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XXI

LOI DU 19 JUILLET 1889,

SUR LES DÉPENSES ORDINAIRES DE L'INSTRUCTION PRIMAIRE PUBLIQUE ET LES TRAITEMENTS DU PERSONNEL DE CE SERVICE (1).

Notice et notes par M. J. BOULLAIRE, docteur en droit, ancien magistrat.

La loi du 16 juin 1881 a établi la gratuité de l'enseignement primaire; la loi du 28 mars 1882 l'a rendu obligatoire; celle du 30 octobre 1886 l'a organisé en réglant les conditions d'établissement et de fonctionnement des écoles publiques et des écoles privées.

La loi du 19 juillet 1889 complète les unes et les autres en établissant la constitution financière de ce grand service. Elle se trouvait primitivement comprise dans le projet de loi organique voté en 1886; la Chambre l'en avait détachée dans sa séance du 16 février 1884.

Le projet de loi fut soumis par le gouvernement à l'examen préalable du Conseil d'État et c'est le texte adopté par lui qui a été proposé à la Chambre par M. Goblet, ministre de l'instruction publique, le 13 mars 1886. La réglementation des dépenses scolaires et des traitements des instituteurs était depuis quelque temps tombée dans un véritable chaos. L'instabilité des budgets, les complications de la comptabilité et de la réglementation amenaient des inégalités et des difficultés inextricables.

Non seulement plus de 30.000 instituteurs n'étaient pas en possession de traitements suffisants, mais le corps tout entier souffrait de l'absence de classement régulier et par conséquent d'avancement normal. Les inégalités les plus choquantes, les variations les plus pénibles étaient

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(1) J. Off., 20 juillet 1889. Rapport au Président de la République. (J. Off. 31 juillet 1889).

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Projet de loi présenté par M. Goblet, ministre de l'instruction publique, à la Chambre des députés le 13 mars 1886. Exposé des motifs (J. Off., Annexes, Chambre 1886, p. 1238). — Rapport par M. Compayré, déposé le 7 juillet 1887 (J. Off. Annexes, Chambre 1887, p. 999). Avis de la Commission du budget, par M. Burdeau, déposé le 27 octobre 1887 (J. Off., Annexes, Chambre 1887, p. 182). Délibération unique, urgence déclarée, les 29 octobre, 7, 8, 10, 12 et 14 novembre 1887.

Projet porté au Sénat par M. Faye, ministre de l'instruction publique, le 15 décembre 1887. Exposé des motifs (J. Off., Annexes, Sénat 1887, p. 51). Rapport par M. Combes, déposé le 22 novembre 1888 (J. Off., Annexes, Sénat 1888, session extraordinaire, p. 170). Discussion unique, urgence déclarée les 4, 5, 8, 11 avril, 3, 7, 14, 17, 18, 20 et 21 juin 1889. Avis de la commission des finances lu par M. Léon Say, le 8 avril 1889.

Nouveau rapport à la Chambre sur les modifications votées par le Sénat, par M. Compayré (J. Off., Annexes, Chambre 1889, p. 1.319). Dernière discussion à la Chambre le 6 juillet 1889.

signalées, et ne pouvaient être corrigées. Car, d'une part, la loi du 19 juillet 1875 avait fixé un taux minimum de traitement insuffisant, et, d'autre part, la loi du 16 juin 1881 avait garanti pour l'avenir aux instituteurs alors en fonctions les traitements dont ils jouissaient lors de sa promulgation, et ces traitements, enflés par l'indemnité scolaire que payaient encore les familles, étaient excessifs dans beaucoup de localités. La moyenne des traitements des instituteurs baissait d'année en année (1) et les communes devaient y suppléer par des suppléments facultatifs. Mais les communes à leur tour se plaignaient de voir varier d'une année à l'autre la charge qui leur incombait, et d'être sans cesse menacées de voir supprimer ou réduire la subvention de l'État.

La loi a eu pour but de remédier à ces graves embarras.

L'instruction primaire a revêtu dans nos lois trois formes différentes : Elle a été d'abord un service rendu aux familles et rétribué par elles; puis, depuis la loi de 1838, elle est devenue l'affaire et la dette des communes. Aujourd'hui elle est un service d'État dont le gouvernement a la charge et la responsabilité (2). La loi nouvelle complète cette dernière organisation. L'instituteur devient absolument un fonctionnaire public. Déjà nommé par le pouvoir central, il sera aussi désormais uniquement, en principe du moins, payé par lui.

Sous la législation précédente le traitement d'un instituteur se composait des éléments suivants :

1° Un traitement fixe de 200 francs payé par la commune ;

2o Un traitement éventuel calculé par tête d'élève et d'après un taux de rétribution scolaire devenu fictif, vestige du temps où les instituteurs étaient payés par les familles à raison du nombre des enfants et des mois de présence;

3o Une allocation complémentaire payée par la commune pour parfaire, s'il y avait lieu, le minimum légal;

4° Une allocation de 100 francs, s'il y avait lieu, pour le brevet supérieur; 5o Une autre allocation de 50 ou de 100 francs pour l'inscription dans le premier ou le second huitième de la liste de mérite;

(1) En 1879, 65.182 instituteurs se partagèrent 72.124.800 fr. soit un traitement moyen de 1.106 fr. En 1885, pour 100.482 instituteurs qui se partagent 101.561.000 fr. la moyenne n'était plus que de 1.010 fr.

(2) Les orateurs de droite ont protesté contre cette théorie qui fait de l'instruction primaire essentiellement une fonction d'État. Ils ont fait observer que ce sont les parents qui ont avant tout le devoir d'élever et d'instruire leurs enfants et que des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, qui constituent l'État, aucun ne comprend la fonction éducatrice. L'État doit seulement exercer sur l'enseignement une haute tutelle sociale, écarter de l'enseignement les indignes et les incapables, et surveiller l'enseignement même libre pour qu'il ne s'écarte pas du respect dû à la morale et aux lois. Il peut aussi mettre à la disposition des familles un enseignement dont il assume la direction, mais il ne doit l'imposer à personne et il doit le mettre en harmonie avec les sentiments et les croyances des familles. (Discours de M. Chesnelong au Sénat, 6 avril 1889.)

6 Si les fonds communaux étaient insuffisants, ce qui était le cas dans 30.000 communes, une allocation supplémentaire du département sur les quatre centimes, qui d'ailleurs était elle-même toujours insuffisante;

7° Une seconde allocation supplémentaire de l'État pour parfaire, en cas d'insuffisance des précédentes ressources, le minimum légal;

8o Dans les communes de quelque importance, un ou plusieurs suppléments facultatifs votés par le conseil municipal, éminemment variables d'une commune à l'autre et d'une année à l'autre.

La nouvelle loi supprime cette complication. Les traitements du personnel du corps enseignant de l'instruction primaire seront payés désormais par l'État seul, qui n'apparaissait jusque-là que pour venir en aide aux communes.

Les dépenses de l'instruction primaire seront réparties de la manière suivante :

:

Aux familles incombent les dépenses qui regardent l'enfant individuellement achat de livres et cahiers, fournitures scolaires. La caisse des écoles est destinée à fournir des secours pour cette dépense aux familles qui peuvent en avoir besoin.

Les communes ont la charge de la partie matérielle du service scolaire : entretien de l'immeuble, qui sera bientôt parlout propriété communale, entretien et renouvellement de tout le mobilier de classe et de tout le matériel d'enseignement à usage collectif. En outre un certain nombre de communes dont le chiffre de la population est élevé doivent payer à l'instituteur une indemnité supplémentaire dite de résidence, représentant l'excédent de dépenses qui lui incombe dans ces localités.

Toute la dépense du personnel reste à la charge de l'État.

Pour payer la part qui lui incombait dans la dépense du personnel, la commune versait le produit de ses quatre centimes dits communaux. Puis, si elle avait des revenus ordinaires, elle subissait un prélèvement qui pouvait aller jusqu'au cinquième du produit de certains de ses revenus. Après quoi, s'il en était besoin, une subvention sur les quatre centimes dits départementaux aidait la commune à combler le déficit. Enfin comme ce subside ne suffisait nulle part, l'État était chargé de parfaire la différence.

Pour soulager les communes, la loi de finances de juillet 1881, sur le vote d'un amendement de M. Sarrien, avait en fait remplacé le prélèvement du cinquième, dans toutes les communes de France, sauf pour cinq villes (Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Lille), par une subvention extraordinaire de l'État qui en 1882 avait été de 15 millions. Mais les nécessités du budget avaient fait diminuer cette subvention d'année en année et les communes étaient menacées, à leur grand déplaisir, de faire emploi de nouveau de l'excédent disponible de leur cinquième pour l'instruction primaire.

Les quatre centimes départementaux et les quatre centimes communaux étaient devenus obligatoires depuis 1881. Ils étaient encore votés

par les conseils généraux et par les conseils municipaux. Mais c'était une formalité vaine. Leur vote était obligatoire et il y aurait été au besoin suppléé d'office.

Ces huit centimes deviennent des centimes d'État, attachés au principal des quatre contributions, et ils disparaissent du nombre des centimes. additionnels. Ils représentent une ressource de 29 millions.

Le prélèvement du cinquième communal disparait également. Il était absolument impopulaire et les communes protestaient contre l'application de la loi du 16 juin 1881 qui avait imaginé cette malheureuse conception.

L'État désormais pourvoira seul aux traitements au moyen des ressources générales du budget de l'instruction publique, accru des huit centimes nouveaux. Les communes acquitteront de même les dépenses du matériel et l'indemnité de résidence au moyen de leurs ressources générales.

La loi nouvelle améliore les émoluments de l'ensemble des instituteurs, en augmentant le tarif du traitement légal et en y ajoutant une indemnité de résidence dans toutes les communes dont la population agglomérée est de mille âmes au moins et dans les chef-lieux de canton, ayant même moins de mille habitants. Toutefois ces améliorations ne seront que progressives, au fur et à mesure des vacances qui se produiront et selon l'importance des crédits annuels votés par le Parlement. Elles devront être complètement réalisées en huit ans.

Le traitement minimum des instituteurs titulaires est fixé à 1.000 francs. Il est de 800 francs pour les stagiaires. Il était antérieurement de 900 francs pour les instituteurs titulaires, 700 francs pour les adjoints et 600 francs pour les adjointes.

La loi de 1881, qui établit la gratuité et supprima par conséquent la rétribution scolaire payée par les parents, assura aux instituteurs en exercice un traitement égal à la moyenne de ce qu'ils avaient reçu dans les trois dernières années. Il en résulta que des instituteurs touchaient des traitements excessifs de 3, 4 et 5.000 francs et que l'avancement et le traitement des nouveaux venus en étaient considérablement amoindris depuis cette époque; le corps enseignant avait été comme immobilisé par cette mesure. Pour remédier à cet état de choses, la loi nouvelle établit cinq classes d'instituteurs et elle permettra dans l'avenir, les extinctions aidant, de récompenser les instituteurs méritants par des augmentations de classe et de traitement.

Les dépenses des écoles normales primaires qui étaient à la charge des départements seront supportées désormais par l'État, comme conséquence naturelle de la suppression des 4 centimes départementaux.

La personnalité civile est accordée à ces établissements (art. 47).

On a beaucoup discuté sur les charges que la loi nouvelle imposera au budget. Le Sénat a essayé de les amoindrir; c'est ainsi qu'il a supprimé l'indemnité de premier établissement de 100 francs qui était attribuée aux

éléves sortant de l'École normale pour entrer dans l'enseignement. Cette indemnité est compensée par une augmentation de traitement. De même le Sénat n'a pas admis l'égalité complète du traitement des instituteurs et des institutrices qui était proposée par la Chambre.

Enfin le Sénat voulut que le projet fût soumis à sa commission des finances, qui, par l'organe de M. Léon Say, fit un rapport à ce sujet à la séance du 8 avril 1889.

La commission concluait à ce que le projet fût restreint à la classification des instituteurs et à une meilleure répartition des crédits.

La dépense supplémentaire à inscrire au budget du fait de l'État peut être évaluée à 10 millions environ. Cette augmentation sera répartie sur huit années et c'est seulement après ce délai que la loi produira tout son effet (art. 52).

Au cours de la discussion, la droite essaya mais en vain, pour atténuer les conséquences financières du projet, de faire rétablir la rétribution scolaire à la charge des familles aisées.

Elle fit observer aussi que l'Etat, en faisant des instituteurs des fonctionnaires publics, eût dû logiquement prendre à sa charge toutes les dépenses de l'instruction primaire, tandis que la loi en laisse une grande part, celles du local et du matériel, à la charge des communes. Les communes aussi paient l'indemnité de résidence qui n'est au fond qu'un supplément de traitement à certains instituteurs, si bien que le traitement lui-même n'est pas en réalité tout entier à la charge de l'État.

Au Sénat, M. Bardoux eût voulu que la loi nouvelle fût l'occasion d'un apaisement dans le sens religieux et il proposa un amendement portant qu'il ne serait plus procédé à aucune laïcisation d'école de filles, sans l'avis conforme du Conseil municipal. Cet amendement fut repoussé (Sénat, 22 juin 1889).

CHAPITRE Ier. Dépenses ordinaires de l'enseignement public.

Art. 1er. Les dépenses ordinaires de l'enseignement primaire public sont à la charge de l'État, des départements et des communes selon les règles édictées par la présente loi.

Art. 2. Sont à la charge de l'État :

1° Les traitements du personnel des écoles élémentaires et des écoles maternelles créées conformément aux articles 13 et 15 de la loi organique du 30 octobre 1886;

2o Les traitements du personnel des écoles primaires supérieures et des écoles manuelles d'apprentissage créées conformément aux articles 13 et 28 de la loi organique;

3o Les suppléments de traitement prévus aux articles 8 et 9; 4o Les traitements du personnel des écoles normales;

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