Page images
PDF
EPUB

chef du moins et dans cette mesure, M. Bataille puisse être considéré comme insoumis ou réfractaire et traité comme tel?

Sans doute, pendant cette période intermédiaire, du jour de sa vingtième année au jour de sa naturalisation en Belgique, - M. Bataille, en ne se présentant pas devant l'autorité militaire française, a violé la loi française qui le régissait alors incontestablement. Cette violation est, d'après l'article 12 de la loi du 27 juillet 1872, bienveillamment réputée être une simple omission et donne lieu à une régularisation d'inscription.

Mais il nous semble que les faits accomplis dans cette période intermédiaire où M. Bataille, n'étant pas encore Belge, aura conservé provisoirement la qualité de Français, sont indifférents en la cause et au point de vue de la situation du consultant vis-à-vis de l'autorité militaire française.

En effet, les irrégularités qui auraient pu être commises par M. Bataille seront couvertes rétroactivement par la naturalisation obtenue en Belgique, la jurisprudence et la doctrine, en France, s'accordant, d'une manière à peu près constante (1), à décider que toute naturalisation obtenue, conformément à l'article 9 du Code civil français, a un effet rétroactif: un Belge, par exemple, né en France de parents belges, mais qui, dans l'année suivant l'époque de sa majorité, a réclamé la nationalité française, est réputé, en droit, avoir toujours été Français c'est le sens que la Cour de cassation française a attribué au mot « réclamer, » notamment dans un arrêt du 19 juillet 1848 (Dev. 1848-1-529).

Par la même raison et par voie de réciprocité, l'article 9 du Code civil belge étant conçu exactement dans les mêmes termes que l'article 9 du Code civil français, auquel il a été emprunté, on doit décider pareillement

(1) Nous avons toutefois contesté cette interprétation (suprà, no 161, p. 124 et suivantes), au point de vue théorique.

que le Français, né en Belgique de parents Français, mais qui, dans l'année suivant l'époque de sa majorité, a réclamé la qualité de Belge, doit être réputé Belge rétroactivement et dès le jour de sa naissance (1).

Toute autre solution amènerait des conflits insolubles dans les relations internationales, au grand préjudice des citoyens exposés ainsi à être tiraillés entre deux lois militaires incompatibles et également rigoureuses. Comparez Valette, Expl. somm. du Code civil, page 48; Demolombe, Cours de Code civil, t. 1, page 188; Cass., 5 mai 1862 (Dev. 1862-1-657).

Il nous est donc impossible, en l'état du moins de la doctrine et de la jurisprudence, d'admettre comme juridique, l'interprétation donnée au consultant par M. le Ministre de la guerre, lorsque celui-ci déclare, dans la lettre précitée, que, nonobstant toute naturalisation en Belgique, M. Bataille devrait être, en droit, toujours regardé comme Français et classé par l'autorité militaire française dans la catégorie des insoumis.

Cette interprétation est contraire à tous les principes. Son application dans l'espèce serait même particulièrement injuste M. Bataille, en effet, dans une communication faite au dernier moment, nous révèle qu'il a tiré au sort en Belgique, mais qu'il a eu la chance d'y prendre un bon numéro. Or, nul citoyen ne peut être, au point de vue du droit constitutionnel, forcé de subir le tirage au sort dans deux pays différents; car autrement il pourrait y avoir ainsi création simultanée d'obligations militaires absolument incompatibles. Cela arriverait notamment en cas de guerre entre les deux pays.

En dernière analyse, voici notre conclusion: en ce moment, M. Bataille est encore Français il a été indûment omis; il peut subir les injonctions de l'autorité mili

(1) Nous avons pris ici, comme base de notre raisonnement, la jurisprudence existante mais nous croyons cette interprétation susceptible d'exciter des doutes sérieux au point de vue doctrinal : voyez suprà, nos 161 et suivants, pag. 124.

taire française il peut, en l'état', devenir insoumis ou réfractaire dans les conditions prévues par le Code français de justice militaire, article 230, et par la loi du 27 juillet 1872, article 61; il peut être exposé à des poursuites sur le territoire français. Dans cette mesure, la doctrine de M. le Ministre de la guerre est irréprochable.

Mais M. Bataille peut échapper à cette situation par une naturalisation régulièrement obtenue en Belgique dans les termes de l'article 9 du Code civil de ce pays.

A partir du jour où, conformément à cet article 9, le consultant aura réclamé la nationalité belge et l'aura fait reconnaître en sa personne, cette consécration de la qualité de Belge opérera rétroactivement, du moins d'après la jurisprudence, au jour de sa naissance. Désormais M. Bataille ne pourra plus avoir rien à craindre de l'autorité militaire française. A ce dernier point de vue, la doctrine opposée, émise par M. le Ministre de la guerre, est absolument inadmissible. Elle est contraire à la jurisprudence et à l'opinion de la majorité des auteurs. Le consultant, s'il était inquiété, devrait immédiatement porter la question, à la fois sur le terrain judiciaire et sur le terrain diplomatique : il obtiendrait certainement une solution conforme à ses plus chers intérêts.

M. Bataille étant décédé quelques mois après la présente consultation, aucune suite ne put être donnée à l'affaire le concernant.

1045. Avant de quitter l'exposition des documents de jurisprudence se rapportant à notre première Etude, nous devons encore signaler une importante décision du tribunal civil de Chambéry rapportée dans la France judiciaire, 4 année, pages 435 à 438.

Le tribunal applique avec fermeté, à propos de l'annexion de la Savoie à la France, le principe de la non rétroactivité des effets de l'annexion. Après avoir posé ce principe dans notre première Etude, nous

l'avons développé dans notre troisième Etude, suprà, nos 557 à 567, pages 448 et suivantes.

Le jugement précité du tribunal civil de Chambéry, rendu à la date du 4 février 1880, rappelle d'abord que, sous la législation sarde, les églises et leurs dépendances étaient la propriété des fabriques. De là les juges concluent, avec raison, que, depuis l'annexion de 1860, à la France, la propriété des églises et de leurs dépendances est restée, en Savoie, dans le domaine des fabriques, qui en étaient déjà propriétaires, la loi française n'ayant d'effet que pour l'avenir et ne pouvant pas modifier les droits acquis. (Commune de Sonnaz contre Fabrique de Sonnaz.)

Voici les faits de la cause. - Le 2 octobre 1878, un procès-verbal fut dressé par le garde champêtre de Sonnaz contre le curé de la commune, qui faisait élaguer des platanes se trouvant, sur la place, devant l'église. Le curé expliqua que ces platanes étaient la propriété de la fabrique, et qu'il les faisait élaguer avec l'autorisation du conseil de fabrique. Il ne fut donné aucune suite au procès-verbal.

Mais la commune se fit autoriser, par le conseil de préfecture de la Savoie, à intenter une action pétitoire contre la fabrique; et, par exploit du 16 octobre 1879, elle assigna cette dernière devant le tribunal civil de Chambéry, pour la faire déclarer sans droit sur les platanes et sur le sol de la place devant l'église, pour la faire condamner à restituer à la commune le bois coupé et à lui payer les dommages-intérêts. Le tribunal a rendu le jugement suivant, qui consacre un principe, dont les conséquences en droit sont de la plus grande importance :

«<< Le tribunal : attendu qu'au vu des conclusions respectivement prises par les parties, la question soumise à la décision du tribunal est celle de savoir à qui, de la commune de Sonnaz ou de la fabrique, appartient la propriété de la place, qui se trouve devant l'église,

inscrite sous le n° 225 de l'ancien cadastre, et sous le n° 218 du nouveau;

>> Attendu que, la fabrique fondant son droit de propriété exclusive sur la place dont il s'agit, et par voie de conséquence sur les platanes qui s'y trouvent, sur ce que les lois sardes, en vigueur à l'époque où l'église a été construite, soit en 1842, reconnaissaient aux fabriques, à l'exclusion des communes, le droit de propriété des églises et de leurs dépendances, il est le cas d'examiner avant tout si, en droit, cette prétention est fondée;

» Attendu qu'avant la révolution française, les fabriques n'existaient pas dans les Etats sardes, comme en France; que les églises et leurs dépendances étaient la propriété des bénéfices et portées ordinairement au cadastre en leur nom; qu'en 1814 et 1815, l'ancien droit a été remis en vigueur; mais qu'il est à remarquer qu'il a été modifié par deux dispositions législatives très importantes, les lettres patentes du 5 avril 1825 et le manifeste sénatorial du 22 août de la même année; qu'il résulte, à l'évidence, de ces dispositions, et notamment des articles 2 et 5 du manifeste, que la propriété des églises et de leurs dépendances a été attribuée d'une manière exclusive aux fabriques, qui ont été chargées des grosses réparations, le concours des communes ne pouvant être exigé que lorsque les ressources de la fabrique ellemême ne suffisaient pas pour les réparations ou reconstructions; que la propriété des églises et de leurs dépendances a formé alors principalement le temporel de la fabrique, et que la loi communale sarde de 1848 n'a, en rien, modifié ce droit de propriété; que c'est dans ce sens que la Cour de Chambéry a interprété les lettres patentes du 25 avril 1825 et le manifeste sénatorial du 22 août 1825, et que ses décisions sur ce point ont été consacrées d'une manière formelle par deux arrêts de la Cour de cassation de Turin des 15 et 18 novembre 1858; qu'il ne peut dès lors être douteux que, sous

[ocr errors]
« PreviousContinue »