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Rec. Dec. 23, 1904

PLAIDOYERS

POLITIQUES ET JUDICIAIRES

DISCOURS

PRONONCÉ A L'OUVERTURE DE LA CONFÉRENCE

DU 16 NOVEMBRE 1861

Quand, après deux mois de loisirs ardemment désirés, le devoir nous ramène à nos travaux accoutumés, si le sacrifice de notre liberté, si l'abandon de nos études préférées nous coûte un pénible effort et d'involontaires regrets, nous en sommes largement dédommagés par le retour aux douces habitudes de cette confraternité qui est une des plus précieuses prérogatives de notre chère profession. C'est elle qui nous accueille et nous sourit au seuil de ce Palais, où nous attendent de rudes épreuves et de sévères labeurs. Et tout de même que, par un secret qui lui est propre, elle saura tempérer la vivacité de nos luttes, elle nous attire par son expansion familière, affectueuse, charmante, et donne ainsi à nos relations réciproques une cordialité particulière qu'on chercherait vainement ailleurs. Le sentiment qui l'inspire ne pouvait être connu des anciens. Ingénieux, fidèles et tendres dans leurs amitiés dont ils nous ont laissé de si éloquentes peintures, ils ne s'étaient point élevés à la conception d'un lien formé uniquement par la communauté d'obligations et de travaux. Cette notion appartient au christianisme, vivifiant toutes les actions de l'homme par l'amour et la foi. Elle se manifeste puissamment au moyen âge, et contribue, plus qu'on ne le pense communément, à tenir la force brutale en échec, à préparer la résurrection de la liberté. C'est ainsi qu'elle nous a été transmise, c'est ainsi que, se modifiant avec les mœurs, elle s'est fortifiée à mesure que l'idée du droit se dégageait des obscurités dont l'ignorance et l'oppression l'enveloppaient. Notre confrérie n'est donc pas seulement la reli'gieuse héritière des traditions passées : l'esprit nouveau l'anime et

l'éclaire. Sa grandeur véritable est dans son infatigable dévouement à rechercher ce qui est juste, à défendre ce qui est légal. Ceux qui consacrent leur vie à l'accomplissement de cette mission sentent nettement qu'ils forment dans l'État une corporation dont la première loi est une étroite solidarité.

Se respecter et s'aimer les uns les autres, prévenir soigneusement, par une affectueuse tolérance, le choc inévitable de naturelles susceptibilités; exagérer dans chaque détail les scrupules de la délicatesse et de la loyauté; s'entr'aider et se soutenir dans les épreuves; fuir comme dangereux et mortel un succès obtenu au prix de l'humiliation d'un adversaire; applaudir au talent d'un rival; s'unir enfin par une intime et forte ligue, celle des intelligences et des cœurs, pour combattre l'arbitraire et l'iniquité : c'est là ce que j'appelle être confrères; c'est ainsi que je résume les nobles règles qui gouvernent notre ordre et que je me suis appliqué à maintenir autant qu'il a été en moi, pendant cette première année d'un exercice que votre confiance et votre affection m'ont rendu si doux et si facile.

La récompense de mes efforts serait de n'être point demeuré tout à fait au-dessous de cette tâche. Appelé pour la seconde fois, conformément à nos usages, à l'honneur de présider cette assemblée, je voudrais trouver des paroles qui vous exprimassent, à vous tous mes confrères, ma reconnaissance profonde et mon sincère attachement. Impuissant à les rendre comme je les sens, j'aime mieux une fois encore profiter de cette occasion solennelle pour m'entretenir avec vous de nos communs devoirs, et mettre, s'il se peut, en lumière quelques-unes des vérités simples sur lesquelles reposent la grandeur et la force de notre profession.

Nous l'avons, l'année dernière, envisagée dans ses manifestations extérieures, et nous avons reconnu tout ce qu'elle avait à gagner au culte sévère de la forme; je voudrais aujourd'hui pénétrer plus avant dans son intimité, étudier ses secrets ressorts, et me rendre compte es conditions morales auxquelles l'avocat doit son autorité, l'orateur son prestige; ou je me trompe fort, ou nous tirerons de cet examen d'utiles leçons.

Entrons donc ensemble, et sans plus de façon, dans la maison où nous allons surprendre leur travail sur le fait. Je la voudrais grave et modeste. Les lieux que nous habitons trahissent les dispositions de notre âme. Le faste et la frivolité ne sauraient convenir à une existence sérieuse. Ceux qui en feraient une enseigne descendraient au niveau des bateleurs. Leur exemple corrupteur précipiterait la jeunesse dans une voie pernicieuse. Qu'elle en croie mon expérience, le succès va au mérite, non à l'étalage. Qu'elle prenne donc son point d'appui dans le savoir et la vertu, et non pas dans les faux brillants

d'un luxe dont le moindre inconvénient est trop souvent de dévorer les meilleures ressources de l'avenir!

C'est un grand moraliste du dix-septième siècle qui lui enseigne ce que doivent être ses préoccupations : « La fonction de l'avocat, dit la Bruyère, est pénible et laborieuse..... Sa maison n'est pas pour lui un lieu de repos et de retraite, ni un asile contre les plaideurs; elle est ouverte à tous ceux qui viennent l'accabler de leurs questions et de leurs doutes..... il se délasse d'un long discours par de longs écrits; il ne fait que changer de travaux et de fatigues. J'ose dire qu'il est dans son genre ce qu'étaient dans le leur les premiers hommes apostoliques.

"

Ces fortes expressions ne sont point exagérées, et celui qui ne les prend pas au pied de la lettre n'a point la véritable intelligence de ses devoirs. Dans ce logis simple dont les livres sont le principal ornement, l'avocat attend, sans jamais les rechercher, ceux qu'attireront à lui sa bonne renommée, l'éclat de ses débuts, son zèle pour les malheureux, le scrupule consciencieux qu'il apporte aux travaux qui lui sont confiés. Le nombre en augmentera d'autant plus vite, qu'il se fera une obligation plus rigoureuse de l'assiduité. Le respect pour le public avec lequel il entre en communication m'a toujours paru l'une des premières et des plus importantes applications de la loi de dévouement qui lui est imposée. Ce sont ceux qui souffrent qui viennent à nous. Que notre accès leur soit toujours facile, et qu'en touchant notre seuil, ils reconnaissent leur domaine, dont les puissants de la terre ne sauraient leur interdire le refuge!

C'est avec ce sentiment élevé, généreux, que l'avocat doit accueillir tous ceux qui réclament ses conseils. Il y puisera la douceur qui rassure, la patience qui encourage, l'attention qui éclaire, et par-dessus tout l'ascendant salutaire qui commande la déférence et la soumission. Ainsi deviendra-t-il, dans le sens excellent du mot, le patron de son client, et s'il n'obtient ces résultats qu'au prix d'efforts et de contrainte, combien n'en est-il pas tout d'abord récompensé par le singulier attrait qu'il y trouve! Quelle source féconde d'observations, d'études, d'émotions variées! J'ai fréquemment rencontré dans le silence du cabinet des effets dramatiques, des coups inattendus, des cris éloquents de la passion ou des rapprochements comiques d'une telle puissance que je regrettais de ne pouvoir les noter au passage. C'est que la nature humaine se montre à nous sans déguisement. Le souffle de l'intérêt personnel en soulève les voiles et en met à nu les faiblesses et les vices. Nous voyons se produire dans leur ingénuité les emportements de la haine, les bassesses de la convoitise, les artifices de la duplicité. En revanche, que d'héroïsmes cachés à tous les yeux se révèlent aux nôtres! combien de douleurs saintement dissi

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