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TROISIÈME PARTIE

APPLICATION DE LA NEUTRALITÉ PERPÉTUELLE

AUX FRACTIONS D'ÉTATS

CHAPITRE PREMIER

HISTORIQUE

La neutralité perpétuelle locale apparaît dans l'histoire diplomatique en même temps que la neutralité perpétuelle des Etats. C'est en effet au Congrès de 1815, qui neutralisa la République de Cracovie et la Confédération suisse, que l'on doit aussi la neutralisation partielle du royaume de Sardaigne, c'est-à-dire la neutralisation de la Savoie septentrionale.

Les exemples de provinces neutres ne sont, d'ailleurs, pas nombreux. Aussi verrons-nous que, depuis la neutralisation de la Savoie du Nord, on n'a plus neutralisé que les îles Ioniennes; et encore cette dernière neutralité a-t-elle été réduite presque aussitôt à l'île de Corfou. Etudions successivement ces deux exemples de provinces neutres.

Neutralité de la Savoie

I. Le Congrès de Vienne avait tenu à éloigner la France de ses limites naturelles à la constitution du royaume des Pays-Bas était donc venue s'ajouter la restitution d'une partie de la Savoie au royaume de Sardaigne. Mais les diplomates sardes trouvèrent que ce n'était pas là une précaution suffisante contre un retour possible des Français en Italie; et, sur leur demande, le Congrès neutralisa le nord de la Savoie sarde.

L'article 92 de l'Acte final est ainsi conçu :

« Les provinces de Chablais et de Faucigny, et tout le territoire de la Savoie au nord d'Ugine, appartenant à Sa Majesté le roi de Sardaigne, feront partie de la neutralité de la Suisse, telle qu'elle est reconnue et garantie par les puissances.

«En conséquence, toutes les fois que les puissances voisines de la Suisse se trouveront en état d'hostilité ouverte ou imminente, les troupes de S. M. le roi de Sardaigne qui pourraient se trouver dans ces provinces se retireront, et pourront, à cet effet, passer par le Valais, si cela devient nécessaire. Aucunes autres troupes armées d'aucune autre puissance ne pourront traverser ni stationner dans les provinces et territoires susdits, sauf celles que la Confédération suisse jugerait à propos d'y placer. Bien entendu que cet état de choses ne gêne en rien l'administration de ces pays, où les agents civils de S. M. le roi de Sardaigne pourront employer la garde municipale pour le maintien du bon ordre »>;

Quelles étaient les limites du territoire ainsi neutralisé? Le traité de Paris du 30 mai 1814 avait ramené la France à ses limites du 1er janvier 1792, en lui laissant toutefois quelques petits territoires situés au delà de cette frontière. C'est ainsi que la Savoie, réunie à la France par la première République, ne fut pas restituée en entier au roi de Sardaigne. L'article 3 du traité de 1814 la partagea entre la France et ce monarque.

Pour bien comprendre ce partage, il faut se rappeler que la Savoie, après avoir formé sous la République un seul département, celui du Mont-Blanc, avait été répartie par le premier Empire entre le département du Mont-Blanc et celui du Léman. Napoléon Ier avait distrait du Mont-Blanc le Chablais, le Faucigny et une partie du Genevois (c'està-dire les arrondissements actuels de Thonon et de Bonneville et une partie de celui de Saint-Julien), et, en les réunissant au territoire de l'ancienne République de Genève, il en avait formé le département du Léman. Le reste de la Savoie continuait à former le département du Mont-Blanc, avec Chambéry pour chef-lieu et Annecy comme ville principale.

Or, l'article 3 du traité de 1814 s'exprime ainsi :

« La France reprend ses limites du 1er janvier 1792, sauf les modifications suivantes :

8o Dans le département du Mont-Blanc, la France acquiert la sous-préfecture de Chambéry (excepté les cantons de l'Hôpital, la Rochette, Saint-Pierre d'Albigny, Montmélian), et la sous-préfecture d'Annecy (sauf la partie du canton de Faverges située à l'est d'une ligne qui passe

entre Ourechaise et Marlens du côté de la France, et Ugine et Marthod de l'autre) » (1).

Et l'acte final du 9 juin 1815 adopte le tracé de la frontière française, tel qu'il a été fait par le traité du 30 mai 1814.

Ainsi l'acte final, en ramenant la France à sa frontière de 1792, rend la ville de Genève à elle-même et le Léman savoisien (Chablais, Faucigny, etc.) au roi de Sardaigne. La France garde dans l'ex-département du Mont-Blanc un territoire comprenant la plus grande partie des arrondissements actuels de Chambéry et d'Annecy, avec ces deux villes, et partie de l'arrondissement actuel de Saint-Julien ; tout le reste de la Savoie est redevenu sarde.

L'article 92 du même acte final, déclarant ne neutraliser que le Chablais, le Faucigny et le territoire de la Savoie au nord d'Ugine appartenant à Sa Majesté le roi de Sardaigne, ne neutralise, par conséquent, en dehors du Chablais (Thonon) et du Faucigny (Bonneville) que les quelques villages situés au nord d'Ugine et à l'est de la frontière française. Le reste de la Savoie sarde et toute la Savoie française échappent à la neutralisation.

Mais, après la bataille de Waterloo, les alliés imposèrent à la France des conditions plus dures; et le second traité de Paris (20 novembre 1815) déclara que la limite aux Alpes serait celle du 1er janvier 1792, restituant ainsi toute la Savoie au roi de Sardaigne.

(1) V. la carte annexée au 2e vol. de l'ouvrage d'ANGEBERG, Le Congrès de Vienne.

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