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Art. 2. Tous les privilèges mobiliers s'exercent, dans l'ordre de leur rang, sur les indemnités dues par les compagnies d'assurances contre l'incendie, contre la grêle, contre la mortalité des bestiaux et les autres risques. Néanmoins les payements faits de bonne foi avant opposition sont valables.

Art. 3. Tout billet à ordre, qu'il soit souscrit par des commerçants ou des non-commerçants, pour affaires commerciales, sera réputé acte de commerce, et les tribunaux de commerce connaîtront de toutes les actions en payement contre les signataires de ces billets. Toutefois, la souscription d'un billet à ordre ne suffit pas pour rendre applicables les dispositions du livre III du code de commerce.

La discussion générale allait s'engager dans la séance du 16 janvier 1888, lorsque le ministre de l'agriculture, M. Viette, demanda le renvoi à la commission afin d'en conférer avec elle et de lui faire part des dispositions nouvelles du gouvernement qui trouvait que le projet n'avait pas un caractère assez exclusivement agricole. Le rapporteur, M. Labiche, fit observer que la commission, avant de déposer son projet, avait « eu soin de se mettre d'accord avec la plupart des ministres de l'agriculture qui s'étaient succédé depuis 1883 » et que c'était «< avec l'adhésion de l'honorable M. Barbe que les conclusions du dernier rapport avaient été arrêtées ». Il n'en accepta pas moins au nom de la commission le renvoi demandé par le ministre et ce renvoi fut prononcé.

C'est dans la séance du 31 janvier 1888, que, l'accord s'étant fait entre la commission et le gouvernement, la discussion générale a été engagée sur le projet devenu projet de « loi ayant pour objet de faciliter le crédit agricole ». M. Labiche, après avoir indiqué au Sénat que la commission avait cru devoir, pour se mettre d'accord avec le gouvernement et aussi avec M. le sénateur Pâris, auteur de plusieurs amendements, apporter à son projet quelques modifications sur lesquelles il s'expliquerait plus tard, défendit, dans l'intérêt du crédit nécessaire aux agriculteurs, l'innovation introduite par l'article 3 du projet, de la commercialisation des billets à ordre souscrits par les agriculteurs.

M. Lacombe, sénateur, critiqua le projet comme insuffisant à créer et à organiser sérieusement le crédit dans l'intérêt de l'agriculture, et, s'attachant plus spécialement à la disposition de l'article 3, il fit observer que la commercialisation des billets à ordre souscrits par les agriculteurs serait sans utilité réelle pour ceux-ci, si elle ne devait avoir pour résultat qu'un changement de compétence. Selon lui, il était tout au moins nécessaire, non pas d'aller jusqu'à l'assimilation complète de l'agriculteur au commerçant, c'est-à-dire jusqu'à la faillite, mais d'organiser la déconfiture et la cession de biens de manière à donner aux créanciers des agriculteurs, et sauf certains tempéraments à déterminer, des sûretés et des avantages analogues à ceux qui résultent pour les créanciers des commerçants de la législation sur les faillites.

Après quelques observations de M. Denormandie en faveur du projet, la discussion générale a été close et M. Marcel Barthe, président de la

commission, a pris la parole pour soutenir un contre-projet qu'il avait déposé et dont l'article 1" était ainsi conçu: «Le crédit agricole a pour but de procurer à l'agriculture des bestiaux, machines et instruments aratoires, semences, amendements, engrais et tous autres produits propres à la culture des terres et à en augmenter la production. >>

Ainsi qu'il l'expliquait, M. Marcel Barthe, qui ne partageait pas les vues de la majorité de la commission qu'il présidait, aurait voulu un crédit agricole largement organisé et vraiment capable de rendre aux agriculteurs des services que le projet de la commission, même avec la commercialisation des billets à ordre, n'était pas, selon lui, capable de leur assurer. C'est pour cela qu'il lui semblait tout d'abord nécessaire d'expliquer nettement, dans l'article 1er qu'il proposait d'adopter, le but à atteindre. Après un échange d'observations entre M. le rapporteur Labiche et M. Buffet qui ont combattu l'article 1er du contre-projet de M. Marcel Barthe et M. Oudet qui l'a soutenu, cet article 1er a été repoussé.

L'article 2 du contre-projet de M. Marcel Barthe était ainsi conçu : «Toute caisse, toute banque, toute société, tout établissement de crédit créés par l'initiative individuelle, ayant exclusivement pour but de procurer aux agriculteurs, à l'aide de fournitures en nature ou de prêts en argent, des objets spécifiés à l'article 1er, jouiront des avantages précisés dans la présente loi en se conformant à ses prescriptions. >>

C'était la préface de l'organisation de tout un système de crédit et de banques agricoles qui ne rentraient pas dans l'objet que s'était proposé la commission en formulant son projet. Aussi cet article 2, soutenu par M. Marcel Barthe et combattu par le rapporteur, fut-il rejeté par le Sénat, malgré une double demande de renvoi à la commission formulée par M. Guibourg de Luzinais et M. Bozérian.

A la séance du 2 février 1888, la discussion s'est engagée sur l'article 1er de la commission libellé comme nous l'avons indiqué plus haut, sauf addition des mots «< d'un fonds rural », après le mot bailleur, de la première ligne et la suppression des mots «< ou loyers » après le mot << fermages »>.

M. Marcel Barthe a proposé, pour assurer à la loi son caractère de loi tendant à favoriser le crédit agricole, de libeller ainsi le commencement de l'article : « Le privilège accordé au bailleur d'un fonds rural par l'article 2102 du code civil ne peut être exercé à l'encontre des créanciers pour fournitures et prêts agricoles...... »; mais son amendement a été repoussé après un échange d'observations entre M. Marcel Barthe, M. Oudet, M. Griffe et M. le rapporteur Labiche, d'où il résulte que la restriction du privilège du bailleur profite à tous les créanciers quelle que soit la cause de leur créance, et il faut reconnaître qu'il était bien difficile d'admettre, comme le proposait M. Marcel Barthe, une distinction qui aurait donné lieu dans la pratique, à d'inextricables difficultés.

M. Lacombe ayant proposé d'ajouter à la fin du premier paragraphe, les mots et pour les dommages et intérêts qui pourront lui être alloués

par les tribunaux », l'amendement, accepté par la commission, a été voté par le Sénat et le paragraphe premier a été voté dans son ensemble tel qu'il est libellé dans le texte définitif de la loi rapportée ci-après. Le paragraphe 2 de l'article 1er a été ensuite adopté sans discussion, également tel qu'il est demeuré dans le texte définitif.

M. Marcel Barthe a proposé l'adoption d'un paragraphe additionnel ainsi conçu : « Le bailleur qui, en vertu de l'article 2102 du code civil, a un privilège sur tout ce qui garnit les immeubles affermés, ne pourra pas l'exercer au détriment des susdits prêteurs, sur les objets par eux fournis, encore existants en nature, si les autres biens du preneur suffisent pour le désintéresser ».

Mais M. Labiche ayant fait observer que cette disposition était inutile en présence des termes du paragraphe 4 de l'article 2102 du code civil qui tranche la question, l'amendement a été retiré.

Enfin, M. Griffe qui avait proposé un amendement tendant à faire payer par préférence au propriétaire les sommes dues pour engrais, semences, frais de récolte, achat ou réparation d'instruments, achat d'animaux ou de bestiaux attachés à l'exploitation, a retiré son amendement en se réservant de le représenter entre la première et la deuxième délibération, et l'article 1er a été définitivement voté dans son ensemble. Depuis le dépôt du rapport de la commission dans la séance du 6 décembre 1887, l'article 2, dont nous avons donné le texte, avait été libellé ainsi, et tel d'ailleurs qu'il a été définitivement adopté : « Les indemnités dues par les compagnies d'assurances contre l'incendie, contre la grêle, contre la mortalité des bestiaux et les autres risques, sont attribuées, sans qu'il y ait besoin de délégation expresse, aux créanciers privilégiés et hypothécaires suivant leur rang. Néanmoins les payements faits de bonne foi avant opposition sont valables. »

M. Lenoel ayant élevé, tout en approuvant le principe de l'article, certaines critiques contre des dispositions qu'il trouvait incomplètes et qui, selon lui, auraient été mieux à leur place à la suite de l'article 1251 du code civil sur la subrogation, l'article a été renvoyé à l'examen de la commission et le Sénat a passé à la discussion de l'article 3 relatif à la commercialisation des effets de commerce.

Cet article a été l'objet de plusieurs amendements et d'une discussion très longue, tant dans la séance du 2 février que dans celle du 3 février, mais, comme il n'est rien resté des dispositions de l'article dans le texte définitif de la loi, il nous semble inutile d'entrer dans l'examen de cette discussion d'ailleurs souvent confuse. Indiquons seulement que M. Marcel Barthe ayant fait voter un amendement qui entraînait implicitement la suppression de l'article, le Sénat, avant de prendre une décision définitive, a renvoyé, dans la séance du 3 février 1888, le projet de loi tout entier à l'examen de la commission «< pour qu'elle essayât, ainsi que le disait M. le président du Sénat, de coordonner les diverses décisions qui avaient été rendues ».

Dans la séance du 10 février 1888, M. Labiche, rapporteur, ayant,

après examen de la commission, demandé le rejet des propositions faites par M. Lenoel sur l'article 2, celui-ci les a retirées et l'article 2 a été voté en première délibération dans les termes que nous avons indiqués. Quant à l'article 3, il a été retiré du projet par la commission d'accord avec le gouvernement, sous réserve de le reprendre en deuxième délibération, et c'est ainsi que s'est terminée la première délibération par le vote des articles 1 et 2 qui n'ont plus subi ensuite aucune modification, sauf en ce qui touche l'article 2 dans lequel les mots «< indemnités dues par les compagnies d'assurances » ont été remplacés par les mots «< indemnités dues par suite d'assurances ».

La deuxième délibération a commencé dans la séance du 23 février sur le projet précédé de la mention: « Nouvelle rédaction proposée par la commission, d'accord avec le gouvernement. » A propos de l'article 1er M. Oudet est rentré dans la discussion générale et il a fait la critique du projet de loi dans son ensemble en présentant comme dangereuses pour les agriculteurs eux-mêmes, et principalement pour les petits cultivateurs et fermiers, les trop grandes facilités qui leur seraient offertes pour emprunter de l'argent et les innovations créées par le projet de loi. Pour lui, c'est dans l'organisation des sociétés d'agriculture et la création des syndicats qu'est la véritable pratique du crédit agricole et que devrait être cherché le remède aux souffrances de l'agriculture. Après une réponse de M. Labiche, qui a ramené la discussion sur son véritable terrain, celui de la restriction du privilège du bailleur, et après quelques observations en sens contraire de M. Lucien Brun, l'article 1er a été voté par 167 voix contre 68. L'article 2 a été voté ensuite par 165 voix contre 79 avec la petite modification que nous avons signalée plus haut en ce qui touche les mots « par les compagnies d'assurances » remplacés par l'expression plus générale « par suite d'assurances ».

Dans la séance du 6 mars 1888, M. Lacombe, d'accord avec la commission, a proposé l'adoption de deux articles additionnels qui sont devenus textuellement et sauf une légère modification que nous allons signaler, les articles 3 et 4 de la loi. Aussi nous dispensons-nous de rapporter ici le texte de ces dispositions additionnelles qui ferait double emploi avec le texte des articles 3 et 4 de la loi. Quant à la modification apportée elle a consisté à remplacer les mots « dans les six mois qui suivront » qui se trouvaient à la fin du second article additionnel par les mots «< dans le mois qui suivra » qui termine l'article 4 et dernier de la loi.

En ce qui touche le premier des deux articles devenu l'article 3 de la loi, M. Lacombe a justifié l'adoption de sa proposition en expliquant qu'elle était un complément logique et nécessaire de l'article 2. Puisque le Sénat avait posé, dans cet article, le principe de l'attribution aux créanciers privilégiés ou hypothécaires des indemnités d'assurances, il était naturel de décider dans le premier paragraphe de l'article 3 que le principe s'appliquerait aussi bien aux indemnités dues par des locataires qu'à celles qui pourraient incomber aux compagnies d'assurances, visées dans l'article 2. Même observation sur le paragraphe 2 du même article

pour le cas d'assurance par un locataire du risque locatif ou du recours du voisin. Dans l'état de la législation antérieure et d'après les principes généraux du droit civil, l'indemnité payée au locataire pour risques locatifs ou recours du voisin, par la compagnie d'assurances à laquelle il était assuré, tombait dans le patrimoine du locataire assuré et devenait le gage de tous ses créanciers, tandis que le propriétaire ou ses ayants cause pouvaient être gravement atteints par le sinistre occasionné par le locataire assuré. La disposition du paragraphe 2 de l'article 3 avait pour objet de faire attribuer l'indemnité à ceux à qui elle devait logiquement appartenir en vertu du principe général posé dans l'article 2.

Ce nouvel article 3 étant accepté par la commission, la discussion n'a pas été longue. Son adoption n'a été combattue que par M. Oudet qui a rappelé que cet article, ainsi d'ailleurs que l'article 2, introduisait, dans le droit civil des dispositions nouvelles et de droit commun; que, par suite, ces dispositions n'étaient pas à leur place dans une loi spéciale faite exclusivement en vue de faciliter le crédit agricole. Après ces observations, l'article a été adopté.

Quant au nouvel article 4, d'un caractère purement transitoire, il a été également adopté sans débat sérieux et sans autre modification que celle relative au délai dans lequel la notification du transport devrait être faite.

Il restait à discuter une disposition grave, la disposition de l'ancien article 3 relatif à la commercialisation des billets à ordre souscrits par des agriculteurs. C'était, en effet, une question touchant directement au crédit agricole, quel que soit d'ailleurs le sentiment que l'on puisse avoir sur son efficacité ou sur son opportunité.

La discussion a commencé par l'examen d'un amendement proposé par M. Foucher de Careil, accepté par la commission et le gouvernement, et, aux termes duquel l'ancien article 3 du projet de la commission était ainsi modifié et libellé : « Les tribunaux de commerce connaîtront de toutes les actions en payement contre les signataires des billets à ordre énonçant une cause agricole. Toutefois, la souscription d'un billet à ordre énonçant une cause agricole ne peut donner lieu à l'application des dispositions du livre Il du code de commerce sur les faillites et les banqueroutes et celles de la loi du 12 février 1886 sur le taux de l'intérêt en matière commerciale. >>

Le nouveau texte, soutenu aussi par M. le rapporteur Labiche, a été combattu par M. Marcel Barthe qui a proposé un autre amendement à l'ancienne rédaction de l'article 3. M. Trarieux a combattu les deux dispositions et le principe même de l'article en signalant à la fois le danger et l'inutilité de la commercialisation des billets souscrits par les agriculteurs, et le texte proposé par M. Foucher de Careil, d'accord avec la commission et le gouvernement, a été rejeté au scrutin par 211 voix contre 50. Le Sénat marquait ainsi sa volonté de ne pas entrer dans la voie de la dérogation aux règles ordinaires de la compétence; M. Marcel

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