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là un jeu effréné qui a trompé les personnes intéressées au profit de celui qui tenait les cartes dans ses mains.

La société a été détournée de ses véritables voies. Une saignée abondante, trop abondante, a été faite au capital social placé dans les mains de M. Calley-Saint-Paul, et cette saignée n'a eu d'autre but, d'autre résultat que de lui permettre de se livrer, dans son intérêt personnel, à des opérations autres que celles pour lesquelles la société avait été fondée. Les actionnaires ont-ils su, ont-ils autorisé ces achats avant leur consommation? Pas plus qu'ils n'ont connu l'acquisition des Salines de l'Est. Ces achats ne leur ont été révélés qu'à l'assemblée du 30 mai 1859, alors que tout était consommé depuis longtemps. La délibération qui a été prise à cette époque prouve une fois de plus que M. Calley-Saint-Paul était le maître souverain de proposer ce qui lui plaisait au vote de l'assemblée générale. Dans le procès-verbal de cette assemblée de 1859, tel qu'il a été publié dans les journaux industriels, il n'est pas dit que le capital a été employé à ces rachats ni quel a été le résultat de cet amortissement. Ces choses si intéressantes pour le public, on ne les lui fait pas plus connaître qu'on ne les avait signalées à l'attention des actionnaires. Il est vrai que M. Calley-Saint-Paul a fait signifier à M. Grimaldi un acte extrajudiciaire dans lequel il l'avertit de ne pas tomber dans des erreurs. Dans cet acte, il rectifie (c'est son expression) le texte du rapport à l'assemblée, qui diffère quelque peu de la délibération imprimée, ce qui prouve que M. Calley-Saint-Paul a plusieurs exemplaires de délibérations; qu'il en a à l'usage du public, à son propre usage, et à l'usage de son défenseur; c'est l'édition de ce document qui a été faite en dernier lieu qu'il a livrée pour sa justification; la première seule avait été connue du public.

Et, chose étrange, M. Calley-Saint-Paul, qui arrache aux actionnaires un bill d'indemnité, retarde jusqu'au mois d'octobre 1859 le moment où il révélera aux tiers la situation, c'est-à-dire le fait du rachat, l'amortissement et la réduction du capital. Ainsi, six mois s'écoulent sans que la délibération soit publiée, et la publication faite après coup est inexacte.

J'aborde maintenant l'exposé du dernier grief que je reproche à M. Calley-Saint-Paul. Ici mon embarras est grand, je l'avoue; je voudrais qualifier cet acte sans sortir des bornes de la modération que je me suis imposée, et j'avoue que c'est à grand'peine, car il est le plus coupable de ceux que j'ai rencontrés; M. Calley-Saint-Paul est parvenu à s'appliquer... (je cherche le mot le plus doux), à s'appliquer une portion notable du capital social. L'opération est aussi simple qu'elle est énorme. Vous savez que M. Calley-Saint-Paul, le 4 avril 1860, annonce à ses actionnaires qu'il vient d'acheter moyen

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nant 2,500,000 francs quinze mille actions qui vont composer le nouveau fonds social de l'Union financière et industrielle. L'Union financière, convertie en fabrique de sel, aura un capital représenté par quinze mille actions des Salines de l'Est. Il est dit, dans la délibération du 4 avril 1860, que ces quinze mille actions se partageront les bénéfices, c'est-à-dire qu'elles seront représentées par quinze mille parts. Si elles sont représentées par quinze mille parts, il n'y a rien à dire; mais si une personne venait ajouter une part à ces quinze mille et s'en emparer, évidemment elle commettrait un détournement; c'est ce qu'a fait M. Calley-Saint-Paul; il a ajouté mille parts aux quinze mille, et il a partagé avec M. Chalandré. Voici comment il a procédé. Vous n'avez pas oublié cette autorisation qu'il s'était donnée d'être maître de l'ordre du jour; il a fait ce qu'il a voulu de ses actionnaires qu'il a considérés comme des espèces de soliveaux; il leur a fait voter, à ces bons actionnaires, que le gérant seul pouvait composer les assemblées générales comme il l'entendait, fixer lui-même l'ordre du jour, et modifier, changer à son gré, les statuts sociaux.

J'ai dit, messieurs, et j'ai prouvé que tout ceci n'était qu'une fiction, un non-sens, qu'il ne pouvait pas y avoir d'assemblée générale le jour en question, puisque les quinze mille actions étaient dans les mains de M. Calley-Saint-Paul, en dépôt, et qu'elles devaient être échangées plus tard contre les titres de la Compagnie de l'Union. Eh bien! le 18 avril 1860, M. Calley-Saint-Paul va simuler une délibération de l'assemblée générale, je maintiens le mot, parce que je ne trouve que celui-là dans ma pensée, et j'ai le droit de tenir ce langage, puisque je me suis présenté dans vos bureaux pour avoir la délibération de cette fameuse assemblée générale, composée par vous de personnes auxquelles vous aviez distribué les actions dont vous étiez dépositaire, c'est-à-dire de vos portiers, de vos domestiques. Vous avez supposé une assemblée, ou (c'est la même chose) vous avez composé une fausse assemblée pour vous faire attribuer des avantages extraordinaires.

Voici ce que porte ce procès-verbal :

Procès-verbal de l'assemblée générale de tous les actionnaires.

Or, je le répète, dans cette assemblée générale, composée de tous les actionnaires, figuraient M. Calley-Saint-Paul, ses domestiques ou commis, auxquels il avait distribué des actions.

Qu'est-ce à dire? Voilà un seizième du fonds social qui est créé en dehors des statuts, en dehors de la volonté des actionnaires, un seizième qui est remis à M. Chalandré, cogérant, et à M. CalleySaint-Paul; n'est-ce pas le détournement d'une partie d'un capital

social? Ce que vous prenez sous forme de bénéfices, c'est une partie du capital, c'est une action consolidée immobilisée, qui vous donne un droit. Vous êtes assuré, par cette délibération, de la propriété d'un seizième du fonds social. Quel est le fonds social apparent? Quinze mille actions. Eh bien! il y en a maintenant seize mille.

Je vous reproche donc d'avoir composé une assemblée imaginaire et d'y avoir pris une résolution coupable qui faisait passer une partie du capital dans vos mains; vous avez employé la ruse et la dissimulation pour prendre à vos actionnaires leur argent; mais, sachez-le bien, la justice ne saurait approuver ni tolérer de pareilles choses. Vous dites que le fonds social se divise en quinze mille actions, donnant droit à un quinze-millième des bénéfices et du capital: c'est encore un mensonge; les actions ne donnent pas droit à un quinzemillième, puisque vous venez de prendre un seizième, puisque vous vous constituez sur le capital de la société une propriété personnelle sous un prétexte hypocrite.

L'opération est, en effet, très-simple, et n'a pas besoin d'être longtemps étudiée. Dans la délibération, on dit que chacun des actionnaires aura droit au prélèvement de 30 francs avant que les actions de jouissance puissent prendre part aux bénéfices; mais si le bénéfice est de 60 francs, par exemple, ces 30 francs entreront en partage avec les actions de jouissance, et dès lors le titre que vous avez mis aux mains des actionnaires n'est plus un titre réel, il ne leur donne plus droit à un quinze-millième sur toutes les valeurs de la société, puisque, après le prélèvement de 30 francs, vous venez prendre part pour un seizième aux bénéfices, et non-seulement ce sera le revenu que vous attaquerez, ce sera encore le fonds, puisque, au bout de cinq ans, ces actions ainsi consolidées, vous pourrez les vendre, les jeter sur le marché, et alors ce ne sera plus un quinzemillième qui appartiendra à chacun des actionnaires, mais un seizemillième. Ce fait, que vous ne pouvez dénier, est puni par l'article 408 du Code pénal : le fait est accompli au moyen de manœuvres que j'ai le droit de qualifier de frauduleuses.

Tels sont, messieurs, les faits que j'avais à établir devant vous. Je demande pardon au tribunal de la longueur de ces développements, et peut-être de la vivacité que j'y ai mise: ce sont les dénégations de mon adversaire qui l'ont un peu provoquée. Et puis, je le dirai, nous avons peu, quant à nous, l'habitude de ces sortes de combinaisons; nous marchons dans le chemin de la vie, demandant à un travail bien dur, assurément, une très-modeste rémunération; mais nous sommes heureux et fiers de mériter l'estime de ceux au milieu desquels nous vivons, et particulièrement de la magistrature qui nous juge aux divers pas de notre carrière. Si, dans d'autres carrières, il est

possible d'arriver rapidement à la richesse, je n'ai rien à dire quand la fortune est honorablement acquise. Je suis bien loin de blâmer systématiquement ceux qui se livrent aux vastes opérations financières; ce que je leur demande, ce que la loi exige, ce que la magistrature leur rappellera, c'est que le tien et le mien ne se confondent pas. Ces règles de l'éternelle équité sont la sauvegarde des sociétés, la base sur laquelle repose la civilisation comme la justice. Ces règles, dont vous êtes les souverains appréciateurs, ont été méconnues par M. Calley-Saint-Paul; il faut qu'il en porte la peine.

Le tribunal, reconnaissant dans les agissements de M. Calley-Saint-Paul l'intention frauduleuse du capitaliste voulant réparer les brèches de sa fortune, le condamne à 3,000 francs d'amende; et admettant des circonstances atténuantes, compense entre lui et M. Grimaldi les dommagesintérêts respectivement dus, et condamne encore par corps M. CalleySaint-Paul à tous les dépens.

FÊTE

DONNÉE A M. BERRYER LE 26 DÉCEMBRE 1861, PAR LE BARREAU

A l'occasion du cinquantième anniversaire de son inscription au tableau des avocats de la cour de Paris.

M. le bâtonnier Jules Favre s'exprime ainsi :

Je crois être l'interprète de votre pensée en vous proposant un toast à l'illustre héros de cette fête de famille, au glorieux stagiaire de 1811, resté debout à notre barre, où ses triomphes semblent le rajeunir, à notre ancien bâtonnier, à notre éminent et bien-aimé confrère, à M. Berryer. (Bravo! bravo! Vive Berryer! - Tout le monde se lève, bat des mains. — Me Berryer s'agite sous le poids d'une profonde émotion. Immense acclamation.)

Ce que nous entendons honorer en lui, dans cette solennelle confraternité, c'est l'avocat qui nous est demeuré fidèle et qui a jeté sur notre robe le double éclat de son génie oratoire et de sa mâle indépendance. (Bravo! bravo! - Les acclamations redoublent.) Que d'autres célèbrent la constance de sa foi, la générosité de son dévouement et la domination de sa redoutable parole, couvrant le bruit de nos luttes politiques pour retentir dans la postérité, nous, nous le saluons avec orgueil comme le vétéran du droit et de la défense. (Oui, oui, honneur à Berryer! Applaudissements.)

La fortune, par une rare faveur, l'a toujours éloigné du pouvoir, et depuis longtemps assis dans le camp des vaincus, il y a porté sa grande âme et son irrésistible puissance. Champion infatigable du malheur, ennemi courageux de l'arbitraire et de l'illégalité, gardien sévère de nos traditions, il est au milieu de nous le maitre vénéré de l'art de bien dire, et nul ne songe à lui disputer le premier rang, que lui assigne notre admiration. Aussi avons-nous tous accueilli avec joie cette occasion de nous presser autour de lui pour couronner sa brillante carrière par l'impérissable témoignage de la profonde sympathie de tous les barreaux de la France. Pour moi, je remercie Dieu, et après lui, vous mes confrères, de m'avoir permis, comme représentant l'ordre, de marquer cette heure unique et, je l'espère, féconde dans son histoire, qui nous réunit tous dans une pensée

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