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les points suivants : 1° Si la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public ni aux principes du droit public belge; - 2o Si, d'après la loi du pays où la décision a été rendue, elle est passée en force de chose jugée ; -3° Si, d'après la même loi, l'expédition qui en est produite réunit les conditions nécessaires à son authenticité; 4o Si les droits de la défense ont été respectés ; 5o Si le tribunal étranger n'est pas uniquement compétent à raison de la nationalité du demandeur. »

Le tribunal civil de Bruxelles vient de faire, à la date du 10 janvier 1880, une remarquable application de ces principes, en décidant que le jugement, prononçant la séparation de biens entre deux époux, tient au statut personnel, et que, rendu même par un tribunal étranger, il peut, dès lors, être exécuté en Belgique, sans avoir été, au préalable, révisé au fond.

Voici le texte de ce jugement du tribunal civil de Bruxelles, rendu à la date du 10 janvier 1880 et rapporté dans le Droit du vendredi 28 mai 1880 « Attendu que la demanderesse et le défendeur sont Français; - Attendu que, par jugement rendu le 7 août 1879, par défaut, contre le défendeur, la deuxième chambre du tribunal civil de première instance de la Seine a déclaré la demanderesse séparée quant aux biens d'avec son mari, et l'a autorisée à poursuivre la liquidation de ses droits et reprises devant un notaire désigné; Attendu que ce jugement, produit en due forme, visé pour timbre et enregistré à Bruxelles et portant toutes les légalisations requises, constate, sur les conclusions de M. le procureur de la République, que le défendeur défaillant a été dûment appelé; Attendu que ce jugement par défaut a été signifié à domicile, à Paris, et à personne, à Bruxelles; qu'il n'y a pas été fait opposition; qu'il est passé en force de chose jugée et a été exécuté en France; Attendu qu'il est donc établi que la demanderesse a repris, dans sa patrie, la libre administration de ses biens, qu'elle peut disposer de son mobilier et l'aliéner; mais qu'elle ne peut

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aliéner ses immeubles sans le consentement de son époux ou sans être autorisée en justice, à son refus (Code civ., art. 1449); - Attendu que, par exploit du 6 octobre 1879, elle a fait assigner celui-ci, devant ce tribunal, aux fins de voir rendre exécutoire en Belgique le jugement du tribunal de la Seine, du 7 août dernier; Attendu qu'elle conclut en ce sens, qu'elle demande qu'il soit dit par le tribunal que tout l'avoir de leur communauté en Belgique sera liquidé, et qu'il soit nommé un notaire pour procéder à l'inventaire et, au besoin, à la vente des biens; Attendu que cette demande soulève, avant tout, la question de savoir si le jugement étranger dont l'erequatur est demandé, doit être révisé quant au fond, conformément à l'article 10 de la loi du 25 mars 1876; Attendu que l'article 3 § 3, du Code civil dispose que les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Belges même résidant à l'étranger; - Attendu qu'une juste réciprocité fait admettre que les étrangers sont régis, en Belgique, par les lois étrangères qui règlent leur statut personnel, pourvu que ces lois ne blessent point les principes du droit public belge ou de la morale; Attendu que cette réciprocité se fonde non seulement sur les rapports de bon voisinage entre les nations, mais que l'état et la capacité doivent avoir de l'unité et de la stabilité; qu'il ne serait pas conforme à la raison qu'un individu eût un état ou une capacité différente, selon qu'il se trouve dans tel ou tel pays; qu'au reste, les travaux préparatoires du Gode civil démontrent que le législateur a entendu qu'il en fut ainsi, puisque l'article 4 du titre IV du livre préliminaire du projet primitif de ce Code était conçu comme il suit : « La loi oblige indistinctement ceux qui habitent le territoire; l'étranger y est soumis pour les biens qu'il y possède et pour sa personne pendant sa résidence; » et que ces termes généraux ne furent point adoptés; Attendu que les jugements régulièrement rendus, qui ont pour effet d'attribuer ou de modifier un état ou une capacité, doivent être rangés sur la même ligne que les lois; qu'au

cune modification n'a été introduite à cet égard, dans la législation, par l'article 10 de la loi du 25 mars 1876, qui s'occupe seulement de régler la compétence des tribunaux belges, et nullement de déterminer quelles décisions étrangères doivent être soumises à l'examen du juge belge;

Attendu que les biens sont régis par le statut de leur situation, conformément à la seconde règle de l'article 3, § 2, du Code civil;

» Attendu que la jurisprudence et la doctrine admettent que le caractère distinctif du statut personnel est de régler directement, et abstraction faite des biens, la capacité ou l'incapacité générale et absolue des personnes pour contracter; qu'au contraire, le caractère distinctif du statut réel est d'avoir principalement et directement les biens pour objet, abstraction faite de l'état de capacité ou d'incapacité des personnes; » - Attendu qu'il faut, en conséquence, distinguer le cas où le législateur ou le juge a entendu régler ou modifier la capacité d'administrer, d'acquérir, d'aliéner, etc., etc., d'un individu, ce qui entraîne nécessairement certaines conséquences quant aux biens, et celui où il a voulu s'occuper des modes et conditions d'acquisition, d'aliénation, de transmission, de conservation, etc., etc., des biens, ce qui produit également des conséquences diverses relativement à la capacité des personnes; Attendu qu'il a été décidé que le statut matrimonial est personnel; que dès lors, les modifications apportées à ce statut ont le même caractère;

» Attendu que la séparation de biens est « l'exclusion » du mari de l'administration de la dot lorsqu'il a mal » géré, et entraîne la cessation de la communauté; »

» Attendu que le but du législateur a été de prévenir les abus du pouvoir dont le régime de la communauté investiț le mari, en permettant à la femme d'en empêcher la continuation, dès que le désordre des affaires de son conjoint lui enlève la garantie qu'elle a le droit d'en attendre pour exercer ses reprisés, à la dissolution du mariage;

» Attendu que cette mesure porte essentiellement atteinte à la puissance maritale, en privant le mari d'un droit d'administration que lui confère la loi, et auquel il ne peut valablement renoncer, et a pour effet de diminuer sa capacité; Attendu que la conséquence en est également de modifier complètement la capacité de la femme mariée; qu'après la prononciation de la séparation de biens, l'incapacité absolue de celle-ci disparaît pour faire place à une indépendance complète d'administration, sauf en ce qui concerne l'aliénation des immeubles; Attendu que cette mesure n'a pas pour objet direct les biens, puisqu'elle ne modifie pas les conditions ou les formes de l'aliénation des immeubles appartenant à la communauté ou constituant des propres de la femme, et ne s'en occupe qu'au point de vue de la capacité de cette dernière; Que cela est si vrai, que la femme peut poursuivre la séparation de biens lors même qu'elle n'a aucune reprise à exercer, soit qu'elle veuille sauvegarder des droits éventuels, soit qu'elle désire préserver le produit d'un commerce, ou d'une industrie personnelle;

» Attendu qu'il est admis en Belgique, par une jurisprudence constante, que l'incapacité résultant de la faillite d'un étranger, prononcée par les juges de son pays, est de statut personnel, et qu'il est plus d'un point d'analogie entre la faillite et la séparation de biens, sorte de faillite de l'association conjugale; - Qu'il a été admis également, à diverses reprises, que l'incapacité d'un étranger, par l'effet de sa mise sous conseil judiciaire, le suit en Belgique ; Que cependant, dans l'un comme dans l'autre cas, les mesures prises, quoique visant la capacité de l'individu, ont leurs conséquences surtout quant aux biens, ce qui démontre de plus près le bien fondé de la distinction ci-dessus rappelée qui caractérise les deux statuts ;

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» Attendu qu'il n'y a pas d'argument à tirer du droit de souveraineté et de la protection qui est due, en cas de

séparation de biens, aux créanciers belges; Attendu, en effet, que les créanciers ont, aux termes de l'article 873 du Code de procédure civile, un délai d'un an pour former tierce-opposition s'il y a fraude entre les époux, seul cas où ils puissent attaquer le jugement de séparation, puisqu'ils ne peuvent le faire, dans le cas même où la séparation leur serait préjudiciable; Attendu que

leur situation, au reste, n'est pas plus précaire, ni leurs droits plus compromis que dans divers autres cas où la 'capacité de leur débiteur est modifiée, et où l'on ne conteste pas qu'il n'y ait réellement modification du statut personnel de celui-ci;

» Attendu qu'il suit de ces considérations, que le jugement qui a prononcé la séparation de biens entre les époux Chetelat, a modifié le statut personnel de la demanderesse et peut être invoqué par elle en Belgique, où il est appelé à produire certaines conséquences juridiques; Qu'il n'est point pour cela nécessaire que le fond soit examiné de nouveau par le juge belge, qui doit se borner à vérifier si l'article 3, § 1er du Code civil n'est pas violé, c'est-àdire rechercher si les règles du droit public belge et de la morale sont respectées par cette décision;

» Attendu qu'à ce point de vue, il suffit de constater que les deux législations, française et belge, sont les mêmes en matière de séparation de biens, et que toutes les règles et formalités qu'elles tracent ont été observées en France...; Par ces motifs, ouï, en son avis contraire, M. Moreau, juge suppléant faisant fonctions de procureur du roi, et rejetant les conclusions du défendeur, dit que le jugement rendu le 7 août 1879 par le tribunal civil de la Seine, qui a prononcé la séparation des biens entre la dame Chetelat et son mari, peut être exécuté en Belgique, et que l'avoir de leur communauté en ce pays doit être liquidé; nomme le notaire Milcamps pour procéder à l'inventaire et au besoin à la vente des biens; désigne le notaire De Ro pour représenter Chetelat, en cas d'absence ou de refus de procéder aux opérations susdites.»>

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