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recevoir des garnisons anglaises et prussiennes dès que le casus fœderis serait déclaré contre la France » (1). La Prusse devait occuper Huy, Namur, Dinant, Charleroi, Marienbourg et Philippeville; l'Angleterre se réservait le droit d'occuper Ypres, Ostende, Nieuport et Termonde. Les Anglais auraient bien voulu ajouter à cette liste Anvers, et les Prussiens Liège; mais le plénipotentiaire des Pays-Bas s'y refusa (2). C'était, en somme, le système de la barrière de 1715 que l'on rétablissait en l'aggravant.

Ajoutons que le roi des Pays-Bas avait reçu, sur l'indemnité de guerre de 700 millions payée par la France, 60 millions pour construire et réparer des forteresses en Belgique. Les puissances alliées se regardèrent dès lors comme les co-propriétaires des forteresses belges; elles étaient inspectées périodiquement par des officiers étrangers au nom des puissances (3).

Malgré ce luxe de précautions, l'œuvre du congrès de Vienne dans les Pays-Bas était fragile.

On n'avait pas voulu tenir compte de l'antagonisme que la différence de religion et de traditions historiques créait entre les Belges et les Hollandais, antagonisme qui se compliquait encore des divergences économiques qui existent toujours entre un peuple d'industriels et un peuple de marins. Aussi le mouvement de 1830 eut-il son écho à Bruxelles; et des conflits sanglants eurent lieu entre les troupes hollandaises et les insurgés.

(1) BANNING, La défense de la Belgique, p. 16-17.

(2) BANNING, eod. loc.

(3) Moniteur belge du 25 mai 1832,

Le roi des Pays-Bas s'adressa aussitôt aux quatre puissances qui avaient signé la convention d'Aix-la-Chapelle. La Prusse et l'Autriche se montrèrent disposées à intervenir; la Russie fit aussi une réponse favorable mais ne tarda pas à être retenue chez elle par la Révolution de Pologne. La France était sympathique à la Révolution de Bruxelles, écho de la Révolution de Paris; et son gouvernement se montrait résolument hostile à toute intervention de l'une des puissances conservatrices en Belgique. L'Angleterre était donc maîtresse de la situation. Mais la Révolution de Juillet avait eu aussi son contre-coup à Londres, où un ministère libéral venait de succéder au cabinet tory. Ce ministère, ne voulant ni se brouiller avec la France ni favoriser l'expansion de celle-ci vers l'Escaut, s'efforça, tout en acceptant le fait accompli, de créer dans les Pays-Bas un état de choses qui donnerait à l'Europe les mêmes garanties que l'œuvre de 1815.

Lord Aberdeen décida donc le roi des Pays-Bas à accepter un armistice et à soumettre la question belge aux cinq grandes puissances. Une conférence se réunit à Londres le 4 novembre 1830; les cinq puissances et les Pays-Bas y étaient représentés. Dès le 20 décembre la conférence déclarait le royaume des Pays-Bas dissous, et autorisait le gouvernement provisoire de Bruxelles à envoyer des délégués à Londres. Le protocole du 20 décembre ajoutait que << la conférence allait discuter et concerter les nouveaux arrangements les plus propres à combiner l'indépendance future de la Belgique avec les intérêts et la sécurité des autres puissances et avec l'équilibre européen ».

Le nouvel arrangement destiné à garantir à la fois la sécurité des puissances et le maintien de l'équilibre européen fut la neutralisation perpétuelle de la Belgique. Obligée de renoncer à faire de tous les Pays-Bas un royaume unique, capable de se défendre lui-même, la conférence eut recours au procédé dont on s'était servi en 1815 pour soustraire la Suisse à la rivalité d'influence des puissances voisines et pour fermer aux conquérants les chemins d'invasion qui la traversent. Le protocole du 20 janvier 1831, qui arrêtait les bases de la séparation de la Belgique et de la Hollande, s'exprimait ainsi dans son article 5 : « La Belgique formera un Etat perpétuellement neutre. Les cinq puissances lui garantissent cette neutralité perpétuelle, ainsi que l'inviolabilité de son territoire ».

Ce protocole fut confirmé par le traité du 24 juin 1831, dit des dix-huit articles, signé entre les cinq puissances. Par suite des prétentions rivales de la Belgique et de la Hollande sur le Limbourg et le Luxembourg, ce traité dut laisser en suspens la question relative à l'attribution de ces deux provinces. Le congrès belge accepta néanmoins le 9 juillet le traité des dix-huit articles; mais la Hollande, ne pouvant se résoudre à lui donner son assentiment, reprit les hostilités.

Pour la première fois on allait assister au fonctionnement de la garantie de neutralité. La Belgique fit appel à la France, l'une des puissances garantes, qui lui envoya une armée de 50,000 hommes sous les ordres du maréchal Gérard, non sans en informer au préalable la conférence de Londres. Celle-ci déclara que « l'entrée des troupes

françaises en Belgique serait considérée comme ayant lieu non dans une intention particulière de la France, mais pour un objet vers lequel les délibérations de la conférence s'étaient dirigées ».

Une marche du maréchal Gérard vers Bruxelles (1) suffit pour ramener les Hollandais sous les murs d'Anvers. Les cinq puissances, décidées à en finir avec la question belge, signèrent le 15 octobre 1831 un nouveau traité, dit des vingt-quatre articles, qui, entre autres dispositions, partageait le Limbourg et le Luxembourg entre la Belgique et la Hollande. Le congrès belge accepta ce nouvel arrangement, et le 15 novembre 1831 la Belgique, par un traité signé avec les cinq puissances, adhéra aux vingt-quatre articles. L'un des vingt-quatre articles proclamait la neutralité perpétuelle de la Belgique (art. 9); le traité du 15 novembre reproduisit les vingt-quatre articles et leur donna, dans un vingt-cinquième article, la garantie des puissances.

Cependant la Hollande résistait encore; et, refusant de se soumettre aux décisions de la conférence, elle continuait à occuper Anvers. De nouveau la Belgique allait faire appel aux puissances garantes; et l'événement devait montrer que, si aucun des garants ne songeait à nier ses obligations, chacun du moins, suivant son intérêt, désirait les remplir avec plus ou moins de zèle.

En effet, la note du 14 décembre 1831, par laquelle la

(1) Pour plus de détails sur l'historique de la neutralisation de la Belgique, voir l'étude de M, MILOVANOVITCH Sur les Traités de garantie.

Hollande protestait contre le traité du 15 novembre, avait fait réfléchir les trois Cours du Nord, qui craignaient d'avoir été trop loin dans l'appui qu'elles avaient donné à la Révolution belge. Aussi leurs plénipotentiaires à la conférence déclarèrent-ils que leurs gouvernements, tout en désapprouvant la conduite du roi de Hollande, ne pourraient s'associer à des mesures coercitives et préfèreraient voir tenter de nouvelles démarches diplomatiques auprès du souverain hollandais. L'Angleterre et la France repoussèrent cette motion; elles exprimèrent le regret d'être obligées d'agir seules pour assurer l'exécution du traité du 15 novembre (1), et la conference se sépara. Ainsi trois des cinq Etats garants, tout en désapprouvant le roi de Hollande et sans s'opposer aux mesures de coercition, refusaient de s'y associer. Mais il y a lieu de remarquer que l'Angleterre et la France ne se décidèrent à agir qu'après avoir consulté la conférence et s'être assurées de la nonhostilité des Etats dissidents.

Quelques jours après, le gouvernement belge, invoquant l'article 25 du traité du 15 novembre 1831, fit appel à la France et à l'Angleterre. Ces deux puissances s'entendirent aussitôt pour régler les détails d'exécution (2): l'embargo devait être mis sur les vaisseaux hollandais, et une armée française devait assiéger Anvers, si la Hollande n'évacuait pas cette place avant le 15 novembre. La Hollande accepta la lutte le 16 novembre, les Français traversaient de nou

(1) V. le Protocole du 1er octobre 1832.

(2) Convention du 22 octobre.

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