaux.

58. Nous aurons à donner successivement quelques détails sur les actes législatifs suivants :

1o La loi des 30 avril 2 mai 1790, bientôt suivie par le décret du 18 août 1790 rendu par l'assemblée Constituante;

2o La constitution des 3-14 septembre 1791;

3o La constitution du 24 juin 1793;

4o La constitution du 5 fructidor an III;

5o Enfin la constitution du 22 frimaire an VIII.

Lafer

(1) Comp. Montesquieu. Esprit des lois, liv. 21, ch. 17. rière, Histoire des principes, des institutions et des lois de la Révoltion française.

Nous exposerons le système organisé par ces différents documents législatifs avec les principales applications pratiques. Nous indiquerons également comment se combinaient les diverses règles établies successivement en matière de naturalisation, au moment du passage d'une constitution à une autre.

SECTION I

Loi des 30 avril-2 mai 1790.

59. C'est la première application que nous trouvions des idées nouvelles : cette loi, en effet, était ainsi conçue :

<«< Tous ceux, qui, nés hors du royaume de parents » étrangers, sont établis en France, seront réputés » Français et admis, en prêtant le serment civique, à » l'exercice des droits de citoyen actif, après cinq ans de >> domicile continu dans le royaume, s'ils ont, en outre, » ou acquis des immeubles, ou épousé une Française, ou » formé un établissement de commerce, ou reçu, dans » quelque ville, des lettres de bourgeoisie. »>

Donc, plus d'arbitraire, plus « de bon plaisir, » plus de contrôle même. L'étranger devient Français, de plein droit, pourvu qu'il accomplisse les trois conditions exigées: 1o cinq ans de domicile en France; 2° acquisition d'immeubles, ou mariage avec une Française, ou création d'un établissement de commerce, ou obtention de lettres de bourgeoisie; 3° prestation du serment civique. Et encore les auteurs ne sont-ils point d'accord sur la portée de cette troisième condition.

60. Une controverse sérieuse s'est, en effet, élevée sur le rôle du serment civique dans la naturalisation. La prestation de ce serment était-elle nécessaire pour acquérir la qualité de Français, ou bien ne l'exigeait-on que pour l'exercice des droits politiques?

Un premier système considère le serment civique

comme une condition sine quá non de la naturalisation. Le texte de la loi est formel, dit-on; il ne distingue pas entre le titre de Français et la qualité de citoyen. De plus, les questions de civisme étaient prépondérantes dans les assemblées de cette époque l'on sait, en effet, l'importance qu'ont eue les certificats de civisme, et le rôle qu'ils ont joué durant cette période. Le serment civique était donc une troisième condition indispensable pour obtenir la qualité de Français (1).

Nous ne saurions nous associer à cette opinion, et nous pensons, aussi bien avec la majorité des auteurs qu'avec une jurisprudence presque constante (2), que la prestation du serment n'était exigée que pour acquérir les droits politiques. En effet, les mots <<< et » admis en prêtant le serment civique... » sont placés dans une phrase incidente qui se rapporte exclusivement aux droits de citoyen actif, sans modifier en rien, pour l'acquisition de la qualité de Français, les conditions déterminées par la phrase principale du décret. Nous pouvons ajouter que ce serment ne présentait d'intérêt et d'utilité pratique, qu'au point de vue de l'exercice des droits politiques.

61. Et maintenant, quels étaient les étrangers visés par la loi Etait-elle applicable aussi bien aux étrangers fixés en France depuis sa promulgation, qu'aux étrangers y résidant auparavant?

Ici encore les auteurs sont divisés, et une première opinion, à laquelle M. Foelix apporte l'appui de son autorité, enseigne (3) que la loi des 30 avril-2 mai 1790 ne s'applique qu'aux étrangers établis en France avant sa promulgation:

(1) Nîmes, 22 décembre 1825, Sir. 26-2-209.

(2) Merlin, Rép. verbo Naturalisation, no 5. Coin-Delisle, sur l'art. 8, no 10. Fœlix, op. cit. no 5. Reg. rej. 27 avril 1819, Sir. 19-1-313. Colmar, 26 décembre 1829, Sir. 30-2-62. Douai, 19 mai 1835, Sir. 1836-2-98.

(3) Felix, Revue de droit français et étranger, t. x, p. 446 et suiv., n° 4.

1o Dit-il, le texte n'offre aucune obscurité : « ... Seront » Français... ceux qui sont établis en France! » 2o Quand il s'agit d'un privilège ou d'une exception, il faut toujours entendre la loi dans un sens restrictif : exceptiones sunt strictissimæ interpretationis.

Une seconde opinion, consacrée par de nombreux arrêts, et à laquelle nous nous rallions complètement, prétend que la loi des 30 avril-2 mai 1790 n'établit aucune distinction et vise tous les étrangers domiciliés en France, qu'ils s'y soient établis avant ou après sa promulgation.

Et d'abord, au point de vue des textes, la loi ne dit pas « qui sont actuellement établis en France » il faut donc s'en rapporter, pour l'interprétation, aux principes généraux du droit or les lois, conçues au présent, régissent toujours l'avenir, quand le législateur n'a pas formellement déclaré le contraire (1). Ensuite, au point de vue de la raison, nous ne voyons aucun motif de distinguer entre ces deux catégories de personnes.

Telle est l'économie générale de cette loi célèbre qui a été le point de départ d'une organisation nouvelle.

62. L'assemblée nationale, d'ailleurs, ne s'en tint point là dans ses innovations; elle désira améliorer la situation de ceux qui, ne profitant pas des facilités offertes pour acquérir la qualité de Français, voulaient demeurer étrangers: elle abolit, en conséquence, les droits d'aubaine et de détraction par le décret-loi des 6-18 août 1790. Les termes méritent d'en être rapportés : <<< L'as>> semblée nationale, considérant que le droit d'aubaine » est contraire aux principes de fraternité qui doivent »lier tous les hommes, quels que soient leur pays » et leur gouvernement; que ce droit, établi dans » les temps barbares, doit être proscrit chez un peuple, » qui a fondé sa constitution sur les droits de l'homme (1) MM. Aubry et Rau, t. 1er, 4 éd. p. 247, note 6.

» et du citoyen, et que la France libre doit ouvrir » son sein à tous les peuples de la terre, en les in» vitant à jouir, sous un gouvernement libre, des droits >> sacrés et inviolables de l'humanité, a décrété : Le » droit d'aubaine et celui de détraction sont abolis » pour toujours. »

La loi des 6-18 août 1790 relevait donc les étrangers de leurs anciennes incapacités.

63. La loi du 8 avril 1791 vint préciser quelquesuns de leurs droits. Désormais les étrangers sont capables de succéder ab intestat, de disposer et de recevoir, à quelque titre et par quelque mode que ce soit mais remarquons que, s'ils sont admis à la participation de tous les droits civils, la jouissance des droits, politiques leur est toujours interdite.

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Nous suivons ainsi, pas à pas, la marche des idées nouvelles. Dans cette période, nous avons vu, au nom de la fraternité humaine, la liberté la plus complète accordée à l'étranger en France. Au nom de l'ordre social, les facilités les plus grandes sont offertes aux domiciliés pour acquérir la qualité de Français; voyons maintenant si cette bienveillance leur fut continuée.

SECTION II

Constitution des 3-14 septembre 1791.

64. Cette constitution reproduit les lois antérieures, mais avec des modifications ou des innovations considérables. Voici le texte des articles principaux : TITRE II Article 2. « Sont citoyens français: 1o Ceux qui sont nés en France d'un père français; 20» Ceux qui, nés en France d'un père étranger, ont » fixé leur résidence dans le royaume;

3o» Ceux qui, nés en pays étranger d'un père

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