Page images
PDF
EPUB

devait avoir pour objet principal de restituer le droit de vote et le droit d'éligibilité, à partir du jour de leur mise en liberté, aux individus condamnés pour des faits de l'ordre politique. On entendait par là les crimes et délits politiques proprement dits ainsi que les faits connexes, le délit d'affiliation à l'Association internationale des travailleurs, les délits électoraux, les délits de rébellion, outrages aux agents, violences envers les dépositaires de l'autorité ou de la force publique, et enfin les délits prévus par la loi sur les attroupements. A côté de cette disposition, la proposition en contenait une seconde se référant aux fraudes commerciales prévue par les lois du 27 mars 1851 et du 5 mai 1855 et atténuant les effets des condamnations prononcées en vertu de ces lois en ce qui concerne l'exercice des droits de vote et d'éligibilité.

Une semblable proposition tendait à un remaniement considérable de notre législation en matière électorale, telle qu'elle résulte soit de quelques lois spéciales, soit principalement du décret du 2 février 1852 resté, malgré les changements constitutionnels, la loi organique du droit d'électorat. La commission de la Chambre des députés a écarté purement et simplement toute la partie du projet ayant trait aux crimes et délits de l'ordre politique. Il a paru impossible d'appliquer exactement, en ce qui concerne la privation des droits de vote et d'éligibilité, la distinction déjà difficile à établir au point de vue des principes entre les faits politiques et les faits de droit commun. En effet, dans notre législation, la privation des droits politiques est assez souvent attachée à la nature du délit réprimé; mais il arrive fréquemment qu'elle est l'accessoire de la peine prononcée, et la peine principale, notamment en matière criminelle, peut être applicable indistinctement à des faits des deux catégories. En outre, les condamnés pour affiliation à l'internationale, pour délits électoraux, rébellion, outrages, etc., n'ont pas paru dignes de la faveur que sollicitaient pour eux les auteurs de la loi dont la proposition tendait à restituer l'exercice des droits politiques même aux individus condamnés sous l'empire de la législation antérieure.

Le texte soumis aux délibérations des Chambres s'est ainsi trouvé réduit à la modification des paragraphes de l'article 15 du décret du 2 février 1852, concernant les fraudes commerciales. Aux termes de ces dispositions, la déchéance des droits électoraux était perpétuelle contre les individus condamnés à l'emprisonnement, quelle qu'en fût la durée, pour infraction à l'article 1er de la loi du 27 mars 1851 qui vise la falsi

député, et plusieurs de ses collègues, le 25 janvier 1886. Exposé des motifs, J. Off., juillet 1886, doc. parlem., p. 848, annexe 370. Rapport de M. J. Piou, le 27 mai 1886, J. Off., décembre 1886, doc. parlem., p. 1766, annexe 748. Première délibération, séance du 18 décembre 1888. Deuxième délibération, séance du 27 décembre 1888. Sénat transmission le 27 décembre 1888, J. Off., avril 1889, doc. parlem., p. 411, annexe 246. Rapport de M. Pazat, le 21 janvier 1889, J. Off., annexe no 6. Déclaration d'urgence, le 21 janvier 1889. Discussion et adoption, séance du 24 janvier 1889, déb. parlem., p. 52. La rubrique de la loi, qui répondait au texte de la proposition, n'est plus en harmonie complète avec les dispositions adoptées.

fication, la vente, la mise en vente des denrées alimentaires ou médicamenteuses et la tromperie sur la quantité des choses vendues. Par suite d'une anomalie regrettable, l'article 2 de la même loi, qui a trait à une catégorie de faits plus graves, la falsification de denrées altérées par la mixtion de substances nuisibles à la santé n'emportait ancune incapacité légale. Sur ce second point, la réforme proposée aux Chambres a été admise sans difficulté; mais il n'en a pas été de même de la disposition tendant à exiger un emprisonnement de trois mois au moins pour attacher la déchéance à perpétuité des droits électoraux aux condamnations prononcées en vertu de l'article 1er de la loi de 1851. Tandis que la Chambre des députés n'avait pas hésité à déclarer trop sévères les prescriptions de l'article 15, no 14, du décret de 1852, plusieurs membres du Sénat se sont efforcés de démontrer que les tromperies sur la nature ou la quantité des choses vendues, les falsifications de denrées ou de médicaments ne sauraient être trop rigoureusement réprimées dans l'intérêt des producteurs, des consommateurs, des commerçants honnêtes et aussi dans l'intérêt supérieur de la santé publique. On faisait remarquer, à cet égard, que l'article 1er de la loi de 1851 régit aussi les fraudes en matière de boissons (loi 5 mai 1855) et qu'au moment même où la loi que nous rapportons était en discussion devant le Parlement, une autre loi s'élaborait dans le but de prévenir les falsifications trop nombreuses commises dans la vente des vins (1). M. Barthe demandait que l'incapacité électorale à perpétuité fût au moins maintenue pour les individus condamnés une première fois à l'emprisonnement en vertu de l'article 1er de la loi de 1851 qui encourraient une nouvelle condamnation à l'emprisonnement pour un délit de même nature; mais la disposition additionnelle présentée en ce sens a été repoussée. Le même sort a été réservé à un amendement de M. Le Breton d'après lequel la déchéance aurait été la conséquence nécessaire d'une troisième condamnation encourue pour infraction au même article, sans distinction de peine. Le Sénat a considéré que la gradation établie par le texte admis par la Chambre et la disposition de l'article 4 de la loi de 1851 qui permet aux tribunaux, en cas de nouvelle infraction, d'infliger une peine supérieure à un mois, constituaient des garanties suffisantes contre l'inscription sur les listes électorales des fraudeurs d'habitude réellement indignes d'y figurer. La proposition émanée de la Chambre des députés a finalement été adoptée par 171 voix contre 73. Le système de la loi nouvelle peut se résumer ainsi : 1° Aucune déchéance n'est encourue lorsque l'emprisonnement prononcé par application de l'article 1er de la loi du 27 mars 1851 n'atteint pas un mois; 2o La déchéance est quinquennale lorsque l'emprisonnement s'élève à plus d'un mois; 3o Elle est perpétuelle lorsque l'emprisonnement est de trois mois au moins; 4o Dans le cas prévu par l'article 2 de la loi du 27 mars 1851, la déchéance perpétuelle est toujours encourue, quelle que soit la durée de l'emprisonnement.

(1) V. Annuaire 1888, p. 7; infrà, p. 287.

Article unique.

L'article 15, §§ 4 et 14, et l'article 16 du décret organique du 2 février 1852 sont modifiés de la manière suivante (1):

« Art. 15

§ 4. Ceux qui ont été condamnés à trois mois de « prison par application de l'article 423 du code pénal et de l'ar«ticle 1er de la loi du 27 mars 1851.

« § 14. Les individus condamnés à l'emprisonnement par appli<cation de l'article 2 de la loi du 27 mars 1851.

[ocr errors]

« Art. 16. Les condamnés à plus d'un mois d'emprisonne«<ment pour rébellion, outrages et violences envers les déposi«taires de l'autorité ou de la force publique; pour outrages << publics envers un juré, à raison de ses fonctions, ou envers un « témoin, à raison de sa déposition (2); pour délits prévus par la << loi sur les attroupements, la loi sur les clubs, et l'article 1" de << la loi du 27 mars 1851, et pour infractions à la loi sur le colpor«tage (3), ne pourront pas être inscrits sur la liste électorale «< pendant cinq ans à dater de l'expiration de leur peine. »

(1) Bien que la loi ne le dise pas expressément, les modifications qu'elle a introduites dans la capacité politique régissent même les individus condamnés antérieurement à sa promulgation. C'est la conséquence d'un principe général admis par la jurisprudence, et une circulaire du ministre de l'intérieur, en date du 30 janvier 1889, a pris les mesures nécessaires pour que les condamnés réintégrés dans leurs droits électoraux par l'effet de la loi nouvelle fussent inscrits immédiatement sur les listes électorales.

(2) Les propos offensants proférés publiquement contre un témoin à raison de sa déposition ou rendus publics par un des moyens énoncés dans les articles 23 et 28 de la loi du 29 juillet 1881 sont aujourd'hui réprimés sous la qualification d'injures publiques par les articles 30 et 33 de cette dernière loi (Annuaire 1882, p. 75). Commis contre un juré, le même délit peut, suivant les circonstances, tantôt constituer une injure publique (mêmes articles de la loi de 1881), tantôt constituer un outrage (art. 222, C. pén.). Il est regrettable que la loi du 24 janvier 1889 n'ait pas mis le texte du décret de 1852 en concordance avec la terminologie actuelle il peut y avoir là une source de difficultés d'interprétation.

(3) Les infractions de colportage irrégulier qui, avant 1881, étaient punies correctionnellement, ne sont aujourd'hui passibles que des peines de simple police (Annuaire 1882, p. 72). Voy. cep. art. 42 de la loi de 1881 (ibid. p. 78).

III

LOI DU 25 JANVIER 1889, RELATIVE A L'EXERCICE FINANCIER (1).

Notice par M. Victor MARCE, docteur en droit, auditeur
à la Cour des Comptes.

Que doit-on entendre par exercice financier? Cette question a été agitée dans la discussion de la loi au Sénat et dans les rapports présentés au Parlement à son sujet.

Le mot exercice est employé dans deux sens :

Envisagé à un point de vue rationnel, l'exercice d'un budget est l'ensemble des droits et charges afférents à une année.

Mais on emploie aussi le mot exercice comme synonyme de la période de temps nécessaire pour l'exécution du budget, période nécessairement plus étendue que l'année.

Ce mot a donc deux sens : c'est dans sa première acception qu'il est employé dans l'article 6 du décret du 31 mai 1862 aux termes duquel << sont seuls considérés comme appartenant à un exercice, les services faits et les droits acquis du 1er janvier au 31 décembre de l'année qui lui donne son nom ». C'est dans ce sens qu'on dit qu'un exercice est clos ou périmé; les budgets et les comptes d'un exercice ne sont pas des budgets et des comptes d'une période de dix-neuf à vingt mois.

(1) J. Off. du 26 janvier 1889. Proposition à la Chambre des députés par M. Jametel, le 21 novembre 1885 (J. Off. du 11 mai 1886, no 75, p. 287). Prise en considération le 9 février 1886 (J. Off. du 10). Rapport de M. Georges Cochery, le 26 mars 1887 (J. Off. du 28 septembre, no 1683, p. 645). Première délibération le 24 novembre, adoption sans discussion; deuxième délibération le 10 décembre 1887, adoption sans discussion (J. Off. des 25 et 11 décembre).— Au Sénat, rapport de M. Adolphe Cochery, le 29 octobre 1888 (J.Off. du 5 janvier 1889, no 15, p. 35). Première délibération discussion et adoption, les 5 et 22 novembre 1888 (J. Off. des 6 et 23). Deuxième délibération discussion et adoption avec modifications, le 11 décembre 1888 (J. Off. du 12). Retour à la Chambre, rapport de M. G. Cochery, le 28 décembre 1888 (J. Off. du 26 avril 1889, no 3462, adoption sans discussion le 21 janvier 1889 (J. Off. du 22). —V. sur la proposition de M. Jametel, le discours prononcé par M. Renaud, procureur général à la Cour des Comptes, à l'audience de rentrée du 17 octobre 1887 (Étude sur les rapports publics de la Cour des Comptes), p. 18 et suiv.

La loi du 25 janvier 1889 a trait à des questions de comptabilité publique dont la solution était restée jusqu'ici dans le domaine des décrets. Il existe aujourd'hui une tendance marquée à réclamer l'intervention du Parlement dans l'organisation de la comptabilité publique et du contrôle des finances, organisation qui concourt puissamment à la bonne gestion de la fortune de l'Etat. La France a obéi aux mêmes préoccupations que l'Italie, où une loi du 8 juillet 1883 a résolu d'importantes questions de comptabilité, en autorisant le gouvernement à publier, après avoir pris l'avis de la Cour des Comptes et du Conseil d'Etat, un texte unique de la loi sur l'administration et la compta

C'est dans sa seconde acception que l'article 4 du décret de 1862 emploie le mot exercice quand il dispose que « l'exercice est la période d'exécution des services d'un budget. »>

Le projet de loi primitif contenait une définition de l'exercice qui paraissait réunir les deux points de vue différents et faire entrer dans la définition de l'exercice la notion de durée que M. Léon Say voulait y voir figurer.

Cette définition était empruntée aux travaux de la commission extraparlementaire de revision du décret de 1862.

Aux termes de l'article 5 du projet de décret élaboré par cette commission et de l'article 1er du projet de M. Jametel, « l'exercice comprend les opérations de recettes et de dépenses effectuées, soit pour le recouvrement des produits soit pour l'acquittement des charges d'un même budget pendant la période ouverte pour l'exécution de ses services. »

Cette définition a soulevé des critiques. M. Léon Say lui a reproché de ne pas signifier autre chose que « l'exercice est l'exercice ».

Aussi ledit article a été supprimé pendant la deuxième délibération, à la séance du 11 décembre 1888, sur la proposition de la commission du Sénat. I contenait, disait le rapporteur, une simple définition rendue inutile par les articles suivants. M. Georges Cochery, rapporteur à la Chambre des députés, a déclaré de même que la commission de la Chambre persistait à croire «< qu'on ne peut considérer l'exercice comme une période et que la commission extra-parlementaire avait très sagement abandonné l'idée de durée, pour rendre au mot « exercice » sa véritable signification.

Aussi bien, l'article 1er de la loi de 1889 paraît consacrer cette dernière manière de voir et, en établissant ce que comprend l'exercice, s'abstient de rappeler l'idée de durée que la définition de la commission extraparlementaire paraît y avoir admise. En effet, aux termes de

bilité générale de l'Etat, avec les modifications introduites par la loi de 1883, ou qui en étaient la conséquence. C'est un décret royal qui approuve, par délégation du pouvoir législatif, le texte unique de la loi de comptabilité italienne du 17 février 1884.

En France aussi, comme on l'a fait en Italie, en 1883, c'est le Parlement qui résout, par la loi de 1889, un certain nombre de questions de comptabilité. Le projet, qui est devenu la loi de 1889, émane de l'initiative parlementaire, mais le Parlement s'est fondé, pour une bonne part, sur les travaux de la commission extra-parlementaire de revision du décret du 31 mai 1862 sur la comptabilité publique, créée par le décret du 31 janvier 1878, et composée d'un certain nombre d'administrateurs et de membres de la Cour des Comptes. Cette commission devait élaborer un projet de décret; les articles nouveaux devaient être soumis, soit au vote législatif, soit aux délibérations du Conseil d'Etat, selon qu'ils modifieraient une loi ou un décret rendu en Conseil d'Etat. Au cours de la discussion de la loi de 1889, le ministre des finances a annoncé que les travaux de la commission aboutiraient à un projet de loi. Cette loi de 1889 marque un premier pas dans la voie de l'élaboration d'une loi générale sur la comptabilité publique, loi que M. Léon Say a réclamée au cours de la discussion, et que le ministre des finances s'est engagé à présenter.

« PreviousContinue »