Page images
PDF
EPUB

d'Italie. J'ai connu des hommes qui, avant cette guerre, ne la croyaient pas nécessaire, et qui ont changé d'opinion depuis; mais on reconnaitra que les hommes de l'opinion de M. Pelletan l'ont toujours considérée comme nécessaire aux intérêts de la France. Nous ne pouvons oublier les ovations décernées à l'empereur, lorsqu'il partait après avoir dit : « Des Alpes à l'Adriatique. » L'écrivain a blâmé les guerres qui seraient sans excuse et sans nécessité, et que le régime libéral n'a pas permises. Il a critiqué la constitution, ditesvous? Il y a deux constitutions. dit-il l'une mystique, l'autre réelle. » N'est-ce pas! e langage de tous es hommes officiels, à commencer par celui du rédacteur de la constitution qui nous régit? Les principes de 1789: voilà le symbole, la base, le fondement! L'édifice en diffère. Des nécessités passagères, dit-on, obligent de renoncer à la liberté. Sa statue est voilée; sous ses draperies, on l'aperçoit, on l'adore; on espère qu'étant perfectible, elle deviendra parfaite. C'est ce qu'a dit M. Pelletan!

Mais il compare la France à l'Autriche, et quant au régime libéral, il donne la préférence à cette dernière? C'est là une appréciation qui en elle-même n'a rien d'offensant; elle a été faite par tous, et en particulier par M. de Rémusat. N'est-ce pas un fait immense de voir l'Autriche se régénérer par la liberté? Vaincue, écrasée sur les champs de bataille, menacée par une nouvelle et sanglante leçon en Vénétie, contenant d'une main mal assurée les populations hongroises, elle cherche son salut dans une constitution. Et si cette constitution égale en garanties celle de la France, cela est assurément très-étonnant, car elle est partie plus tard et de plus loin; mais si elle la dépasse? Or, à cet égard, il suffit de comparer. La presse périodique en Autriche est dispensée de l'autorisation, elle est libre, moyennant un cautionnement très-modéré. Elle n'est point soumise à l'action des lois par les tribunaux. N'est-ce pas là une supériorité immense? Au moment où cette constitution fut votée, la Patrie a exprimé la même réflexion. Aussi n'est-ce pas aux termes, mais au sens général que le jugement s'attache. Ce sens est une excitation à la haine : c'est donc un procès de tendance! Vous supposez que le Courrier n'a pas d'autre but que de prouver l'abaissement de la France, dû aux institutions actuelles. Cette conclusion est le fait du jugement, on ne la rencontre pas dans les paroles de l'écrivain. Il a rappelé un régime qui n'est pas le sien, pas plus que celui de l'Autriche, la monarchie de Juillet. Si le lecteur en tire cette conséquence que l'état présent vaut moins, c'est là une opération qui lui appartient. Tout dépend du point de vue. Il est facile de raisonner sur les affaires publiques sans parler la même langue. Aussi, ce qui me semblerait abaissement, peut vous paraitre progrès. Il y a

des publiscites qui prétendent que la plus grande dignité, la plus grande force d'une nation est dans son obéissance. Voilà la France soumise, exécutant fidèlement les ordres qui lui sont donnés; et tout est préparé pour que son action soit subordonnée. D'un bout à l'autre de l'empire, une pensée règne en souveraine et se transmet avec la rapidité de l'éclair. Partout elle est acceptée, partout elle est imposée, et nul ne murmure, nul n'élève une plainte, nul ne se permet de juger les affaires de l'État. La presse entonne un chant d'allégresse, de louanges. Beaucoup appellent cette situation le dernier mot de la civilisation. Le gouvernement épargne à ses gouvernés l'embarras de penser et de vouloir.

Tel n'est pas, ou tout au moins tel ne paraît pas être cependant l'avis du tribunal. Et nous trouvons ici cette consolation que le régime libéral a une telle valeur morale que les défenseurs du pouvoir ne veulent pas qu'on l'accuse d'en être distinct; ils rendent par là l'hommage le plus pur et le plus désintéressé au grand principe de la liberté. Et c'est en cela qu'ils se rencontrent, sans le savoir, avec les écrivains courageux et consciencieux du Courrier du dimanche. Ont-ils, en effet, ramassé dans nos discordes civiles quelques-uns de ces anciens drapeaux qui étaient le signe du ralliement de nos luttes éteintes? Non, ils ont arboré celui qui, dans leur pensée, doit attirer tous les hommes de cœur et de probité, celui de la liberté! C'est pour obtenir le triomphe de cette grande cause qu'ils combattent. Étrangers à tout esprit de coterie, mais convaincus qu'une nation ne peut être forte et heureuse que lorsqu'elle n'abandonne pas la direction de ses destinées, ils cherchent avec courage à rappeler la génération qui grandit, nous enveloppe et va nous succéder, au culte du vrai, à la connaissance des droits éternels de l'homme, au souci de sa dignité. Ils la conjurent de travailler sans relâche à la défense de ces nobles conquêtes de l'esprit pour que, de l'étude théorique, puissent descendre l'application et la pratique.

Ils ne sont pas seuls dans cette voie : M. de Rémusat et beaucoup d'autres les y accompagnent. Voilà leur Credo! Qu'a-t-il d'inquiétant et de subversif?

Quant à celui qui est descendu dans la lice et qui a plus particulièrement mis sa poitrine à découvert, qu'est-il? et comment doit-il être jugé?

Je voudrais vous faire pénétrer au fond de son âme pour vous montrer combien sont à la fois énergiques et purs ces sentiments mûris à la double flamme de sa conscience et de sa vertu. Homme de labeur intellectuel, rude pionnier de cette œuvre incessante que l'humanité accomplit, il ne demande sa satisfaction qu'à l'étude patiente, aux douceurs des lettres, à cette plénitude dont le cœur est

rempli lorsqu'on a la certitude d'avoir fait son devoir. Sur cette route difficile qu'il parcourt avec l'éclat d'un talent justement populaire, il est entouré de l'auréole de sa probité politique, qui n'a jamais été soupçonnnée. Il n'a jamais rencontré un adversaire qui ait pu lui dire « Vous n'êtes pas aujourd'hui ce que vous étiez hier. » Les orages se sont déchaînés, les gouvernements sont tombés, les constitutions ont été désertées, le pays a été témoin de changements à vue soudains, de défaillances inattendues. Cependant quelques-uns sont demeurés debout, et Pelletan est de ce nombre.

N'avoir jamais changé, être démeuré sourd aux provocations de l'ambition et de la fortune, s'être fièrement détourné des faciles sentiers où s'engageait la foule des nouveaux convertis, en reniant leurs croyances, mais en rétablissant leur maison et en avançant dans leur carrière, c'est là, n'en doutez pas, une grandeur qui en vaut bien d'autres! Elle donne à l'âme trop de sérénité et de calme pour qu'elle puisse s'allier avec les passions d'un agitateur, et, quelles que soient les formules changeantes des lois sur la presse, c'est aux séditieux seuls que vous pouvez réserver les rigueurs de l'amende et de prison.

La cour confirme par son arrêt le jugement du tribunal.

TRIBUNAL CIVIL DE PÉRIGUEUX

PRÉSIDENCE DE M. SAINT-ESPÈS-LESCOT

AUDIENCE DU 8 FÉVRIER 1862

AFFAIRE DE M, BROU DE LAURIÈRE.

MARIAGE DES PRÊTRES

M. Brou de Laurière, engagé dans les ordres, mais n'exerçant plus le saint ministère, voulut contracter mariage. MM. les maires de Périgueux et de Cendrieux s'y opposèrent, tout en déclarant qu'ils n'avaient à cet égard aucune opinion, et qu'ils s'en remettraient à la justice pour l'interprétation des textes incertains.

Me Jules Favre, avocat de M. Brou de Laurière, s'exprime en ces termes :

Comme le tribunal le pressent, je n'ai rien à dire des faits qui ont amené le procès soumis à sa haute sagesse. M. Brou de Laurière, engagé dans les ordres, mais n'exerçant plus le saint ministère, veut contracter mariage : le peut-il? L'opposition faite par les maires de Périgueux et de Cendrieux, qui, déclarant n'avoir aucune opinion, s'en remettent à votre justice en présence de l'incertitude des textes, cette opposition est-elle fondée? Telle est la double question à résoudre.

Au seuil de cette grave discussion, une douloureuse surprise s'empare de moi. Quoi! après tant d'efforts déployés par l'intelligence humaine pour arriver à une législation rationnelle et précise; après tant de veilles, de nobles travaux, de dissertations profondes, après tant de légitimes aspirations vers un régime qui trace à chacun ses droits et ses devoirs, nous en serions encore réduits à hésiter sur un point aussi capital que celui qui met en question l'ordre civil tout entier et la liberté de conscience!

D'un côté, j'entends les docteurs demander d'une voie unanime la consécration de ce grand principe. De l'autre, les tribunaux semblent le méconnaitre. Le plus auguste de tous, celui dont les décisions sont reçues comme des oracles souverains, penche vers le passé, et, docile aux inspirations d'un autre âge, ramène violemment la société en arrière, au risque de la replonger dans un abime dont elle se croyait pour toujours délivrée.

Reconnaitre que le prêtre peut se marier, c'est déclarer à la fois le mariage un contrat civil et le prêtre un citoyen. Lui refuser ce droit, c'est revêtir Rome de la pourpre impériale, c'est soumettre l'autorité nationale au joug détesté d'une domination étrangère. (Mouvement.)

Où peut être le prétexte d'une si grave, d'une si dangereuse résolution?

J'ouvre le Code, qui contient la réglementation des droits et des devoirs des citoyens. Le mariage, ce grand acte de la vie humaine, n'a été ni dédaigné ni rapetissé..... Le Code civil prend l'enfant au berceau; il protége sa faiblesse, défend son patrimoine, et le conduit pour ainsi dire par la main jusqu'au delà des limites de son adolescence. A ce moment décisif, où se découvrent devant lui des perspectives nouvelles que la bonté de Dieu a rendues si riantes, où l'amour ouvre dans son âme de fortes et fécondes sensations; à ce moment, dis-je, le législateur abandonnera-t-il le jeune homme à ses passions? Non, son union est d'avance réglementée avec sagesse, pour que des désordres n'en soient pas la conséquence. Tout est prévu avec cette sage simplicité qui est l'attribut des lois modernes, dont la source se puise dans la philosophie. La loi, comme la religion, gouverne et épure ses passions. Elle fait du mariage le fondement de la famille, la base de l'État. Et c'est au nom de ces intérêts sacrés qu'elle en détermine rigoureusement toutes les conditions. Ainsi, on voit figurer dans ses textes tout ce qui est relatif aux empêchements, lesquels sont tirés de l'âge, de la parenté, d'un lien antérieur. Mais elle n'établit aucune distinction de races, de castes, de religion, car au-dessus des règles qu'elle consacre, planent ces deux principes qui dominent et éclairent le Code civil: la liberté de conscience, l'égalité devant la loi.

C'est là l'esprit du Code civil, et j'ai le droit d'affirmer qu'il n'y a pas un mot qui permette de croire que le prêtre y trouve un empêchement à son mariage.

:

On vous convie' d'introduire dans la loi une exception qui n'a pas été écrite celle qui retranche le prêtre de la société française, le découronne et lui fait perdre sa qualité de citoyen. Je ne pourrais la comprendre, cette exception, qu'en supposant ses partisans convaincus que la règle interdisant le mariage du prêtre catholique est étroitement liée au dogme religieux, qu'on ne peut détruire l'une sans porter atteinte à l'autre. Prévenir une attaque à la religion, n'est-ce pas un devoir qu'il faut accomplir à tout prix? La grandeur de ce but n'explique-t-elle pas les plus téméraires hardiesses? S'il importe de maintenir intact le dépôt sacré des lois civiles, qu'est cet intérêt auprès de celui qui tend à sauvegarder la religion elle-même?

« PreviousContinue »