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terrain « de la vérité » un commun accord entre les hommes, nous serons exposés à des attaques de la nature de celles que nous avons entendues avec tristesse sortir de la bouche de M. le procureur général. Dans la souscription, ce qu'on a voulu honorer avant tout, c'est le respect à la loi, qui va jusqu'au sacrifice de sa propre personne. Vous avez cependant affirmé que cette souscription, considérée dans le but qu'elle se propose, pouvait constituer un élément d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement de l'empereur. Pourquoi? Vous ne l'avez pas dit; car toutes les fois que vous avez été dans la nécessité de vous expliquer à cet égard, vous n'avez pas osé le faire. Eh bien! je ne parle que pour mon propre compte et pour le journal la Tribune, dont je crois connaître les sentiments, et je vous affirme que ce ne sont pas des préoccupations passagères qui ont réuni autour de la tombe de Baudin tous les hommes auxquels tout à l'heure vous faisiez allusion! C'est l'admiration de la vertu civique.

En examinant la question au point de vue juridique, je vous fais cette demande : La souscription est-elle en soi un élément de délit? Non! Est-elle un élément de délit, parce qu'elle s'applique à un citoyen mort le 3 décembre sur les barricades du faubourg SaintAntoine? Non, c'est vous-même qui l'avez dit avec franchise, et vous avez ajouté que vous compreniez à merveille les regrets, les souvenirs et le culte qu'on pouvait lui rendre. Je vous en remercie; seulement, je vous demande si vous voulez limiter l'expression de nos sentiments; si vous avez une règle officielle pour faire le contrôle des aspirations civiques qui nous seront permises, ou si vous n'avez pas cette règle, qui peut vous empêcher de croire, ce qui est vrai, que ce que nous avons honoré dans Baudin, c'est ce que j'ai dit tout à l'heure le sacrifice à son devoir?

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Et dès lors, comment voyez-vous dans cet acte une excitation à la haine et au mépris du gouvernement?

Si vous l'avez vu, ce délit, dans la souscription, pourquoi poursuivez-vous certains journaux et pas d'autres? C'est là une question que je me permets de vous poser respectueusement.

Je parle librement, je parle sans forfanterie et sans faiblesse. Eh bien! vous nous avez concédé la piété des souvenirs. Encore une fois, c'est là ce que vous ne pouvez pas nous disputer; cependant, je vous sais gré de ne pas l'avoir incriminée. Mais ce n'est pas assez; nous avons entendu aller plus loin.

J'ai eu l'honneur de siéger dans des assemblées issues du suffrage universel, qui ont été attaquées par la force. J'ai essayé d'accomplir mon devoir. Au mois de juin 1848, j'étais devant les barricades, où j'aurais pu être frappé, comme Baudin, à mon poste; et c'est préci

sément parce que j'ai accompli mon devoir dans la mesure de mes forces et que par cela même j'ai peut-être été pour quelque chose dans la résolution que Baudin a prise, puisqu'à mon sens la résistance à laquelle il a participé était le premier des devoirs, c'est pour cela qu'aussitôt que j'ai appris l'ouverture de la souscription, je me suis empressé de m'y associer.

Est-ce qu'en agissant ainsi, j'étais mû par le désir d'exciter à la haine et au mépris du gouvernement? Dire que ceux qui se sont associés à cette souscription ont commis le délit d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement, en vérité, ce sont là des paroles que je ne saurais comprendre dans votre bouche; cependant ce sont celles dont vous vous êtes servi. Permettez-moi de vous le dire, de telles paroles ne sont pas de mise entre hommes politiques qui s'expliquent avec franchise. En souscrivant, ma préoccupation n'a pas été celle que prête aux souscripteurs M. le procureur général, mais, encore une fois, il m'a paru que dans une société qui traverse de si rudes épreuves.....

M. LE PRÉSIDENT. Maitre Jules Favre, je vous ferai observer que ce n'est pas la défense du journal la Tribune que vous présentez en ce moment.

M Jules FAVRE. C'est la défense de la souscription, monsieur le président, je suis dans la cause.

M. LE PRÉSIDENT. Vous devez rester dans la défense que vous avez à présenter. L'avocat ne se met pas en cause.

M JULES FAVRE. Monsieur le président, M. le procureur général m'y a mis, j'y reste. J'ai compris les paroles de M. le procureur général; il a été plein de franchise, je l'en remercie, et je lui réponds avec une égale franchise.

Je vous ai dit quel était le motif d'un grand nombre de souscripteurs, je pourrais dire du plus grand nombre, et j'ai voulu par là même vous prouver qu'en souscrivant, ces personnes n'avaient pas eu l'intention d'exciter à la haine et au mépris du gouvernement.

Il est puéril, laissez-moi vous le dire, il est puéril, au milieu de tous ces événements, en présence des jugements que les citoyens libres peuvent porter et doivent porter sur des faits qui sont soumis, en définitive, à leur appréciation, de prétendre imposer telle ou telle limite au débat qui s'agite.

Oui! nous sommes groupés autour de ce souvenir, et nous avons trouvé qu'il était bon de lui rendre hommage comme au droit, comme à la règle, auxquels les hommes qui ont la rude tâche de participer aux affaires publiques ne doivent jamais essayer de se sous

traire.

Je vous ai dit, dans mes premières observations, qu'il y avait à

cet égard une objection spécieuse sur laquelle je m'expliquerai d'un mot, car je ne veux pas envenimer cette discussion. Je ne veux pas parler de l'origine de l'Empire; seulement je ferai remarquer qu'elle ne peut être que dans le vote du peuple, et non pas dans les événements de décembre. Vous n'avez pas touché cette question; de mon côté, je ne l'aborderai pas. Lorsque vous avez prononcé ce mot qui m'avait blessé l'âme, comme il avait blessé celle de Gambetta, je me demandais si vous n'attendiez pas des explications; je vous les aurais données. Je les donnerai ailleurs, je suis prêt. Rien ne peut m'embarrasser quand j'ai pour flambeau la vérité; je puis dire, sans toucher à cette question, que rien n'est plus maladroit, n'est plus malheureux que de faire consacrer, par une décision de la justice de notre pays, qu'il est une partie réservée de l'histoire dont l'enseignement ne peut se faire, parce que les yeux des citoyens ne doivent pas s'y fixer, même quand c'est la partie de l'histoire qui nous touche le plus, celle qui a pu servir de vestibule au gouvernement.

M. le procureur général, je l'ai déjà dit, n'a pas abordé cette question, et c'est pour cela que je veux m'abstenir de tout développement ultérieur sur ce sujet qui, devant des hommes tels que vous, ne peut pas embarrasser un avocat indépendant. Ici, nous avons le droit de tout juger, de tout examiner; l'appréciation nous appartient, la justice ne saurait nous la ravir, puisque la loi ne nous l'a point encore disputée.

S'il en est ainsi, vous n'avez qu'à réfléchir à la situation qui nous a été faite jusqu'à ces dernières années, et vous comprendrez quel pouvait être l'intérêt politique de la souscription. Encore une fois, le renversement de l'Empire et les séditions n'ont jamais été que dans la pensée des politiques à courte vue qui cherchent la satisfaction de leurs passions dans les éléments qui peuvent en compromettre le succès. La nation a pour elle le vote, elle doit en user; mais, pour cela, il faut qu'elle soit éclairée, il faut que les rayons de la liberté politique ne lui soient pas dérobés, et puisqu'il y a des martyrs, il faut que nous les honorions. Permettez-moi de vous le dire, c'est là ce que nous avons voulu.

J'aurais compris que le gouvernement, dont le chef a prononcé plusieurs fois à cet égard de nobles paroles, loin de contrarier ce mouvement, s'y fût associé. Il y aurait eu là quelque grandeur et un enseignement qui aurait touché le cœur de cette nation française si grande et si impressionnable; mais au contraire, prendre des écrivains, les conduire devant la justice, sous le prétexte qu'honorer la mémoire d'un homme politique qui est tombé en faisant son devoir, qui a gardé son serment, qui a scellé de son sang la constitution sous laquelle il vivait, c'est porter atteinte à la dignité de l'Empire,

encore une fois, c'est travailler aussi efficacement que possible au renversement du gouvernement.

Mon dernier mot sera celui-ci : L'enseignement que j'ai signalé et qui se dégagera de ce procès, c'est-à-dire le respect de la vérité historique qui s'est imposé aux magistrats, quelle que soit la sévérité des fonctions qu'ils sont forcés de remplir, cet enseignement restera. Vous avez paru surpris de l'attitude de la jeunesse, et vous vous étonnez de la voir, frémissante, prendre des résolutions viriles, quand elle est en face d'un homme mort pour son devoir. Moi, je réponds Ce sont là des leçons qui valent mieux que celles de la noblesse, des plaisirs et de la fortune avec le cortége des courtisans qu'elle attire.

Ce sont les enseignements que le peuple préfère. Ce sont ceux que la justice couvre aussi de sa majestueuse inviolabilité, et si j'avais du vous parler de toutes ces choses, je vous aurais rappelé que quelquesuns d'entre vous sont nos complices, et que si l'on n'a pas touché à leur robe... c'est que l'arbitraire s'est arrêté devant la justice.

La cour réduit l'amende de 2,000 francs à 50 francs, ordonne que le surplus du jugement dont est appel sortira son plein et entier effet, et condamne les appelants aux dépens.

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M. Lissagaray, prévenu d'avoir refusé d'obéir à la réquisition faite à la réunion de Belleville par le représentant de l'autorité, et d'avoir outragé des agents de police, est défendu par Me Jules Favre, qui s'exprime en ces

termes :

Je me présente dans la cause pour M. Lissagaray; mes conclusions tendent à ce qu'il plaise au tribunal le renvoyer purement et simplement de la poursuite sans dépens.

Messieurs, en requérant contre les prévenus l'application de la loi du 6 juin, M. l'avocat impérial a déclaré qu'il voulait s'abstenir de toutes réflexions politiques et se renfermer dans le cercle judiciaire de la cause.

Je pourrais tenir le même langage, car ce langage n'a été que l'expression de mon opinion; la loi du 6 juin 1868 n'a pas été votée par moi; j'en ai combattu, avec toutes les forces qui sont en moi, les principales dispositions, car je savais que l'exercice du droit de réunion, laissé libre, se corrige lui-même de ses excès; il devient dangereux quand il est humilié, restreint, exposé à toutes les fantaisies de l'arbitraire.

Cependant je suis de l'avis de M. l'avocat impérial; cette loi existe, elle doit être exécutée et respectée tant qu'elle ne sera pas rapportée, et si j'avais l'honneur, que je n'ambitionne pas, d'occuper le siége du ministère public, si bien rempli par M. l'avocat impérial, j'aurais pris les mêmes réquisitions que lui, non contre les prévenus, mais bien contre le commissaire de police et ses agents.

Oui, lui et ses agents ont méconnu la loi de 1868, et par lå ils ont commis un acte très-grave et très-répréhensible; par là ils ont exposé

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