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tenant pour le duc d'Augustenbourg, conformément aux déclarations communes, la Prusse s'en référant aux syndics de la couronne avec l'intention, enfin évidente, de s'approprier les duchés. On était sur le point d'en venir aux hostilités, lorsque intervint la convention de Gastein (14 août 1865), qui ne pouvait être qu'un répit avant la guerre. Par cette convention, l'Autriche garde provisoirement le Holstein, où elle ne peut accéder qu'en traversant toute l'épaisseur de la Prusse; la Prusse garde le Sleswig, dont elle est séparée par le Holstein. Le Holstein, pour l'Autriche, est un dépôt. Le Sleswig, pour la Prusse, est une conquête. Elle l'a entendu ainsi dès l'origine, sans l'avouer elle le déclare à présent, en s'appuyant sur le jugement des syndics de la couronne, qui ont prononcé la nullité des droits du duc d'Augustenbourg. En vertu de cette sentence, que la Prusse veut imposer à tout le monde, le traité de 1852 était excellent, et les duchés sont la propriété légitime du roi de Danemark. Mais au lieu de dire: « Je lui ai fait la guerre injustement, je lui restitue son bien, et j'y ajoute même des dommages-intérêts pour l'indemniser des pertes de toute nature que je lui ai occasionnées », elle soutient qu'ayant conquis les duchés sur le véritable propriétaire, et traité depuis la guerre avec le vaincu, elle est régulièrement substituée à ses droits. En conséquence, elle punit avec la dernière rigueur toute manifestation en faveur du duc d'Augustenbourg et de l'indépendance des duchés. Elle trouve dans cette politique, outre l'avantage de s'étendre, celui de faire une guerre où elle espère fermement l'emporter, grâce à l'appui de l'Italie, qui s'engage à entrer dans la

Vénétie dès que les hostilités seront commencées, et à diviser ainsi l'armée autrichienne. Si la Prusse, grâce à la coopération de l'Italie, met en déroute son ennemi séculaire, elle n'a plus de rivale en Allemagne, et devient, par son action désormais sans contre-poids sur la Confédération germanique, la puissance prépondérante de l'Europe. La France, par une conséquence nécessaire de ce prodigieux accroissement de la Prusse, descend du premier rang au second. Cependant le gouvernement impérial, abandonnant l'Autriche après avoir abandonné le Danemark, se déclare indifférent à ce qui va se passer. La Prusse ne lui en demandait pas davantage. Voici les paroles prononcées par l'empereur Napoléon III dans le discours de la couronne :

a A l'égard de l'Allemagne, mon intention est de continuer à observer une politique de neutralité qui, sans nous empêcher parfois de nous affliger ou de nous réjouir, nous laisse cependant étrangers à des questions où nos intérêts ne sont pas directement engagés. »

Telle était la situation en mai 1866, au moment où la discussion sur les affaires générales s'engage au sein du Corps législatif, à propos d'un appel de 100,000 hommes. C'est la veille de Sadowa.

II

L'Empire laisse égorger l'Autriche.

M. Rouher, ministre d'État, ouvrit la discussion en insistant de nouveau sur les déclarations de l'Empereur. « Nos efforts en faveur du maintien de la paix n'ont eu pour limites que la ferme volonté de ne faire contracter à la France aucune obligation (Très-bien! très-bien !) et de maintenir sa liberté d'action vis-à-vis des puissances engagées. Dans ces questions, qui n'affectent, après tout, ni l'honneur, ni la dignité, ni les intérêts directs de notre pays, n'était-il pas du devoir du gouvernement de l'Empereur, après avoir proclamé hautement ses tendances pacifiques, de respecter et de pratiquer les règles d'une neutralité loyale et sincère, et par conséquent, de demeurer, en face d'événements compliqués, libre de ses déterminations? »>

«1 C'est tout ce qu'on nous demande en Allemagne,

répondit M. Thiers. Ce qu'on nous demande en Allemagne, non pas du côté des petits États, mais du côté que j'appellerai le côté dangereux, le côté ambitieux, c'est tout simplement l'indifférence de la France. Or, Messieurs, ajoutait-il, c'est cette indifférence que je crains. >>

On savait en Prusse (une lettre de M. Benedetti, notre ambassadeur à Berlin, en date du 8 juin 1866, en fait foi) qu'il suffisait d'une simple manifestation de nos sympathies pour entraver les progrès de M. de Bismark et mettre l'Autriche en situation d'infliger à la Prusse la plus cruelle des humiliations.

Cela paraissait si évident qu'à Berlin on n'avait pas osé compter sur notre indifférence, et qu'on en était aussi surpris que charmé.

<< Notre attitude aux conférences de Londres et notre réserve durant la guerre contre le Danemark, dit M. Benedetti dans la lettre dont je parle et qu'il adressait de Berlin à M. Drouyn de Lhuys, ont considérablement atténué l'acrimonie des préventions dont la France était l'objet en Prusse. Nos adversaires les plus exaltés ont été contraints d'avouer que nous avions montré pour l'Allemagne, en nous abstenant de profiter de ses embarras ou de lui créer de faciles difficultés, des sentiments qu'on était loin de nous supposer. »

En réalité, personne n'était dupe de ces sentiments. M. de Bismark attribuait notre abstention, dans un moment où nous pouvions l'arrêter court sans tirer l'épée, soit à l'inintelligence de nos hommes politiques, soit au désir d'obtenir pour nous-mêmes des agrandissements de territoire en compensation de ceux que nous

lui laisserions prendre. Il profitait de notre faute, se promettant bien, quand la Prusse, grâce à notre aveuglement, serait devenue plus forte que nous, de tourner cette force contre la France, au lieu de nous permettre, comme nous l'espérions, de nous fortifier à notre tour. Assurément, les avertissements ne manquèrent ni au' gouvernement ni au Corps législatif.

Un jour peut-être, disait M. Jules Favre, la Prusse sera appelée, non pas seulement dans les conseils, mais sur les champs de bataille, à devenir notre rivale. Il peut arriver qu'un jour elle ait sous la main 800,000 hommes à nous opposer. (M. DE GEIGER: Ce ne sera pas de sitót!) Souffrir sans s'y opposer son téméraire agrandissement, ce serait une faute énorme que la France ne doit pas commettre. >>

M. Thiers, à cette époque, sans prévoir encore toutes les folies qui allaient suivre cette première faute, lisait l'avenir comme dans un livre ouvert. Voici les paroles prononcées par lui dans la séance du 3 mai :

« Si la guerre est heureuse à la Prusse, elle s'emparera de quelques-uns des États allemands du Nord, et ceux dont elle ne s'emparera pas, elle les placera dans une diète qui sera sous son influence. (VOIX NOMBREUSES: C'est cela!) Elle aura donc une partie des Allemands sous son autorité directe et l'autre sous son autorité indirecte; et puis, on admettra l'Autriche comme protégée dans ce nouvel ordre de choses.

» Et alors, permettez-moi de vous le dire, on verra refaire un grand empire germanique, cet empire de Charles-Quint, qui résidait autrefois à Vienne, qui résiderait maintenant à Berlin, qui serait bien près de

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