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(art. 19 Code civil).

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Les époux Placquet se rendirent ensuite à Tournai (Belgique), où ils habitèrent. En 1869, la séparation de corps était prononcée. Le 1er mars 1873, un jugement du tribunal civil de Tournai admettait le divorce. Le 17 juillet 1873, le divorce était prononcé par l'officier de l'état civil. Les ex-époux revinrent ensuite, tous les deux, mais séparément, à Lille. Mie Platel ne paraît pas, jusqu'à ce jour, avoir cherché à y convoler en secondes noces. Placquet, au contraire, s'adressa, dès 1875, au maire de Lille, en le priant de procéder, une seconde fois, à la célébration de son mariage. L'officier de l'état civil refusa d'obtempérer à cette demande. Une instance fut introduite par Placquet. Le tribunal civil de Lille, par jugement du 18 août 1876, approuva le refus opposé au demandeur par le maire de Lille.

Sur appel, la Cour de Douai confirma, le 8 juin 1877, le jugement sus-énoncé. Mais, le 15 juillet 1878, la Gour suprême cassa l'arrêt de la Cour d'appel de Douai (voir la Gazette des tribunaux, du 15 juillet 1878), en déclarant que l'officier de l'état civil avait eu tort de refuser de procéder aux publications et à la célébration du mariage de Placquet avec Mlle Bouchez. L'affaire, renvoyée devant la Cour d'Amiens, est venue à l'audience du 9 avril. Le maire de Lille a fait défaut.

Me Werquin s'est présenté pour Placquet, et a défendu la doctrine de l'arrêt de la Cour de cassation. A l'audience du même jour, M. Detourbet, avocat général, a combattu ce système. Il a fait d'abord remarquer que tous les documents de doctrine ou de jurisprudence visaient l'hypothèse d'un mariage entre étranger et étrangère, célébré à l'étranger, et suivi du divorce prononcé à l'étranger, hypothèse toute différente de celle du procès actuel. Dans le premier cas, M. l'avocat général reconnaît que la théorie de la Cour de cassation est inattaquable. Sans doute, l'article 147 est alors inapplicable, car la dissolution du mariage est certaine; Placquet est un homme «non marié. » Sans doute, le demandeur (futur

époux) a le droit d'invoquer les règles du statut personnel. Sans doute, la loi du 8 mai 1816, qui a abrogé le divorce en France, ne peut pas porter atteinte à des législations européennes, qui admettent ce mode de dissolution du lien matrimonial. Sans doute, on doit considérer comme Belge la femme française qui a épousé un Belge. Sans doute encore, on articulerait vainement que le nouveau mariage en France de l'étranger divorcé est contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs, dans un pays où le divorce a été longtemps reconnu par le législateur. Le ministère public donne quelques développements à ces considérations, s'associe pleinement aux conclusions de M. le procureur général Dupin, dans l'affaire Bulkley (Dalloz, 1860-1-57) et indique les inconvénients de la solution contraire, notamment en matière de contrats civils. Un nouvel empêchement dirimant ne saurait être ajouté à ceux qui s'opposent au mariage.

Mais, selon M. l'avocat général, il convient de raisonner autrement quand la première épouse du demandeur était une Française.

Celle-ci, après le divorce prononcé en Belgique, ayant rempli les formalités nécessaires pour recouvrer sa nationalité (art. 19 du Code civil), est redevenue Française. Elle habite un pays où l'indissolubilité du lien matrimonial est indiscutable. Elle est contrainte de se soumettre à cette règle du statut réel. Elle ne saurait demander à contracter un second mariage en France, sa naturalisation étrangère (1) momentanée n'ayant pas eu pour effet de la relever de son incapacité à ce sujet. Pourquoi la situation de son ex-mari serait-elle plus favorable? Permettre à celui-ci une nouvelle union, c'est proclamer à son profit, aussi bien qu'au profit de la femme (indirectement), la dissolubilité de leur union. Remarquons,

(1) Nous contestons formellement cette affirmation : tout citoyen naturalisé régulièrement a tous les droits de l'indigène, dont il a emprunté la nationalité. Tel est l'axiome de droit à maintenir partout et toujours. Voyez, d'ailleurs, suprà, no 623, pag. 484.

dit M. l'avocat général, que la demoiselle Platel aurait eu le droit de prendre, dans les débats, des conclusions d'intervention (art. 339 et suivants du Code de procédure civile). Elle aurait pu alors demander à être protégée; elle aurait pu invoquer la législation de son pays (art. 8 du Code civil), et faire remarquer qu'elle n'a pas perdu sa qualité d'épouse; elle aurait pu ajouter qu'aux termes d'une jurisprudence constante, qui ne fait que consacrer la grande maxime, Neminem lædere, les règles du statut personnel cessent d'avoir effet, quand l'application de la loi étrangère serait de nature à compromettre un intérêt français. Or, ce que la demoiselle Platel ne réclame pas, le ministère public peut le demander pour elle. Quand la loi de son pays est en contradiction avec la loi étrangère, le juge français opte forcément pour la première. Il ne doit sanctionner aucun empiètement de la loi étrangère, au détriment de la loi française, qui se trouverait comme paralysée sur le sol national. Il a, devant lui, non pas deux étrangers, mais une Française et un étranger. Enfin, bien que les souverainetés des deux pays soient opposées, il n'a cependant qu'une patrie. La situation des époux Placquet, par suite du divorce, est la même que celle des individus qui ont eu des relations légales sous l'empire d'une loi ensuite abrogée. Or il est de principe qu'aucune atteinte ne peut être apportée à des droits acquis. Et au nombre de ces droits figurent, en première ligne, ceux qui touchent à l'état des personnes. Qu'une loi française rétablisse le divorce, les anciens rapports se trouveront-ils modifiés? Nullement. Les séparations de corps, antérieures à la loi nouvelle, seront-elles, par exemple, converties, de plein droit, en divorces? Assurément non. Proclamer ainsi les droits de Mlle Platel, n'est-ce pas repousser les prétentions de Placquet? Celui-ci, sujet belge, peut profiter des dispositions de la loi de son pays sur le divorce et contracter une nouvelle union en Belgique. Mais ce qui lui est interdit, c'est de se remarier en France.

La Cour de cassation (arrêt du 15 juillet 1878), s'assimilant une savante dissertation de Merlin, devenue classique, et se fondant sur le retrait, en décembre 1816, du projet de loi du gouvernement, qui avait pour but de prohiber, à partir de 1816, le second mariage des personnes divorcées avant le 8 mai de ladite année, en conclut que ce qui a été, depuis cette époque, permis aux Français divorcés, doit, de même et pour des raisons analogues, être autorisé en faveur des étrangers divorcés. Ce raisonnement n'est pas absolument juste car il a pour base cette circonstance, qu'au moment où les personnes dont il s'agit avaient. fait prononcer la dissolution de leur union, le divorce était reconnu par notre législation. Il avait, au contraire, cessé d'exister, depuis cinquante-deux ans quand Mile Platel se mariait à Lille, en 1868, avec Placquet. Donc, aucune assimilation n'est possible entre deux situations, il n'y a aucun argument à en tirer. En terminant, M. l'avocat général signale le résultat fâcheux et choquant, auquel conduirait la solution proposée par la Cour suprême. Sur les registres de l'état civil de la même ville, deux unions successives du même individu seraient constatées, alors que sa première femme habite la localité; elles seraient en quelque sorte attestées par le même maire, à quelques années d'intervalle; ce serait la consécration d'une sorte de bigamie légale ; pour le public lillois, en effet, Placquet sera toujours un bigame, et son nom continuera à être porté par deux femmes vivant l'une à côté de l'autre.

ces

Notre opinion est entièrement conforme à celle admise par la Cour d'appel d'Amiens, contrairement aux conclusions de M. l'avocat général voyez suprà, nos 604 et 618, pages 472 et 480 à 481; aj. no 623, pag. 484 à 491.

1050. Comme référence à nos développements sur les effets de la naturalisation en matière de tutelle

(suprà, nos 595 et 639-642) et en matière de conseil de famille (suprà, nos 643-648), nous avons à signaler un jugement rendu le 24 janvier 1878 par le tribunal civil de Briey, et un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 21 août 1879. Ces importantes décisions judiciaires sont rapportées dans Sirey, 1880-2-81 - Il en ressort les trois solutions suivantes : << Les ascendants étrangers peuvent être tuteurs de leurs descendants français; spécialement ils peuvent être tuteurs légitimes de leurs petits-enfants (Code civil, art. 11, 13, 402); — De même les autres parents étrangers du mineur peuvent être membres du conseil de famille (Code civil, art. 11, 405); La tutelle dérivant du droit naturel, il s'ensuit. que les lois qui en règlent les effets concernent aussi bien les étrangers que les nationaux. Ainsi l'étranger, parent d'un mineur français, peut être tuteur de ce mineur, comme il peut faire partie de son conseil de famille. >>

-

Ces décisions judiciaires, publiées le 20 mai dans le dernier cahier de Sirey, et parvenues, par suite, à notre connaissance à la fin de l'impression du présent traité, consacrent des solutions tout à fait opposées à l'avis émis par nous, suprà, nos 640 et 641, p. 498, et no 646, p. 500.

Nous croyons néanmoins devoir persister dans notre première manière de voir que nous résumons ainsi : les étrangers sont incapables d'ètre tuteurs, subrogés tuteurs, ou membres d'un conseil de famille en France or le Français, qui se fait naturaliser en pays étranger, entre exactement dans la situation créée par la loi à l'étranger lui-même, en vertu du principe fondamental suivant lequel le citoyen naturalisé acquiert tous les droits, mais ne peut avoir que les droits accordés aux indigènes : donc le Français, naturalisé en pays étranger, devient aussitôt inhabile à être désormais, en France, tuteur, subrogé tuteur, ou membre d'un conseil de famille.

Toutefois, en présence des tendances et des hésitations récentes que trahissent les nouvelles décisions précitées

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