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s'engageait à fournir toujours six mille soldats à la France; mais l'article 23 du dernier traité stipulait expressément que, dans cette alliance, les alliés de la Suisse, notamment le pape et le Saint-Empire, étaient réservés. La Suisse continua à conclure avec les autres Etats de l'Europe, notamment avec la Savoie en 1651 et avec les ProvincesUnies, des capitulations militaires qui réservaient les alliances antérieures (1). Elle finit donc par se trouver en fait l'alliée perpétuelle de la plupart des Etats d'Europe qui avaient déjà reconnu son indépendance en 1648.

Mais sa neutralité perpétuelle ne fut proclamée que par le congrès de Vienne.

Cette proclamation n'était pas inutile, car la neutralité de la Suisse avait été violée fréquemment pendant les guerres de la Révolution. Il est vrai que la France avait reconnu de nouveau l'indépendance de la Suisse et renouvelé ses anciens traités avec elle par le traité de Fribourg (2). Mais en 1813 la neutralité suisse avait été de nouveau violée, et cette fois, par la sixième coalition: en décembre, une des armées alliécs était entrée en France en violant la neutralité de Bâle. Les puissances reconnurent bientôt leur erreur; et, par la déclaration de Vienne du 20 mars 1815, elles s'engagèrent à « faire un acte portant la reconnaissance et la garantie de la neutralité perpétuelle de la Suisse » (3). Mais ce jour-là même Napoléon Ier rentrait

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à Paris! La terreur qu'il inspirait aux alliés les fit renoncer à leurs bonnes intentions par une note collective, en date du 6 mai 1815 (1), ils offrirent à la Suisse de se joindre à eux, en faisant valoir: 1° que la Suisse ne violerait pas ainsi sa neutralité (!), mais qu'elle hâterait au contraire le moment où sa neutralité serait respectée de tous; et 2° que cette circonstance extraordinaire ne constituerait pas un précédent (!). La Suisse n'osa pas résister toutefois elle refusa de prêter aux alliés un appui offensif, et consentit simplement à les laisser traverser son territoire << en cas d'urgence » et « temporairement » (2). Huit jours après (27 mai), elle prenait acte, en y accédant (3), de la déclaration du 20 mars par laquelle les puissances lui avaient promis une neutralité perpétuelle. La Diète helvétique avait soin, dans sa note du 27 mai, de spécifier que les puissances signataires de la déclaration du 20 mars s'engageaient « à reconnaître et garantir » la neutralité suisse.

Cette neutralité perpétuelle fut enfin solennellement reconnue par l'acte final du congrès de Vienne (9 juin 1815), qui, après avoir reconnu l'intégrité de la Suisse dans son article 74, confirma, dans son article 84, la déclaration du 20 mars.

L'acte final de Vienne fut confirmé à son tour par la déclaration de Paris du 20 novembre 1815.

(1) WHEATON, Elem. of. int. Law., § 414-420.

2) Convention de Zurich du 20 mai 1815. 3) DE CLERCQ, II, 533.

- WHEATON, loc. cit.

Malgré la clarté de ces textes, divers auteurs suisses, et notamment le Dr Schweizer, professeur de droit international à Zurich (1), et le colonel Frey (2), ont soutenu dans ces derniers temps que la Suisse n'avait ni sollicité ni obtenu en 1815, du moins pour sa neutralité, la garantie des puissances, et qu'elle s'était bornée à faire reconnaître par elles sa volonté de rester perpétuellement neutre, la garantie européenne n'ayant été donnée qu'à son intégrité (3).

Ces auteurs tirent d'abord argument de la rédaction de l'article 84 de l'acte final de Vienne relatif à la neutralité de la Suisse. Dans l'article 84, disent-ils, il n'est pas question de garantie: le mot n'y est même pas prononcé. En effet, l'article 84 est ainsi conçu : « La déclaration adressée << en date du 20 mars, par les puissances qui ont signé le <«traité de Paris, à la Diète de la Confédération suisse, et acceptée par la Diète moyennant son acte d'adhésion du << 27 mai, est confirmée dans toute sa teneur ; et les principes établis ainsi que les arrangements arrêtés dans la

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(1) Geschichte der Schweizerische neutralitæt.

(2) La neutralité de la Suisse.

(3) RIVIER (Principes du droit des gens, I) reconnaît que les puissances en 1815 ont garanti l'intégrité et l'inviolabilité de la Suisse (p. 62) et aussi, << moins explicitement, sa neutralité » (p. 136). Quant à l'indépendance, dit-il, il n'était nul besoin de ia garantir (p. 62). Cette dernière phrase de M. Rivier est inspirée par la crainte que la garantie d'indépendance ne se convertisse en protectorat, crainte qui ne s'est jamais réalisée, ni pour la Belgique, ni pour la Suisse. Il sera d'ailleurs démontré plus loin que la garantie de neutralité ne peut donner lieu à aucun droit d'intervention dans les affaires intérieures de l'Etat garanti (V. 2e partie, ch. III).

«dite déclaration seront invariablement maintenus ». On le voit, disent les partisans de la théorie suisse, l'article 84 se borne à maintenir le principe déjà existant de la neutralité helvétique.

Nous ferons observer que l'article 84 prend lui-même soin de nous renvoyer à l'acte du 27 mai de la Diète de Zurich, acte par lequel la Diète helvétique spécifiait que les signataires de la déclaration du 20 mars s'engageaient à garantir la neutralité suisse. Du reste ne convient-il pas de rapprocher l'article 84 de l'article 92 du même acte final? Ce dernier, qui proclame la neutralisation de la Savoie septentrionale, est ainsi conçu : « Les provinces de Chablais et de Fauci«gny, et tout le territoire de Savoie au nord d'Ugine, ap« partenant à S. M. le roi de Sardaigne, feront partie de « la neutralité de la Suisse, telle qu'elle est reconnue et « garantie par les puissances ».

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M. Schweizer (1) dit, il est vrai, que l'article 92 n'a qu'une valeur de renvoi et non une valeur de principe; on aurait omis de le modifier lorsque Pictet de Rochemont, le négociateur suisse, obtint du congrès une rédaction définitive de la déclaration du 20 novembre dans laquelle ne figurait pas le mot de garantie. En réalité, nous dit-on, le congrès de Vienne n'a voulu donner de garantie collective qu'à la neutralité savoisienne, à laquelle il voyait un intérêt permanent et commun, tandis que la neutralité de la Suisse peut, dans certaines circonstances, être contraire à l'intérêt momentané de telle ou telle nation voisine.

(1) Op. cit.

Il est vraiment surprenant que le congrès de Vienne, en voulant faire cette distinction, se soit appliqué à rédiger l'article 92 (ou ait laissé subsister sa première rédaction) de façon à lui faire dire tout le contraire! Il eût été si simple de le rédiger ainsi : « Le Chablais et le Faucigny «< feront partie de la neutralité de la Suisse, telle qu'elle << est reconnue par le congrès; mais la neutralité de ces « deux provinces savoisiennes jouira, en outre, de la ga<< rantie des puissances ». On évitait ainsi toute équivoque.

La vérité est que ni le congrès de Vienne ni Pictet de Rochemont lui-même n'ont prévu l'interprétation donnée actuellement par quelques auteurs suisses à l'acte final. Et Pictet, que l'on félicite tant d'avoir supprimé le mot garantie, reconnaît dans sa correspondance récemment publiée que la neutralité suisse a été garantie par les puissances (1). << Ma rédaction de l'acte solennel portant reconnaissance et garantie de la neutralité helvétique est approuvée........» dit-il, et il ajoute : « J'y ai introduit une phrase destinée à établir qu'aucune puissance n'exercera d'influence en Suisse », phrase qui était inutile, car la garantie de neutralité ne saurait avoir pour conséquence d'autoriser l'intervention dans les affaires intérieures de l'Etat neutre.

L'acte solennel auquel Pictet fait ici allusion est la déclaration de Paris du 20 novembre 1815, qui est, en effet, intitulée déclaration portant reconnaissance et garantie de la neutralité helvétique, et qui confirme l'acte final du

(1) V. Edmond PICTET, Biographie, correspondance et travaux diplomatiques de C. Pictet de Rochemont (p. 316-318).

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