Page images
PDF
EPUB

l'étrangler, qui l'assomment sans l'assommer, et qui ne peut accuser que son maître ou un être mystérieux qui se serait exposé à sa place, c'est lui qui a organisé la scène du 17 novembre.

La scène du 17 novembre n'est donc pas plus vraie que celle du 7 juillet.

La partie civile a cherché à aggraver la position de M. Armand, et il nous a fallu, pour faire triompher la vérité, remuer toute la vie de Maurice Roux. Qu'en est-il ressorti? Que Maurice Roux était bien l'homme préparé à ourdir une trame perfide, à s'y complaire, à y persister. Il connaissait à merveille le milieu dans lequel s'exploitaient toutes ses criminelles manœuvres; il savait qu'il pouvait compter sur d'utiles auxiliaires : il en avait acquis la preuve dans ses promenades à travers la ville, où, feignant la souffrance, il recueillait des ovations aux cris de: A bas les maîtres! poussés par la foule. Il savait toutes ces choses, et c'est ainsi qu'après le prétendu attentat du 17 novembre, il voulait venir à l'audience avec cette mise en scène qui eût été si redoutable pour l'accusé. Ce fait suffirait à lui seul pour juger l'homme. Mais nous n'en avons pas besoin; et c'est dans l'étude intime des faits qui se rattachent plus particulièrement à l'accusation que se rencontre la double démonstration et de l'innocence de l'un et de la tentative monstrueuse de l'autre.

Mon honorable adversaire m'a reproché de m'être servi, pour m'y appuyer, de l'autorité des paroles de M. le premier président de la cour d'assises d'Aix. Pouvais-je faire mieux? Et ces paroles solennelles, tombées de sa bouche au moment où le débat se terminait, où toutes les impressions étaient encore vivantes, où il fallait les personnifier pour que le jury pût s'en pénétrer, est-ce qu'elles ne sont pas le miroir fidèle où vos consciences peuvent voir de quel côté est la vérité, de quel côté est le mensonge? M. le premier président l'a dit : il faut choisir, choisir non plus, messieurs, au point de vue d'un procès impossible, et qui aurait pour conséquence de vous insurger contre la décision souveraine du jury, mais pour satisfaire la conscience publique qui réclame enfin une sentence de bon sens, de vérité, d'indépendance, qui dise non-seulement qu'Armand n'est pas coupable, mais qu'il a été injustement persécuté par l'imposture heureusement démontrée d'un homme que la Providence a arrêté dans l'exécution de ses mauvais desseins.

A l'audience du 28 janvier, le tribunal a rendu le jugement suivant :

a

Attendu, en effet, que l'objet de l'accusation consistait dans un fait complexe et indivisible, puisque, d'une part, il se composait d'un coup porté sur la nuque, de la ligature des mains et des pieds et de celle du cou, ayant produit un commencement de strangulation; que, d'autre part,

le jury n'aurait pas pu diviser ces éléments du fait, et répondre affirmativement sur l'un, négativement sur les autres;

Que le jury a donc répondu d'une manière indivisible: Non, l'accusé n'est pas coupable; que cette réponse, appliquée à la ligature, implique que ce fait est étranger à Armand, tout à la fois quant à la criminalité et quant à la matérialité, puisque, n'ayant pas été commis sans intention criminelle, dire que l'accusé n'est pas coupable, c'est dire nécessairement qu'il n'est pas l'auteur;

Que si cette réponse écarte aussi la criminalité quant au coup sur la nuque, on ne peut pas dire qu'elle en laisse subsister, contre l'accusé, la matérialité, alors que la réponse du jury: L'accusé n'est pas coupable, signifiant qu'il n'est pas l'auteur de la ligature, et cette réponse ne pouvant pas être divisée, et s'appliquant à l'élément du coup aussi bien qu'à celui de la ligature, signifie aussi qu'il n'est pas l'auteur du coup;

Que les circonstances, telles qu'elles résultent du témoignage unique sur lequel était basée l'accusation, ne font que confirmer cette appréciation,

[ocr errors]

Qu'Armand, en effet, serait venu volontairement à la cave pour y suivre son domestique; que volontairement il se serait armé d'une buche, qu'il lui en aurait porté un coup volontairement; qu'en un mot, dans le fait du coup à la nuque, l'intention se serait trouvée unie au fait matériel, d'une manière aussi inséparable que dans le fait de la ligature; d'où l'on doit conclure que, par sa déclaration, le jury a écarté, dans l'un comme dans l'autre fait, la matérialité aussi bien que l'intention coupable;

. Attendu que décider le contraire, et isoler, dans le verdict du jury, le fait du coup à la nuque de celui de la ligature, pour arriver à dire que si, pour ce dernier fait, la matérialité et la criminalité ont été effacées, la matérialité reste dans le premier, qui peut dès lors servir d'élément à une demande en dommages, ce serait créer une distinction que le jury n'a ni faite ni pu faire, interpréter son verdict pour lui donner un sens contraire à celui qui en ressort, et méconnaître ou s'exposer à méconnaître l'autorité de la chose jugée;

« Attendu, en effet, que si la cour d'assises, en vertu de l'article 358 du Code d'instruction criminelle, et les tribunaux civils, saisis par action principale, peuvent condamner à des dommages envers la partie civile l'individu acquitté par le jury, ce n'est que dans le cas où le verdict du jury laisse subsister un fait matériel dont l'accusé serait l'auteur et qui pourrait lui être imputé à faute, en d'autres termes, lorsque la déclaration de non-culpabilité n'exclut pas nécessairement l'idée d'un fait dont l'accusé aurait à répondre envers la partie civile, en telle sorte que la recherche ou la preuve de ce fait ne puissent pas aboutir à une contradiction entre ce qui a été jugé au criminel et ce qui serait jugé au civil; « Que c'est là un principe certain, incontestable, établi par la jurisprudence de la cour de cassation;

« Qu'on ne saurait admettre, en effet, que dans toutes les espèces soumises au jury, le fait matériel survive à la déclaration de non-culpabilité, et puisse devenir le fondement d'une condamnation à des dommages; Qu'il est facile de concevoir, au contraire, des espèces d'une nature telle, que le jury ne puisse écarter la criminalité sans reconnaître par là que le fait matériel n'est pas imputable à l'accusé;

[ocr errors]

« Que celle qui a été soumise au jury des Bouches-du-Rhône appartient à cette catégorie, puisqu'il est évident que le prétendu coup et les vio

lences qui l'ont suivi ne pouvaient pas exister sans intention coupable, et que, dès lors, le verdict du jury a écarté le fait tout entier, et par conséquent tous les éléments qui le constituaient; qu'on doit, du moins, présumer qu'il les a écartés tous, alors que la réponse du jury étant indivisible s'applique à tous, avec le sens qu'elle a, unique, nécessaire, incontestable;

D'où il suit qu'admettre que le fait matériel du coup a survécu à la déclaration de non-culpabilité, serait admettre une chose en contradiction avec cette déclaration, ce qui ne peut pas être : d'où la conséquence aussi que la demande de Maurice Roux doit être rejetée.

[ocr errors]

COUR IMPÉRIALE DE BORDEAUX

PRÉSIDENCE DE M. RAOUL DUVAL, PREMIER PRÉSIDENT

AUDIENCE DU 26 JUILLET 1864

Demande en nullité d'un mariage contracté à Rome. - Appel d'un jugement du tribunal de Cognac.

Me Jules Favre, avocat de M. B... père, appelant, s'est exprimé en ces termes :

Je viens, en invoquant l'autorité paternelle exercée par un père qui s'est toujours montré un modèle de dévouement héroïque, et par une mère qui est le résumé de toutes les vertus, vous demander l'infirmation d'un jugement qui a prononcé la validité d'un mariage qui fait asseoir au foyer domestique, avec l'insulte de la révolte triomphante, le déshonneur, le désordre et le désespoir.

Ce mariage contracté à Rome, et qui unit un jeune homme dont la raison est profondément troublée à une étrangère dont le passé est plus qu'équivoque, ce mariage, entouré des circonstances les plus étranges et les plus douloureuses, met en lumière la déplorable facilité avec laquelle, sous le voile de la religion qu'elles profanent, de coupables intrigues peuvent se nouer dans les sacristies de la ville éternelle, pour imposer aux familles épouvantées de honteuses spéculations matrimoniales.

Heureusement pour la dignité des mœurs, pour la sécurité publique, la loi française ne tolère pas de semblables excès. Indulgente et sage, elle ne s'arme pas de rigueurs exagérées contre l'entrainement des passions; libérale et réservée, elle ne touche à la conscience que pour en maintenir les franchises; et faisant du mariage la base des familles et de l'État, elle refuse ce nom auguste et les prérogatives qui en découlent à un vain simulacre accompli dans l'ombre, après avoir été préparé par la ruse, et portant une égale atteinte à la liberté du consentement, à la police de l'État, aux droits du père et à la constitution sacrée de la famille.

Ce sont ces considérations élevées qui intéressent ce débat. En lisant le jugement de première instance, on pourrait croire qu'elles

ont échappé aux magistrats; on admire le soin avec lequel ils se sont efforcés de peser et de résoudre toutes les questions, leur recherche minutieuse des détails, leurs consciencieux scrupules; mais on ne découvre pas la préoccupation et le souci de ces principes de premier ordre qui cependant se présentaient naturellement à leurs méditations.

Or, vous jugerez, messieurs, si dans cette affaire il ne fallait pas assigner à ces considérations un rang privilégié, si jamais cause mit plus nettement en relief les empiétements d'une puissance redoutable et la nécessité d'y opposer une résistance virile.

Voici un homme dans une condition modeste, mais aisée; Dieu lui a donné un fils unique, qui devait être son orgueil, sa joie, ses espérances; mais, par une cruelle fatalité, l'intelligence de cet enfant a reçu, dès l'origine, la funeste et irrémédiable empreinte d'une faiblesse désordonnée contre laquelle échouèrent tous les efforts. Elle se développera avec l'âge et éclatera bientôt sous la forme la plus bizarre et la plus dangereuse; c'est une manie irrégulière, une fureur périodique, un égarement momentané, mais se reproduisant après des époques lucides, et qui pousse ce malheureux aux plus honteux excès. Vous verrez la lutte sublime engagée par le père pour terrasser ce terrible ennemi, sa résignation vaillante, sa patience inaltérable, que rien ne lasse. Toujours debout, toujours calme, il ne recule devant aucune extrémité; il s'arrache le cœur pour chercher la guérison de son fils jusque dans la maison de Charenton, et quand l'état mental du malheureux jeune homme semble suffisamment amendé, il l'envoie à Rome, sur le conseil des médecins, à Rome, où son goût pour la peinture, le changement de milieu, la beauté des monuments de l'art antique doivent relever son moral.

:

A Rome, le jeune voyageur trouve une dangereuse hospitalité chez deux femmes la mère, deux fois veuve; la fille, déjà et depuis longtemps très-familiarisée avec les mœurs françaises. Il devient leur commensal; et, comme il reçoit une pension importante de son père, qui ne sait rien lui refuser, ces dames reconnaissent en lui une proie facile qu'il ne faut pas laisser échapper.

Cette intimité n'empêche pas les explosions irrégulières du mal terrible qui le possède; et malgré les débauches effrénées dont elles sont témoins, et peut-être victimes, ces deux femmes n'en persévèrent que plus fort dans leur dessein; elles veulent exploiter ces vices déplorables. A côté d'elles est un prêtre interdit, perdu de mœurs, de réputation, qui escroque l'argent du fils de famille. Bientôt le jeune homme voulant s'échapper, on le fait, sous un vain prétexte, jeter en prison. A l'appel d'un ami, le père accourt, intervient, obtient la mise en liberté de son malheureux enfant; mais presque aussitôt

« PreviousContinue »