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garantir ce statu quo ce serait mettre dans un état d'infériorité la puissance garantie, qui ne peut déjà pas, à moins d'être attaquée, prendre l'offensive par la province neutralisée, et qui serait alors grevée d'une servitude sans compensation aucune, surtout si à cette servitude s'ajoute comme à Corfou une servitude de non-fortification.

Le traité de 1815 a donc eu pour effet de garantir la possession de la Savoie du Nord à la Sardaigne; et c'est pourquoi l'article 2 du traité de 1860 a exigé le consentement des puissances garantes lors de la cession de la Savoie à la France, à laquelle le maintien du statu quo territorial dans la Savoie septentrionale se trouve ainsi garanti.

Le traité de 1864 ne garantit, il est vrai, que d'une manière restreinte la possession de Corfou à la Grèce; mais il a soin précisément de formuler cette restriction (1).

Enfin, la neutralisation perpétuelle devant toujours être une mesure prise dans l'intérêt de l'Etat garanti et des garants et non au préjudice de l'un d'eux, l'Etat, dont une province est neutralisée, devra donner son consentement à la neutralisation et traiter avec les garants sur un pied de complète égalité. Ce principe a toujours été observé; la Grèce, en 1864, a été appelée à ratifier la neutralisation de Corfou; quant à la Sardaigne, non seulement elle avait consenti à la neutralisation de la Savoie septentrionale, mais elle l'avait même sollicitée.

(1) V. suprà.

CHAPITRE III

EFFETS DE LA NEUTRALITÉ PERPÉTUELLE

Comme nous l'avons dit au début du chapitre précédent, tous les effets de la neutralité perpétuelle s'appliquent à la province neutre, pourvu qu'ils soient compatibles avec une neutralisation localisée. C'est ainsi que l'Etat dont une province est neutralisée ne pourra ni céder tout ou partie de cette province, ni la donner à bail, ni y concéder une station de charbon, ni y consentir un droit de passage ou de stationnement au profit des troupes d'une puissance voisine. Il ne pourra pas non plus, dans les traités d'alliance qu'il conclut dès le temps de paix, envisager une concentration des troupes de ses alliés dans cette province, sauf à y donner à ses alliés, s'il est attaqué, les libertés qu'il peut prendre lui-même dès le temps de paix en vue d'une guerre défensive.

En effet, si l'Etat partiellement neutralisé ne peut pas se servir du district neutre pour y rassembler des troupes en vue d'une agression préméditée ou d'une guerre de conquête, sa liberté reste entière en vue d'une guerre défensive. Non seulement il a le droit de prendre, dans le territoire neutralisé, toutes les mesures nécessaires à la défense de cette région, mais même il peut faire passer par cette

région ou y mobiliser des troupes nécessaires à la défense d'une autre province. La neutralisation est, en effet, établie dans l'intérêt du garanti, et non pour gêner sa défense. On voit par là qu'il importe peu de savoir si la ligne de Culoz traverse ou non la Savoie neutre cette ligne peut servir, dans tous les cas, à nos opérations défensives.

En dehors du droit de se défendre lui-même, l'Etat garanti a celui d'appeler à son secours les garants dans le cas où la province neutralisée serait menacée. L'article 92, par une dérogation aux principes de la neutralité perpétuelle, oblige la France à appeler d'abord au secours de la Savoie les troupes suisses. Mais il n'est pas douteux qu'elle pourrait ensuite, dans le cas où cela deviendrait nécessaire, appeler les troupes des puissances qui ont garanti les dispositions de l'acte final de Vienne et qui ont ensuite approuvé la cession de 1860: autrement la garantie donnée par ces puissances serait complètement illuscire.

En temps de paix l'Etat garanti peut mettre dans la province neutralisée les garnisons qu'il lui plaît. C'est ce qu'ont reconnu pour la Savoie l'article 92 déjà cité, et pour Corfou le protocole du 25 janvier 1864, modifiant à cet égard le traité du 14 novembre 1863. Il peut y faire des manœuvres militaires et y élever des forts. Cette dernière faculté est consacrée, à l'égard de la Savoie, par l'article 90 de l'acte final; mais le traité de 1863 ne la reconnaît pas au souverain de Corfou.

Différence avec la servitude de non-fortification. Il y a donc eu, à l'égard de Corfou, une dérogation aux

principes de la neutralité perpétuelle; celle-ci, en effet, a pour but d'augmenter la sécurité du garanti et non de l'affaiblir. Les exemples de cette sorte de servitude de nonfortification, ainsi imposée à Corfou, ne sont d'ailleurs pas rares. Déjà l'article 8 de l'acte final interdisait à l'Autriche de fortifier Podgorce, petite ville voisine de Cracovie. De même le traité de Paris du 20 novembre 1815 interdit à la puissance maîtresse de l'Alsace d'élever des fortifications dans un rayon de trois lieues autour de Bâle. De même, aussi par le traité de 1862, la France et la Suisse se sont réciproquement interdit de fortifier la partie de leur territoire comprise dans la vallée des Dappes. Enfin l'article 29 du traité de Berlin a interdit de fortifier, sauf autour de Scutari, les rives de la Bojana et du lac de Scutari. Mais ce n'est qu'à Corfou et à Luxembourg, pour ne pas parler de la partie suisse du petit territoire des Dappes, que cette servitude est combinée avec la neutralité. Ce sont là deux exceptions qui sont motivées par des considérations politiques on doit d'autant moins les étendre que les traités, relatifs aux autres territoires neutres, se prononcent en faveur de l'affranchissement de ces territoires de toute servitude de ce genre.

Par rapport aux Etats garants, les effets de la neutralité perpétuelle résultent des principes qui précèdent. Ces Etats doivent s'abstenir de tout acte de nature à porter atteinte à la souveraineté de l'Etat garanti sur la province dont ils lui ont assuré la possession: ils doivent donc éviter d'entrer dans toute alliance ou dans toute combinaison politique qui pourrait avoir pour conséquence de compromettre cette

souveraineté. Ils seront même obligés de faire respecter les droits de l'Etat garanti par les tiers, à moins qu'il ne s'agisse des droits de la Grèce sur Corfou, qui ont été simplement l'objet d'une garantie restreinte.

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