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X

La lutte dans les départements.

Le mouvement fut assez vif dans les départements. Les républicains ne s'y divisèrent pas comme à Paris; ils comprirent tous sur-le-champ que, si le coup d'État réussissait, c'en était fait de la République. Presque partout on compta qu'à Paris la résistance l'emporterait; les soulèvements qui eurent lieu n'ont pas d'autre cause. La plupart furent réprimés par la force; tous cessèrent quand la défaite de la résistance à Paris fut connue. Chose étrange : les grandes villes furent un moment agitées, mais sans tentatives d'insurrection sérieuse; ce furent les villes moins importantes et les campagnes qui se soulevèrent. Ainsi dans le Sud-Ouest, Marmande, Auch résistèrent plus que Bordeaux et Toulouse; au Sud-Est, Lyon et Marseille furent contenus, tandis que la Drôme, l'Hérault, le Var, les Basses-Alpes étaient le théâtre d'insurrections formidables. Peut-être faut-il at

tribuer ce résultat aux précautions prises à l'avance. dans les grandes villes, aux forces supérieures dont disposaient les préfets; peut-être aussi y connut-on plus tôt ce qui se passait à Paris.

Dans plusieurs départements, des bandes de trois mille et de six mille hommes parcoururent le pays, s'emparèrent des préfectures et des casernes, engagèrent des luttes meurtrières avec la troupe. Quelques excès, en très-petit nombre, quelques attentats odieux furent commis par les insurgés, plutôt contre les personnes, par vengeance, que contre les propriétés.

Les journaux qui défendaient le coup d'État grossirent démesurément certains faits, en inventèrent d'autres, et répandirent partout le bruit que les paysans brûlaient les châteaux, massacraient les riches, pillaient les villes; en un mot, que les départements étaient livrés aux horreurs d'une nouvelle jacquerie. Pendant qu'on effrayait la France de ces récits, on lui disait aussi que Paris aurait été la proie des communistes au 2 Décembre, si le président, qu'on appelait le Sauveur de la société, n'avait déjoué leurs projets par une courageuse initiative. On donnait aux combattants des rues de Paris, pendant les trois journées, la qualification de communistes, quoiqu'il fût constant que les socialistes s'étaient abstenus et qu'on n'avait eu affaire qu'à une poignée de bourgeois républicains. La Jacquerie des départements n'était pas plus véritable que le communisme de Paris; mais on eut besoin de ce double mensonge pour expliquer l'attentat d'abord, et ensuite le régime de terreur auquel on soumit le pays. On affirme que, dans la plupart des cas, les soldats tirè

rent les premiers. Est-ce vrai? est-ce faux? Il est bien difficile de saisir la vérité au milieu des assertions les plus contradictoires. Je suis presque d'avis que cela est indifférent. On ne saurait se dissimuler que ceux qui se révoltent ont l'intention de se battre, et que ceux qui marchent contre les révoltés sont dans la nécessité de recourir à la force si on n'écoute pas leurs exhortations ou si on n'obéit pas à leurs sommations. Ce qui est criminel, c'est la cause, ou l'excès. Dans la courte guerre civile qui suivit le 2 Décembre, ceux qu'on appelait les révoltés étaient en réalité les défenseurs de la Constitution. Ils avaient le droit et la loi pour eux. Ils furent traités presque partout avec barbarie. Le ministre de l'intérieur affectait de défendre non le coup d'État, mais la société elle-même, attaquée, disait-il, dans ses bases fondamentales; et cette situation lui permettait d'écrire aux généraux des ordres tels que celui-ci : « Les bandes qui apportent le pillage, le viol et l'incendie se trouvent hors des lois. Avec elles on ne parlemente pas, on ne fait pas de sommations; on les attaque et on les disperse. Tout ce qui résiste doit être fusillé, au nom de la société en légitime défense. » Le ministre de la guerre Saint-Arnaud donnait de son côté des instructions qui n'étaient pas plus tendres. Il prescrivait de fusiller non-seulement les individus pris les armes à la main, mais «< quiconque essaierait de fuir en présence de la force armée. » Le général Rostolan, qui commandait dans l'Hérault, fit exécuter cette dernière prescription; il s'en vante dans une proclamation: « Déjà quelques-uns de vos compagnons ont été frappés de mort pour avoir désobéi aux sommations qui leur ont été

faites de se rendre. » On fusilla un certain nombre d'insurgés pris les armes à la main, des fuyards, des prisonniers. Martin Bidauré, fusillé, laissé pour mort, parvint à se cacher, à se guérir; on le reprit, on le fusilla une seconde fois. Parmi les prisonniers qu'on fusillait de sang-froid, plusieurs heures ou plusieurs jours après l'action, on en cite quatre qui furent fusillés dans leurs fers le plus jeune, nommé Justin Gayol, n'avait que dix-sept ans. Il fut constaté ensuite qu'on l'avait arrêté par méprise.

Les arrestations s'élevèrent à des chiffres presque fabuleux mille cinq cent dans la Nièvre, deux mille dans le Gers, trois mille dans l'Hérault... Un commissaire général, M. Carlier, décréta que quiconque donnerait sciemment asile à un réfugié serait réputé complice et traité comme tel et le général Eynard, commandant de l'état de siége dans l'Allier, mit les biens des inculpés sous séquestre.

Ces arrêtés de deux proconsuls furent étendus à toute la France et considérés comme des lois; on cite un jugement rendu à Lyon par un conseil de guerre, le 30 décembre 1851, qui condamne un garde champêtre, nommé Astier, à vingt ans de travaux forcés pour avoir donné asile à des insurgés en fuite.

ΧΙ

Le plébiscite.

La révolution faite, le président la fit confirmer par un plébiscite. Il en promulgua la formule le 3 décembre : « Le peuple français veut le maintien de l'autorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour faire une Constitution, sur les bases proposées dans sa proclamation du 2 décembre. » Voici le résultat du vote; il y eut 7,439,216 oui, contro 640,737 non et quelques milliers de voix perdues. Le président se déclara absous. Qui oserait dire que l'Assemblée aurait eu moins de votes d'absolution si, commettant un attentat et violant la Constitution, elle avait emprisonné le président et saisi le pouvoir? Et qui put croire alors, qui croit aujourd'hui que la cinquième, la dixième partie de ceux qui votèrent oui fussent bonapartistes?

Plusieurs des départements où la résistance avait été la plus vive se signalèrent par des votes très-favorables

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