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nalité d'origine et les chartes de mundeburdium leur conféraient le droit d'invoquer leur loi personnelle. C'est ce qui a permis d'en conclure qu'à défaut de chartes de ce genre les étrangers étaient en fait hors la loi ou tout au moins soumis à un régime arbitraire de pure tolérance.

Lorsque la féodalité fut définitivement constituée à la suite de lentes et successives transformations, la condition des étrangers subit l'influence du nouvel état social, surtout dans le nord et dans le centre de la France. Désormais, chaque seigneurie formant une sorte d'Etat, on considéra comme aubains, non plus seulement les étrangers proprement dits, mais, d'une manière générale, tous ceux qui n'appartenaient pas à cette seigneurie laïque ou ecclésiastique; en outre, les principaux attributs de la souveraineté ayant été reconnus aux seigneurs qui, le plus souvent, s'en étaient spontanément emparés, ceux-ci prétendaient exercer sur les étrangers les droits qui avaient auparavant appartenu au pouvoir royal. Ils en firent le prétexte d'incapacités et de redevances fiscales. Il y eut désormais deux espèces d'étrangers: les étrangers au royaume, qui avaient toujours existé, et les étrangers à la seigneurie, ces derniers en bien plus grand nombre que les premiers, puisqu'on comprenait parmi eux tous ceux qui ne s'étaient pas avoués les hommes du seigneur. L'étranger de l'une ou de l'autre classe devint serf dans deux cas sur trois : s'il n'avouait pas le seigneur du lieu; s'il s'établissait avec le consentement de ce seigneur sur une terre servile. Il ne gardait sa liberté et n'était protégé par la coutume locale qu'au tant qu'il avouait le seigneur, sans accepter en même temps une tenure servile. Dans le Midi toutefois, et sous l'influence manifeste du droit romain, les étrangers furent beaucoup mieux traités et continuèrent fort souvent à échapper à toute allégeance.

Partout la condition des étrangers était sensiblement meilleure dans les villes que dans les campagnes; on s'efforçait de les y attirer dans l'intérêt même du commerce et de l'indus

trie et on leur conférait des avantages appréciables. Souvent l'étranger était dispensé de tout aveu et cependant il gardait sa pleine et entière liberté dans la ville où il pouvait acquérir et transmettre même par succession testamentaire ou ab intestat.

La royauté se montra aussi très favorable aux étrangers, mais en les prenant sous sa protection, elle entendit en même temps les soumettre à son autorité. Dès le règne de Philippe le Bel, elle essaie d'affirmer son droit exclusif sur les successions des aubains comme sur celles des bâtards. Mais cette prétention, soutenue par les légistes, ne triompha définitivement que beaucoup plus tard.

On considérait alors comme Français par naissance tous ceux qui naissaient en France, que ce fût de parents français ou de parents étrangers, et réciproquement on considérait comme étrangers tous ceux qui naissaient hors de France, même de parents français. Il était naturel que le sol et non le sang conférât la nationalité sous le régime de la territorialité des lois que consacrèrent le droit féodal et les coutumes. Toutefois, à partir du xvIe siècle, on commença à trouver rigoureuse la doctrine qui traitait comme aubains ceux qui étaient nés de parents français à l'étranger et on admit que lorsqu'une personne, placée dans cette condition, obtiendrait des lettres de naturalité, elle serait considérée comme ayant été française à partir de sa naissance, ce qui lui permettait d'acquérir les successions qui avaient pu s'ouvrir à son profit avant sa naturalisation. En dernier lieu, on alla plus loin et on déclara Français de plein droit tous ceux qui étaient nés à l'étranger de parents français, pourvu qu'ils eussent conservé l'esprit de retour. En outre. les lettres de naturalité et celles de déclaration de naturalité étaient devenues de plus en plus fréquentes. Les premières faisaient acquérir la qualité de Français aux étrangers, les secondes restituaient cette qualité à ceux qui l'avaient perdue ou à ceux qui avaient eu des ancêtres français.

Il va sans dire qu'il n'était plus question depuis longtemps d'assimiler les étrangers à des serfs et cependant certaines incapacités, fondées sur leur ancien état de servage, se maintinrent au travers des siècles, le plus souvent en se transformant.

Que les aubains fussent incapables de toutes fonctions publiques, politiques, judiciaires, financières, militaires ou autres, on ne saurait s'en étonner, c'est encore le droit actuel de l'Europe. Quant au droit civil, on admit, en vertu de la théorie des statuts, qu'ils étaient régis par leur droit national au point de vue de l'état et de la capacité; mais les coutumes et les ordonnances ne déterminèrent jamais d'une manière précise et complète leur condition civile. On ne pouvait pourtant plus prétendre, comme au moyen âge, que les étrangers n'avaient aucun droit en France, si ce n'est à titre de pure grâce. Ici encore ce fut le droit romain qui inspira le système dominant. On distingua entre les actes qui rentrent dans le jus gentium et sont comme tels communs à toutes les nations et les actes qui appartiennent au jus civile et sont réservés aux nationaux. Les étrangers n'avaient la jouissance et l'exercice que des premiers; seulement, pour un assez grand nombre de cas, on hésitait sur la nature des actes. Dans la pratique on se tirait assez volontiers d'embarras en distinguant, suivant que les actes étaient entre vifs ou à cause de mort, pour permettre les uns aux étrangers et leur défendre les autres; puis on en arriva à dire que les premiers appartenaient au droit des gens et les seconds au droit civil.

En outre, les étrangers étaient soumis à un certain nombre d'incapacités ou de dispositions spéciales. Ainsi les aubains étaient grevés d'un droit de chevage de douze deniers par an à raison de leur résidence en France. En fait, la perception. de ce droit tomba en désuétude comme celle du droit de formariage, mais le roi n'y renonça jamais et il eut même soin, en 1697, de rappeler son existence à la suite de certaines mesures fiscales prises vis-à-vis des étrangers. Ceux-ci furent

aussi toujours soumis à la contrainte par corps, qui resta de droit commun contre eux en matière civile, même après l'ordonnance de 1667, alors que vis-à-vis des Français cette ordonnance avait fait de cette voie d'exécution une mesure exceptionnelle pour les dettes civiles. De même les étrangers demandeurs durent toujours fournir la caution judicatum solvi.

De toutes les incapacités civiles qui frappaient les étrangers, la plus lourde était celle leur interdisant d'acquérir ou de transmettre à cause de mort, par succession ab intestat, testament, legs, donation à cause de mort ou autre acte semblable. Les étrangers ne pouvaient tester que jusqu'à concurrence de cinq sous pour le salut de leur âme, comme autrefois les serfs, ce qui faisait dire avec une certaine raison qu'après avoir vécu libres ils mouraient esclaves. On admit toutefois ensuite un sérieux tempérament à cette rigueur : l'étranger décédé en France put avoir ses enfants pour héritiers à la condition qu'ils fussent Français et légitimes, et le fait devait être assez fréquent, puisqu'à cette époque, on s'en souvient, tous ceux qui naissaient en France, même de parents étrangers, étaient Français. Mais si le défunt étranger ne laissait que des enfants étrangers, ceux-ci n'héritaient pas. Pour le cas où, parmi les enfants, les uns auraient été régnicoles et les autres étrangers, la logique aurait voulu que les premiers fussent admis à la succession, à l'exclusion des seconds. Mais, par esprit d'équité, on décida que tous seraient héritiers; la présence des enfants étrangers ne pouvait pas ici nuire au roi, puisque celle des enfants français suffisait déjà à elle seule pour retirer tout droit au roi sur la succession.

Les incapacités d'acquérir ou de transmettre à cause de mort s'appliquaient seulement aux étrangers établis dans le royaume et ne concernaient pas ceux qui étaient restés dans leur pays ou étaient morts en France, où ils se trouvaient de passage. On finit par reconnaître que cette distinction ne

reposait sur aucun fondement, et on frappa de la même incapacité tous les étrangers, qu'ils fussent ou non fixés en France.

Qu'un étranger fût ou non fixé en France, qu'il y fût ou non décédé, s'il laissait dans le royaume des biens, meubles ou immeubles, et s'il n'avait pas d'héritier, certaines coutumes attribuaient ces biens au seigneur haut justicier. Telles étaient les coutumes de Touraine, Anjou, Maine, Sens, Bourbonnais, qui rattachaient à la haute justice les droits d'aubaine, de bâtardise et de déshérence. D'autres coutumes, comme celles d'Orléans, Poitou, Normandie, Berry, reconnaissaient au roi seul le droit d'aubaine, à l'exclusion des seigneurs. Dans les coutumes muettes, les jurisconsultes éprouvèrent quelques hésitations; mais ils se prononcèrent, dès le xvi siècle, en grande majorité en faveur de la prérogative royale. Il faut croire cependant que cette solution n'était pas encore universellement acceptée au xvir siècle. Colbert proposa, en effet, de rendre une ordonnance qui la consacrait, ce qui aurait été tout à fait inutile si elle n'avait provoqué aucune contestation. Au xvIIIe siècle, on n'éprouvait plus aucune hésitation : la doctrine et la pratique s'accordaient pour attribuer au roi seul le droit d'aubaine. On écartait même le texte des coutumes contraires, en rappelant qu'il était de principe que la coutume ne pouvait jamais porter atteinte à la prérogative royale et que toute disposition contraire à cette prérogative était absolument nulle.

Il ne faudrait pas croire toutefois que le droit d'aubaine procurât de sérieux bénéfices au trésor royal; il était d'usage, en effet, que le roi donnât ces aubaines à ses dignitaires et à ses favoris.

On avait fini par constater que ce droit d'aubaine nuisait sérieusement aux Français il était la cause, de la part des États étrangers, de mesures de rétorsion. Il empêchait aussi nombre d'étrangers de venir s'établir en France. On évitait sans doute ainsi leur concurrence; mais on se privait en

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