Page images
PDF
EPUB

fois, à interpréter et à appliquer le nouveau principe posé par la loi du 16 décembre 1874 (rapportée suprà, no 185. p. 149) cette loi, on le sait, déclare Français tout individu, né en France d'un étranger qui lui-même y est né, à moins que, dans l'année qui suivra celle de sa majorité, il ne réclame la qualité d'étranger...

etc....

Le tribunal a fermement maintenu cette règle dans deux jugements, l'un en date du 11 août 1876, et l'autre en date du 16 février 1877.

Voici, d'abord, les termes du jugement du 11 août 1876, rendu dans l'affaire Delespaul, contre le Préfet du Nord « Attendu que le demandeur, Alfred Delespaul, est né à Hem, le 9 janvier 1854, d'un père belge, né luimême en France; que par suite et aux termes de l'article 1er de la loi du 16 décembre 1874, il est Français, à moins que, dans l'année qui a suivi l'époque de sa majorité (du 9 janvier 1875 au 9 janvier 1876), il n'ait 1° réclamé la qualité d'étranger par une décla ration faite devant l'autorité municipale du lieu de sa résidence; 20 justifié avoir conservé sa nationalité d'origine par une attestation en due forme de son gouvernement, laquelle devait être annexée à ladite déclaration; attendu qu'Alfred Delespaul a bien fait, à la mairie d'Hem, commune de sa résidence, et dans le délai imparti (le 24 décembre 1875), la déclaration exigée; mais qu'il n'a formé dans le même délai aucune attestation relative à la conservation de sa nationalité d'origine; - qu'en conséquence, il est Français ;

[ocr errors]

qu'il est d'ailleurs indifférent que postérieurement, et dans les premiers jours d'avril 1876, il ait produit une attestation, délivrée le 31 mars précédent par le ministre de Belgique à Paris, et certifiant qu'il avait conservé la nationalité belge; - que sa nationalité, au point de vue de la loi française, a été irrévocablement fixée le 9 janvier 1876, sans qu'une production tardive ait pu y apporter aucune modification; le tribunal

déclare Alfred Delespaul Français (1); le déboute en conséquence de ses fins et conclusions et le condamne aux dépens. »

1041. Le second jugement, rendu à la date du 16 février 1877, dans l'affaire Descy contre le Préfet du Nord, est conçu dans les mêmes termes : « Attendu que Jules-Léon Descy est né à Tourcoing le 11 avril 1854, d'un père étranger qui lui-même était né en France; qu'en conséquence et aux termes de l'article 1er de la loi du 16 décembre 1874, il est Français, à moins que, dans l'année qui a suivi l'époque de sa majorité, il n'ait : 1o réclamé la qualité d'étranger par une déclaration faite, soit devant l'autorité municipale du lieu de sa résidence, soit devant les agents diplomatiques et consulaires de la France à l'étranger; -20 justifié avoir conservé sa nationalité d'origine par une attestation en due forme de son gouvernement, laquelle devait demeurer annexée à ladite déclaration; attendu que si Descy a accompli la première de ces deux formalités, il n'a, dans le délai utile (du 11 avril 1875 au 11 avril 1876), produit aucune attestation en due forme du gouvernement belge, établissant qu'il avait conservé sa nationalité d'origine; qu'il n'a produit qu'à la date du 29 septembre 1876, une attestation délivrée le 27 du même mois par l'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S. M. le roi des Belges à Paris; qu'il est donc Français; que, d'un autre côté, il importe que le demandeur ait pris du service militaire en Belgique, les dispositions des articles 17 et 21 du Code civil (lesquelles ne sont pas d'ailleurs invoquées dans la cause), ne pouvant point ouvrir un moyen de répudier la qualité de Français, dans un cas où cette qualité est maintenue par la loi, à défaut de formalités strictement déterminées; le

[ocr errors]

(1) Le jugement, (Delespaul contre le Préfet du Nord), a été confirmé à la date du 7 novembre 1877, par la Cour d'appel de Douai, avec adoption des motifs des premiers juges. (Jurisprudence spéciale de la Cour, année 1877, t. xxxv, p. 37.)

tribunal déclare Jules-Léon Descy Français, et le condamne aux dépens. >>

1042. Nous avons également une observation complémentaire à présenter à propos des difficultés juridiques relatives à l'annexion de la Savoie et de Nice à la France, et à l'interprétation de l'article 2 du décret du 30 juin 1860.

L'article 2 du décret du 30 juin 1860, rapporté suprà, p. 226, est ainsi conçu : « Les sujets sardes, encore mineurs, nés en Savoie et dans l'arrondissement de Nice, pourront, dans l'année qui suivra l'époque de leur majorité, réclamer la qualité de Français, en se conformant à l'article 9 du Code civil. » On sait que ce texte est véritablement énigmatique, en présence du traité d'annexion du 24 mars 1860, lequel paraissait avoir naturalisé, de plein droit, les sujets dont il est question à l'article 2 du décret. Nous avons vu dans quel embarras l'interprétation d'une telle disposition avait mis les commentateurs. (Comp. suprà, première Etude, nos 306 et suiv., p. 234 et suiv.)

Après avoir énuméré les nombreux systèmes provoqués par cette difficulté, nous disions, suprà, p. 237 in fine (no 311): « Nous préférons, pour notre part, regarder la question comme encore pendante, et nous craignons bien qu'elle ne reste toujours insoluble. »

Nous nous félicitons maintenant d'avoir gardé cette réserve. En effet, la nouvelle édition du livre de M. Alauzet (1), (De la qualité de Français, de la naturalisation et du statut personnel des étrangers), contient, à la p. 100, note 3, une information extrêmement intéressante, qu'il importe de mettre sous les yeux du lecteur. Elle explique comment devaient être fatalement stériles tous les efforts tentés par de si nombreux auteurs pour interpréter l'article 2 du décret du 30 ju 1860.

(1) M. Alauzet, ancien chef de division au ministère de la justice, était, à coup sûr, bien placé pour constater le fait qu'il rapporte.

Voici, en effet, en quels termes s'exprime M. Alauzet dans la note précitée :

« J'étais, depuis plus de douze ans, à l'époque où » ce décret a été rendu, chef de la division du >> sceau au ministère de la justice, et je ne sais si » je dois dégager la part de responsabilité qui pour>> rait m'être attribuée ; j'avais, pour directeur, un ancien >> officier de marine, porté à ce poste par les évé>>nements politiques et très curieux de se donner de » l'importance. Le décret fut préparé par lui seul, sans » que je fusse consulté, et présenté par lui à la » signature d'un garde des sceaux très intelligent, qui » le signa sans le lire, conformément à un usage qui » s'était déjà établi à cette époque et s'est perpétué. » Je puis donc affirmer que ce décret n'est autre chose » qu'un non-sens et le fruit de l'ignorance d'un directeur » incapable et de l'inadvertance ou de la paresse d'un » ministre intelligent et instruit. »>

Cela nous dispense évidemment de chercher, plus longtemps, l'interprétation à donner à l'article 2 du décret du 30 juin 1860 qui a tant exercé les commentateurs, et auquel nous avons dû consacrer nousmême, suprà, dans notre première Etude, les nos 306 à 312, page 234 et suivantes.

1043. Nous avons dû, suprà, nos 328 et suivants, (et surtout nos 335 à 341), nous préoccuper de la situation de l'enfant naturel reconnu à la fois par son père et par sa mère, lorsque les deux auteurs de la naissance appartiennent, d'ailleurs, à des nationalités différentes. Nous avons pensé (suprà, no 240) que l'enfant naturel, ainsi reconnu par ses deux auteurs, devra toujours suivre la nationalité de son père.

Telle est, précisément, la solution consacrée par le tribunal civil de Lille dans son jugement du 22 février 1878, à propos de l'affaire Demulier contre M. le Préfet du Nord : <«< Attendu, dit le tribunal, que le

demandeur, Henri-Charles Demulier, est né hors mariage à Mouscron (Belgique) le 16 juin 1823, d'une mère belge, Virginie Lecroart, domiciliée audit Mouscron, et d'un père français, Ferdinand-Joseph Demulier, né à Wattrelos (France) et domicilié dans ladite commune, tant au moment de la rédaction de l'acte de naissance de l'enfant, contenant reconnaissance de la part du père, qu'à celui du mariage des père et mère, célébré à Mouscron le 30 juillet 1823, le tout, ainsi qu'il résulte des énonciations des actes de l'état civil; - Qu'un enfant naturel, né ainsi de père et mère de nationalités différentes et reconnu par eux, suit la nationalité du nom, c'est-à-dire du père; que par conséquent, Henri-Charles Demulier est Français; Que l'article 8 des lois constitutionnelles du royaume des Pays-Bas, en date de 1815, ne concerne que les individus nés de parents domiciliés soit dans le royaume, soit dans les colonies; qu'il est donc tout à fait étranger à la cause; Que d'un autre côté, Henri-Charles Demulier n'a pas perdu postérieurement la qualité de Français, par suite du tirage au sort qu'il a subi en Belgique, en 1842, ce fait s'étant passé alors que l'intéressé était encore mineur, et le numéro obtenu par lui l'ayant exempté de tout service militaire; Que jamais non plus, il ne s'est établi en Belgique sans esprit de retour, puisqu'en 1852, il est venu se fixer à Wattrelos, commune qu'il n'a pas quittée depuis ; Qu'enfin il n'y a pas à rechercher si Ferdinand-Joseph, père dudit Henri-Charles Demulier, avait, pendant la minorité de ce dernier, perdu la qualité de Français, l'enfant mineur ne pouvant point être dépouillé de sa nationalité par le fait de son père; Qu'il suit de ce qui précède qu'Emile-Edouard Demulier est né à Wattrelos le 19 août 1857 d'un père français; Qu'il est donc Français lui-même et qu'à bon droit, il a été inscrit sur les listes du recrutement; Le tribunal dit qu'Emile-Edouard Demulier

[ocr errors]
[ocr errors]
« PreviousContinue »