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V

LOI DU 13 FÉVRIER 1889, PORTANT MODIFICATION DE L'ARTICLE 9 DE LA
LOI DU 23 MARS 1855 SUR L'HYPOTHÈQUE LÉGALE DE LA FEMME (1).

Notice et notes par M. Ed. DELALANDE, substitut du procureur
de la République, au Havre.

L'interprétation de l'article 9 de la loi du 23 mars 1855 a soulevé, dans la pratique, une difficulté que la nouvelle loi a eu pour objet de trancher.

D'après l'opinion généralement admise, la publicité prescrite par l'article 9 n'était applicable qu'à la subrogation consentie par la femme à son hypothèque légale, au profit d'un créancier, mais non à la renonciation stipulée par l'acquéreur d'un immeuble appartenant au mari ou à la communauté. Cet acquéreur, en effet, en réclamant la renonciation de la femme, ne poursuit généralement qu'un but l'extinction de l'hypothèque légale, dont était grevé l'immeuble vendu (2).

Cependant, certains jurisconsultes, invoquant la généralité des termes de l'article 9, vinrent à soutenir que tout acquéreur devait non seulement faire transcrire son contrat d'acquisition, mais aussi faire inscrire l'hypothèque légale de la femme et qu'à cette double condition seulement, il pouvait opposer au tiers la renonciation consentie par la femme en sa faveur. Un arrêt de la cour de Lyon du 22 décembre 1863 et un arrêt de la cour de cassation du 29 août 1866, rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour de Lyon ont donné raison à cette théorie (S. 67, 1, 9) (3).

<«< On comprend, dit le rapporteur de la commission du Sénat, les incertitudes, le trouble et les embarras que cette divergence d'opinions entraînait dans la pratique. L'acquéreur bénéficiaire de la renonciation de la femme se borne-t-il à transcrire son contrat? Il peut voir tout à coup surgir une inscription prise en faveur d'une subrogation consentie ultérieurement par la femme. Menacé d'éviction, il soutiendra, il est vrai, qu'en faisant transcrire son contrat, il s'est mis vis-à-vis des tiers, à l'abri des conséquences de toute inscription postérieure du chef de la femme? Mais à quel système s'arrêtera le tribunal devant lequel la contestation sera portée ? C'est pour lui un procès dont l'issue est incertaine.

(1) J. Off., 15 février.

(2) Rapport fait au nom de la commission du Sénat par M. Merlin, p. 7. (3) Exposé des motifs, p. 7. La même tendance à assimiler aux cessions et renonciations de l'article 9, les renonciations faites dans les contrats d'aliénation, se retrouve dans un arrêt de la cour de Lyon du 6 mars 1880, confirmé par la cour de cassation le 29 nov. 1880 (S. 81. 1. 473). V. en outre Douai, 22 décembre 1887 (S. 89, 2, 78). Contrà: Beaune, 28 août 1879 (S. 80, 2, 148. Dijon, 4 août 1880. (S.80, 2, 323). Paris, 9 fév. 1883. Dijon, 6 février 1889 (S. 89, 2, 78).

« Fera-t-il au contraire inscrire sur l'immeuble dont il est devenu propriétaire, l'hypothèque légale à laquelle la femme expressément ou implicitement a renoncé en sa faveur? Il ne pourra payer qu'après avoir accompli les formalités coûteuses de la purge; car l'inscription ne le garantira pas contre une surenchère ou une action en délaissement; et s'il a imprudemment payé son prix avant la purge, cette inscription n'aura d'autre résultat que de le protéger contre la collocation par préférence des créanciers subrogés par la femme après la transcription et qui seraient admis à l'ordre, malgré cette transcription.

<< Or si l'on veut bien remarquer que les frais qu'occasionne la purge la rendent inapplicable dans tous les cas où il s'agit d'immeubles d'une valeur minime, qu'il n'y a pas moins de 800.000 ventes annuellement, dont le prix n'excède pas 200 francs, on pourra se rendre compte des conséquences de la doctrine qui considère comme insuffisante pour révéler aux tiers la renonciation de la femme à son hypothèque légale, la transcription de l'acte de vente, dans lequel elle est contenue. »

Aussi de nombreuses pétitions émanant de notaires appartenant aux diverses régions de la France, furent-elles adressées à la Chambre des députés, pour demander une addition à la loi de 1855. Ces pétitions tendaient à ce qu'il fût expressément déclaré, que la renonciation faite par la femme, au profit de l'acquéreur, à son hypothèque légale, avait pour effet d'éteindre cette hypothèque sur l'immeuble aliéné, « à la seule condition de donner la publicité à cette renonciation par la transcription, ou si la renonciation était faite par acte postérieur, par la mention de la renonciation en marge de la transcription (1).

Un projet de loi fut présenté en ce sens par le ministre de la justice le 26 novembre 1881. Le rapport déposé, le 14 octobre 1884, ne put venir en discussion, avant la clôture de la session (2). Au commencement de la législature suivante, un nouveau projet de loi conçu dans les mêmes termes fut soumis aux délibérations du Parlement. Ce projet, après avoir subi certaines modifications de rédaction, a été adopté successivement par les deux Chambres (3).

Voici très sommairement l'économie de la loi :

I. La renonciation par la femme à son hypothèque légale au profit de l'acquéreur d'un immeuble, a pour effet d'éteindre l'hypothèque en tant qu'elle porte sur cet immeuble. Elle équivaut ainsi à une purge, pourvu que les conditions suivantes soient remplies:

1° L'acte d'aliénation, contenant renonciation, doit être transcrit, ou mention de la renonciation, consentie par acte distinct, doit être faite en marge de la transcription (§ 1or) ;

2o La renonciation n'est valable qu'autant qu'elle est contenue dans un acte authentique (§ 2);

(1) Rapport Bernier, p. 1754.

(2) Exposé des motifs, J. Off. de 1881, p. 1836, ann. no 138. Rapport Bernier, J. Off. 1884, p. 1754, ann. 3113.

(3) Présentation du projet le 26 nov. 1885. Exposé des motifs, J. Off. 1886,

3° La femme doit avoir renoncé expressément à son hypothèque, ou avoir stipulé dans l'acte d'aliénation, comme covenderesse, garante ou caution de son mari: son simple concours à l'acte d'aliénation ne suffit pas (§ 3).

II. La renonciation équivalant à une purge, emporte extinction de l'hypothèque, mais au point de vue du droit de suite seulement la femme conserve son droit de préférence sur le prix. Il en résulte que l'acquéreur ne peut, sans le consentement de la femme, se libérer valablement entre les mains du mari (§ 4).

S'il existe des créanciers hypothécaires postérieurs en rang, le concours ou le consentement donné par la femme à l'acte d'aliénation, contenant quittance totale ou partielle du prix, ou à l'acte ultérieur de quittance, emporte subrogation au profit de l'acquérieur. Cette subrogation ne porte que sur le droit de préférence. Aucune publicité n'est d'ailleurs requise, «< car le contrat intervenu entre la femme et l'acquéreur ne modifie en rien la situation des créanciers inscrits » (§ 5) (1). Enfin la dernière partie du paragraphe 3 se réfère au cas où des subrogations postérieures ont été consenties par la femme sur d'autres immeubles du mari. Ces subrogations seront opposables à l'acquéreur, à moins qu'il n'ait fait inscrire l'hypothèque légale de la femme, ou mentionner la subrogation, en marge de l'inscription préexistante.

ARTICLE UNIQUE. Il sera ajouté à l'article 9 de la loi du 23 mars 1855 une disposition ainsi conçue :

<«< La renonciation par la femme à son hypothèque légale au profit de l'acquéreur d'immeubles grevés de cette hypothèque en emporte l'extinction et vaut purge à partir, soit de la transcription de l'acte d'aliénation, si la renonciation y est contenue, soit de la mention faite en marge de la transcription de l'acte d'aliénation, si la renonciation a été consentie par acte authentique distinct. << Dans tous les cas, cette renonciation n'est valable et ne produit les effets ci-dessus que si elle est contenue dans un acte authentique.

<< En l'absence de stipulation expresse, la renonciation par la femme à son hypothèque légale ne pourra résulter de son con

p. 377, ann. no 106. Rapport Bernier le 27 mars 1886, p. 1303, ann. no 583. 1re délib. 19 av. 1886; 2e délib, 27 mai 1886.

Sénat Présentation 12 juin 1886, J. Off. 1886, p. 233, ann. no 221. Rapport Merlin, 27 janv. 1888 (J. Off.1888, p. 7, ann. no 37). - 1re délib. 6 et 7 février15 mai. Rapport supp. Merlin, 25 mai (J. Off. 1888, p. 314, no 344). Reprise 1re délib. 23 oct. 2o délib. 29 oct. Retour à la Chambre : 10 nov. 1888 (J. Off., 19 mars 1889, p. 515, ann. no 3162. Rapport Bernier, 27 nov. (J. Off. 1889, p. 607, ann. no 3251). 1re délib. 26 janv. 1889; 2o délib. 5 février 1889.

(1) Rapport supplémentaire par M. Merlin.

cours à l'acte d'aliénation que si elle stipule, soit comme covenderesse, soit comme garante ou caution du mari.

« Toutefois, la femme conserve son droit de préférence sur le prix, mais sans pouvoir répéter contre l'acquéreur le prix ou la partie du prix par lui payé de son consentement et sans préjudice du droit des autres créanciers hypothécaires.

« Le concours ou le consentement donné par la femme, soit à un acte d'aliénation contenant quittance totale ou partielle du prix, soit à l'acte ultérieur de quittance totale ou partielle, emporte même, à due concurrence, subrogation à l'hypothèque légale sur l'immeuble vendu, au profit de l'acquérieur, vis-à-vis des créanciers hypothécaires postérieurs en rang; mais cette subrogation ne pourra préjudicier aux tiers qui deviendraient cessionnaires de l'hypothèque légale de la femme sur d'autres immeubles du mari, à moins que l'acquéreur ne se soit conformé aux prescriptions du paragraphe 1er du présent article.

Les dispositions qui précèdent sont applicables à la Guadeloupe, à la Martinique et à la Réunion.

VI

LOI DU 19 FÉVRIER 1889, RELATIVE A LA RESTRICTION DU PRIVILÈGE DU BAILLEUR D'UN FONDS RURAL ET A L'ATTRIBUTION DES INDEMNITÉS DUES PAR SUITE D'ASSURANCES (1).

Notice par M. A. CHAUMAT, docteur en droit, avocat à la Cour d'appel de Paris.

La loi du 19 février 1889 « relative à la restriction du privilège du bailleur d'un fonds rural et à l'attribution des indemnités dues par suite d'assurances » a eu pour point de départ un projet de loi « sur l'organisation du crédit agricole mobilier », présenté au Sénat par le gouvernement le 20 juillet 1882 (2).

Après un premier examen et après s'être mise d'accord avec le gouvernement, la commission du Sénat a apporté au projet de loi d'importantes modifications et elle lui a donné pour titre : « Loi sur le crédit mobilier ».

Aux termes du premier rapport de M. Labiche sénateur, déposé le 31 juillet 1883 (3), les dispositions proposées par la commission étaient groupées en quatre titres, savoir:

(1) J. Off. du 20 février 1889. Cf. Loi belge du 15 avril 1884 sur les prêts agricoles: Annuaire de législation étrangère, 14o année, p. 469.

(2) Sénat, annexes, 1882, p. 471.

(3) Sénat: rapport, annexes, 1883, p. 997.

I. Nantissement sans déplacement du gage (art. 1 à 23).

II. Restriction du privilège du bailleur (art. 24).

III. Subrogation de plein droit des privilèges mobiliers sur les indemnités dues par les compagnies d'assurances (art. 25).

IV. Commercialisation des billets à ordre (art. 26).

Le projet, ainsi arrêté et rapporté, a été, dans les séances des 29 et 30 novembre 1883, l'objet d'une discussion générale qui a porté sur le principe même de l'utilité du crédit pour l'agriculture et plus particulièrement sur le nantissement sans déplacement du gage. L'article 1er qui posait le principe du nantissement sans déplacement ayant été rejeté par assis et levé, les autres dispositions du projet furent renvoyées à l'examen de la commission sur la demande de son président.

La commission pensa qu'il serait utile de faire une nouvelle enquête sur les questions qui avaient été controversées devant le Sénat et elle exprima le désir que la Société nationale d'agriculture fût consultée sur l'utilité du crédit pour les agriculteurs, sur les dispositions propres à le leur procurer et sur l'ensemble du projet proposé au Sénat.

Il résulta de l'enquête que le courant d'opinion qui amenait le législateur à prendre des mesures destinées à faciliter le crédit aux agriculteurs était général. A l'étranger comme en France ces questions étaient à l'étude et, en Belgique notamment, la Chambre des députés adoptait à l'unanimité, à la fin de 1883, un projet qui est devenu la loi du 15 avril 1884 sur les prêts agricoles.

Quant à la Société nationale d'agriculture, elle donna, par une délibération du 1er avril 1885, une adhésion complète, sauf pour quelques détails d'application, aux réformes qui faisaient l'objet du projet de loi soumis aux délibérations du Sénat, notamment en ce qui touchait la commercialisation des billets à ordre souscrits par les agriculteurs et leur assimilation, au point de vue de la compétence, aux effets souscrits par des commerçants. La commission se remit à l'œuvre, elle élimina du projet le titre Ier relatif au nantissement sans déplacement du gage, dont le principe avait été rejeté par le Sénat en 1883, et, le 6 décembre 1887, M. Labiche, sénateur, déposa un rapport supplémentaire (1) tendant à l'acceptation d'un projet de loi ainsi conçu :

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LOI SUR LE CRÉDIT MOBILIER.

Art. 1er. Le privilège accordé au bailleur par l'article 2102 du code civil ne peut être exercé, même quand le bail a acquis date certaine, que pour les fermages ou loyers des deux dernières années échues, de l'année courante, et d'une année à partir de l'expiration de l'année courante, ainsi que pour tout ce qui concerne l'exécution du bail.

La disposition contenue dans le paragraphe précédent ne s'applique pas aux baux ayant acquis date certaine avant la promulgation de la présente loi.

(1) Sénat rapport, annexes, 1887, p. 3.

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